Tempête sur un faux lac

Ottawa défend son «pavillon marketing» de Toronto censé vendre au monde entier la splendeur du Canada lors du G8 et du G20

Beaucoup de $$$ pour vendre "le Canada" (Toronto et Ontario)


Guillaume Bourgault-Côté - Ottawa — Le faux lac n'est pas exactement un faux lac: c'est plutôt un élément d'un «pavillon marketing» qui servira à «vendre» la splendeur du Canada au monde. C'est sous cet angle que le gouvernement conservateur s'est mis en mode contre-attaque hier pour défendre les coûts et la pertinence de la construction d'un décor pour le G8 et le G20.
Le faux lac de Toronto a encore fait de grosses vagues à Ottawa hier. Jugeant l'investissement aussi ridicule que futile, l'opposition s'est déchaînée sur le gouvernement lors de la période de questions, largement monopolisée par cet enjeu.
Nouveau discours
Et devant la fronde, Ottawa a rajusté son discours. Ce qui était la veille présenté comme un simple outil esthétique pour permettre aux journalistes confinés à Toronto d'avoir un peu de Muskoka dans leur angle de caméra est devenu hier un «pavillon marketing» aux objectifs plus étendus.
Selon les détails dévoilés par le gouvernement — notamment lors d'une séance d'information convoquée par le cabinet du premier ministre —, l'espace «Expérience Canada» occupera une superficie totale de 22 000 pieds carrés, où on attend 3000 représentants des médias et des délégués. Le bassin artificiel coûtera 57 000 $ et l'ensemble du pavillon, 1,9 million.
Celui-ci comprendra deux pôles illustrant les environnements des sommets. Une reconstitution d'une «oasis du nord de l'Ontario» sera érigée autour du lac artificiel, alors qu'un espace adjacent recréera l'ambiance urbaine de Toronto. Un pont fera le lien entre ces théâtres grandeur nature.
Journalistes ou touristes
Ce centre multisensoriel servira de base aux journalistes qui ne pourront pas se rendre à Hunstville, dans la région de Muskoka, l'accès à ce site étant limité à un nombre restreint de représentants des médias. Le gouvernement fait le pari que le pavillon convaincra les visiteurs du potentiel touristique canadien.
Le premier ministre Harper estime donc que «ce ne sont pas des dépenses pour un faux lac. Ce sont des dépenses pour un pavillon qui permettra de faire la promotion du tourisme canadien. C'est supporté par tous les porte-parole de cette industrie. C'est une opportunité sans pareil [pour le Canada], alors que des milliers d'invités d'ici et de partout dans le monde seront présents.»
Pour le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, c'est là une façon de montrer la crème du pays. «Nous prenons cette opportunité [la venue des chefs de gouvernement et des délégations] pour faire la promotion du pays. Nous le faisons de façon à mettre en évidence tous les meilleurs éléments du Canada», a-t-il indiqué.
L'opposition n'est pas convaincue
Mais ce discours n'a pas convaincu l'opposition. «Le premier ministre dilapide les fonds publics pour faire du sommet du G20 un party de trois jours sur le bord d'un faux lac, a dénoncé le chef du NPD, Jack Layton. C'est indéfendable et les explications du gouvernement ne tiennent pas la route.» M. Layton a parlé d'un «fake lake gate».
La situation devient de «plus en plus absurde», a-t-il ajouté. «Ils veulent inviter le monde, mais ils ont mal planifié et ont choisi un endroit trop petit. Alors, ils vont mettre tout le monde dans une boîte avec un écran géant et un peu d'eau, puis ils vont dire: "Hé, ça, c'est le Canada". C'est ridicule.» M. Layton trouverait «risible» la situation s'il n'y avait pas près de 2 millions de fonds publics en jeu.
«C'est un fake lake by a fake government», a lancé le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe. «On fait venir des journalistes, puis on leur dit: "C'est pas ici, on va vous faire un décor". [...] C'est complètement fou, aberrant.» M. Duceppe cherche la logique du geste. «Il y a le lac Ontario à côté, mais on va dire aux invités: "Regardez le beau petit lac artificiel"?»
Pas de Lonely Planet
Selon le député libéral Mark Holland, «ce ne sont pas des journalistes de voyage avec un guide Lonely Planet» qui vont venir couvrir les sommets. Loin du tourisme, ils s'intéresseront aux enjeux politiques débattus par les leaders du monde, dit-il. Or, cette histoire de faux lac est devenue selon lui un «embarras international», CNN et le Los Angeles Times ayant fait état de l'affaire.
«Le ministre de l'Industrie dit que ce lac est un reflet du Canada: c'est risible, a aussi lancé le député libéral Marc Garneau. Ce lac est un reflet du gaspillage conservateur, et tout ce gaspillage est un reflet de l'incompétence et de la partisanerie conservatrice. C'est franchement honteux.»
Pour le chef de l'opposition, Michael Ignatieff, le gouvernement envoie un message contradictoire à quelques jours du début des sommets qui placeront la réduction des déficits au centre des débats. «Pourquoi le premier ministre dit-il aux autres pays comment gérer leur argent alors qu'ici, il gaspille l'argent des contribuables canadiens?» a demandé M. Ignatieff.
Au-delà du lac, il estime que le milliard que coûteront les deux sommets est injustifiable, puisque les résultats seront mineurs: tout au plus les sommets serviront-ils à préparer la «vraie» rencontre, celle qui se tiendra en Corée à la fin de l'année, a affirmé le chef libéral.


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