Le samedi 30 janvier, des représentants des milieux universitaires, artistiques et de la bienfaisance se payaient une pleine page dans les journaux pour demander au gouvernement fédéral d'éliminer l’une des taxes sur les gains en capital.
Cette taxe au nom indigeste (taxe sur les gains en capital découlant de dons d'actions de sociétés fermées et sur les biens immobiliers) nuirait à la générosité du secteur privé dans les dons qu’il accorde.
Il serait donc crucial de l'éliminer comme on l'a fait pour celle concernant les gains en capital de titres cotés en bourse, qui ne sont pas imposables s’ils prennent la forme de dons de bienfaisance.
Par ce geste, ces leaders de grandes institutions (Grands Ballets canadiens, École nationale de théâtre, Opéra de Montréal, Université de Montréal, Université Concordia, Centre canadien d'architecture, entre autres) envoient ce signal : c’est une fatalité, dans le contexte de crise actuel, le gouvernement pourra difficilement augmenter le financement public qui leur est nécessaire. Ils voient ainsi leur sauveur du côté du capital privé qu'ils courtisent.
Comment s’en étonner lorsqu’Hélène Desmarais, femme de Paul Desmarais, jr, président du conseil et co-chef de la direction de Power Corporation, figure parmi les signataires, au nom de la Fondation de l’Orchestre symphonique de Montréal?
Mais est-ce là une bonne solution et la seule voie possible? Bien sûr que non.
Une fois le jargon légaliste décapé, nous comprenons qu’il s’agit ici de faciliter les dons faits à des organismes disposant de numéros de charité en taxant encore moins les riches.
Le gouvernement manque d’argent? On revendique une mesure qui l’en privera pourtant davantage sans voir là aucun problème. Certes, étant moi-même une ex-gestionnaire de la culture, je comprends que ces personnes cherchent des solutions à leurs difficultés budgétaires. Mais, à mes yeux, d'autres revendications mériteraient franchement d’être portées, qui nécessitent toutefois plus de courage et un esprit de solidarité réelle avec la collectivité, chose qui fait malheureusement de plus en plus défaut à ces leaders.
Les entend-on jamais faire un aussi vibrant plaidoyer pour la justice fiscale? Pour que le gouvernement mette fin à l'évasion fiscale qui est en augmentation au Canada?
Entre 2003 et 2008, les sommes d'argent canadien investies à l’étranger dans les paradis fiscaux sont passées de 94 milliards de dollars à 146 milliards de dollars, selon une étude de Statistique Canada rendu publique cet automne.
C'est beaucoup d'argent qui échappe aux coffres de l'État canadien et au sujet duquel ils ne disent jamais mot. Soulignons que pareil exode de capitaux n'est pas le seul fait de quelques riches sans scrupule, une majorité de grandes banques et corporations - les nôtres ne faisant pas exception - utilisant les paradis fiscaux.
Par ailleurs, ces représentants des milieux artistiques et universitaires ne semblent pas faire non plus de liens entre le sous-financement public de leurs secteurs d’activités et le taux d'imposition corporatif qui ne cesse de baisser au Canada, alors que les bénéfices des corporations demeurent souvent spectaculaires.
Le gouvernement Harper vise 15% pour ce taux d'ici 2012, soit un des plus bas du G7.
On assiste en outre – plusieurs études en attestent – à une concentration de la richesse pendant que les revenus des classes moyennes et pauvres stagnent malgré plusieurs années de croissance économique. Même l’OCDE convient que notre gouvernement doit remédier aux écarts grandissant entre les riches et les pauvres au Canada.
Dans ce contexte, il faudrait donc éviter une autre taxe aux riches (qui d’autre fait des gains en capital?) pour les encourager à donner davantage aux organismes? Cette demande n'est pas recevable.
Les gains en capital doivent être taxés, l’impôt redevenir plus juste et progressif, et l’évasion fiscale être sérieusement combattue, point à la ligne.
C’est ça le chemin le plus juste vers le « bien de toutes les collectivités » qu’on nous serine dans cette grosse publicité qui ne fait vraiment pas honneur aux milieux universitaires et artistiques. Il serait grand temps qu’ils fassent les liens qui s’imposent et enlignent leur lutte pour un meilleur financement avec plus de rigueur morale et intellectuelle face à l’État et moins de servilité face aux élites d’affaires.
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