L’apocalypse sera locale

Chronique de Robert Laplante


À tous ceux et celles que les fascicules du comité consultatif du ministre Bachand auront jetés dans le pessimisme le plus sombre, le budget Flaherty aura paru comme une véritable bulle de jovialisme. Ah le Canada ! Heureusement que nous l’avons pour nous rappeler que la prudence est une vertu civique! Le curieux accueil qui a été fait au budget fédéral est un véritable révélateur de la condition politique québécoise en ces temps mous de la confusion intellectuelle et de la perte du sens de notre intérêt national.
Généralement accueilli avec un certain soulagement par les commentateurs et analystes que les spins doctors avaient préparés au pire pour mieux leur faire avaler la médiocrité, ce budget a laissé le Québec sous l’emprise de ses plus vieux et plus puissants démons, ceux-là qui le font gigoter de tous les réflexes de minoritaires. La plus grande part des commentaires, en effet, sont restés dans la plus stricte résignation provinciale. Il fallait veiller au grain, s’assurer que rien ne bougerait du côté de la péréquation et des transferts aux provinces et puisque rien, semble-t-il, ne bougera de ce côté, tout le reste ne serait plus qu’affaire de nuances et de compromis.
Le gouvernement du Québec qui nous avait sorti la veille du budget une Nathalie Normandeau inquiète de ce qu’il adviendrait des transferts, nous a tout à coup fait revoir notre premier sous-ministre, satisfait de ce que les frayeurs aient été sans fondement et toujours désireux de continuer à discuter pour le reste. Et le reste, il est très gros : 2,5 milliards de dollars pour l’harmonisation de la taxe de vente dont il n’a pas été question! Le ministre Bachand va continuer de réclamer. C’est ainsi, paraît-il, quand on est un inconditionnel du fédéralisme unitaire: on laisse aller les choses, même s’il s’agit d’une somme qui représente à elle seule la moitié du déficit appréhendé du budget du Québec. Rien de moins. Et ce n’est toujours pas assez pour hausser le ton.
On le sait bien, on ne peut contraindre Ottawa, alors on contraindra les contribuables québécois : on peut toujours retourner contre soi une colère qu’on refoule devant les maîtres. L’Ontario et la Colombie-Britannique ont reçu leur part, mais la province de Québec peut non seulement attendre, mais rester dans l’incertitude quant à savoir si les sommes lui seront bel et bien versées. La justice fédérale a de ces logiques qui ne peuvent jamais être tordues lorsque les affaires québécoises sont en cause : les choses sont claires, Ottawa dispose… et Québec s’arrange a posteriori pour s’inventer des justificatifs. Se faire tondre est une chose, mais se faire tondre en perdant la face, trop peu pour les inconditionnels, alors ils ratiocinent, appellent à la patience, à la discussion, à l’éternel atermoiement. Jusqu’à ce que la mémoire s’effiloche et qu’on passe à autre chose, mobilisés sur d’autres dossiers chauds que nous imposent Ottawa et sa dynamique canadian.On l’aura compris, le dossier de l’harmonisation sera traité sans qu’aucun lien ne soit établi avec la dynamique budgétaire que cela impose au Québec. C’est une illustration de plus de notre réflexe le plus délétère : l’éternelle minimisation des pertes. Il manquera 2,5 milliards de dollars ? Bof, après tout ce n’est pas si grave, ce n’est toujours pas une raison suffisante pour se convaincre de sortir d’une structure politique aussi inique. On peut le déplorer, s’en offusquer et après ? Et puis après, rien. Comme d’habitude.
Le budget Flaherty ne laissera que des grenailles pour l’industrie forestière après qu’Ottawa ait déversé près de dix milliards pour l’industrie automobile ontarienne et les politiciens déplorent… Rien de spécifique ni de substantiel pour le secteur manufacturier québécois, on déplore encore. Mais on est si content d’avoir échappé au pire qu’on minimisera les âneries militaristes (le budget augmentera) et le nation building qui veut encourager les monuments et autres symboles de la grandeur militaire du Canada. On est si content qu’on évitera de se poser la question de l’effet déstabilisateur de la confiscation par Ottawa des priorités de la recherche scientifique sur les besoins et les choix du Québec. Il y aura de l’argent pour la recherche, la Conférence des recteurs est satisfaite. Peu importe le vin, pourvu qu’on ait l’ivresse.
Cela n’aura duré que quelques jours, nous aurons eu droit au millième renoncement du pathétique Ignatieff et à un autre discours ambivalent du Bloc déplorant que le fédéralisme ne soit pas rentable pour le Québec et puis les projecteurs se seront de nouveau tourné vers Québec. C’est là que se passent les vraies affaires, celles qui nous font voir une situation catastrophique, celles qui nous dressent des bilans à semer la frayeur. Nous serions donc si insouciants que nous n’avons pas honte de vivre au-dessus de nos moyens, c’est-à-dire au-dessus de ceux que le Canada nous laisse. Nous serions des cancres au palmarès du CIRANO et des attardés incapables de comprendre les vertus de la privatisation telle que nous la fait voir l’IEDM. Nous serions, bref, d’une médiocrité égale à nous- mêmes et qui nous vaudra certainement de subir les foudres d’un budget provincial punitif.
Mais ne soyons pas trop durs pour nos réflexes d’autoflagellation : le budget ne sera pas si pire, c’est certain il faut minimiser les choses car au moment où ces lignes sont écrites le budget n’est pas connu, alors il faut s’en tenir aux réflexes de base. Nous sommes incapables de grandeur, même dans la bêtise, à en croire la rhétorique qu’on nous sert continuellement sur le Québec qui tourne en rond, qui ne règle rien, qui refuse de s’assumer comme une vraie province. Nous ne serions que des bons à rien... à rien que d’être de bons Canadians, résignés à vivre dans les priorités que les autres nous assignent, avec les moyens qu’ils nous laissent et avec la morgue qu’ils nous servent pour nous dire que nous sommes les artisans de nos propres turpitudes.
Aux esprits inquiets de tous les malheurs dont les inconditionnels du Canada nous menacent, il n’y a qu’une seule réponse à fournir : ayez confiance, cela va finir par s’arranger parce que le Canada ne nous laissera pas tomber. À condition, bien sûr, que nous acceptions de normaliser notre situation, que nous reconnaissions que nos finances seraient en meilleures santé si nous vivions comme l’Ontario. Le comité indépendant [sic] sous la présidence du ministre Bachand nous l’a dit, notre différence nous coûte au moins 17 milliards. Vive l’Ontario comme idéal de société ! Il faudra souffrir un peu pour mériter du Canada.
Aux esprits chagrins qui insisteront pour que le Québec se pense comme une totalité, qu’il regarde ses finances en considérant la totalité des impôts qu’il verse, qu’il fixe ses priorités en fonction de ses aspirations, les inconditionnels du Canada peuvent toujours répondre que ce sont là des idées dépassées. Grâce au Canada nous savons que l’Apocalypse sera locale.

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Robert Laplante est un sociologue et un journaliste québécois. Il est le directeur de la revue nationaliste [L'Action nationale->http://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Action_nationale]. Il dirige aussi l'Institut de recherche en économie contemporaine.

Patriote de l'année 2008 - [Allocution de Robert Laplante->http://www.action-nationale.qc.ca/index.php?option=com_content&task=view&id=752&Itemid=182]





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