C’est le secret le mieux gardé en ville. Tous les intéressés le connaissent, mais il font semblant de rien... Parce qu’ils ne savent ou ne peuvent pas faire autrement, bien sûr, mais aussi parce qu’ils conservent cet espoir fou - le seul espoir qui reste lorsque on est devant rien - qu’il s’agit d’un cauchemar, qu’on va se réveiller, que tout ira bien, et que personne ne se sera rendu compte de rien.
En fait, si le PLQ n’était pas perçu comme la seule alternative possible au PQ, et s’il n’était pas artificiellement maintenu en l’air par tous ceux qui redoutent la perspective de l’indépendance du Québec, le PLQ n’existerait plus, écrasé par le poids de tous les scandales des dix dernières années.
En effet, le PLQ ne survit que dans l’espoir des fédéralistes de le voir arracher le pouvoir au PQ, ce parti dont ils n’ont jamais reconnu la légitimité démocratique, et qu’ils considèrent comme un usurpateur à chaque fois qu’il parvient malgré tout à prendre le pouvoir.
C’est justement cet espoir qui amène André Pratte ce matin à tenter d’arracher le PLQ aux griffes du dragon de l’opinion publique en insistant sur les présomptions de bonne foi et d’innocence, et l’obligation de ne condamner personne, et surtout pas le PLQ, son ancien chef (Jean Charest), ses anciens ministres démissionnaires ou démissionnés (Jacques Dupuis, Tony Tomassi, Nathalie Normandeau, Line Beauchamp, Michelle Courchesne), l’actuel chef parlementaire de l’Opposition officielle et ancien ministre Jean-Marc Fournier, le nouveau chef du PLQ et ancien ministre Philippe Couillard, l’ancien président du PLQ Me Marc-André Blanchard, ou l’organisateur Libéral et ex-conjoint de Line Berauchamp Pierre Bibeau, avant qu’une cour de justice n’ait pu statuer sur leur cas.
Autrement dit, Pratte demande qu’on applique à tout ce beau monde la norme du droit criminel, sans égard au fait que c’est d’abord par le tribunal de l’opinion publique qu’il va être jugé, et que les règles de preuve devant ce tribunal sont très différentes de celles d’une cour de justice.
Devant l’opinion publique, les apparences comptent, ce qu’on sait depuis au moins Jules César ou plutôt depuis sa femme Agrippine. Ne devait-elle pas elle aussi être au-dessus de tout soupçon même si c’était son Jules (excusez-moi, mais l’occasion du calembour était trop belle) et non elle qui exerçait le pouvoir ?
On sait depuis le témoignage de Marc Bellemare, l’ancien ministre de la Justice nommé par Jean Charest, devant la Commission Bastarache, que la corruption gangrène la politique et que le PLQ est particulièrement touché. On sait aussi que devant toutes les preuves qui s’accumulaient, le PQ est parvenu à arracher le pouvoir au PLQ à la dernière élection générale, et que si le vote d’opposition au PLQ ne s’était pas divisé entre quatre partis (PQ, CAQ, QS et ON), le rejet des Libéraux aurait été massif.
Depuis la dernière élection générale, les témoignages devant la Commission Charbonneau et les interventions de l’UPAC sont venus non seulement confirmer le témoignage de l’ancien ministre Bellemare, mais révéler une problématique d’une ampleur inégalée, à glacer le dos, au coeur de laquelle se trouve impliqué le PLQ.
Et La Presse, parce que c’est dans l’intérêt de son propriétaire, un intérêt qu’il fait opportunément coïncider avec la défense du régime fédéral depuis bientôt cinquante ans, voudrait que les Québécois attendent sagement que la preuve de l’identité du voleur qui les détrousse et les dépossède soit confirmée hors de tout doute raisonnable avant de l’empêcher à continuer de les plumer.
C’est vraiment prendre les Québécois pour des cons.
C’est également les prendre pour des cons que de tenter par tous les moyens d’attiser les divisions entre eux, de détourner leur attention du PLQ et de les mobiliser contre le PQ (au sujet de la Charte des valeurs, de la gouvernance péquiste, de l’économie, de la politique énergétique, de n’importe quoi, tous les prétextes sont bons) pour favoriser l’élection d’un gouvernement Libéral zombie qu’ils pourront d’autant mieux manipuler qu’ils auront contribué lourdement à le faire élire avec leur machine médiatique sans même contribuer à son financement, lalalèreu...
Heureusement, il existe des signes que même au sein de La Presse, les troupes se rebellent et que les diktats de la direction ne passent plus. Deux chroniques récentes de Foglia révèlent en effet une importante prise de distance avec le message-maison.
Dans la première, mardi dernier, il se déclare peu ému par le projet de Charte des valeurs, et met en doute la bonne foi des opposants.
Dans la seconde, publiée aujourd’hui, il conteste ouvertement l’analyse-maison d’un sondage sur le projet de Charte des valeurs produite par Denis Lessard, et ses mots sonnent trop juste pour s’en priver :
Je m’étais promis de rester calme, j’y suis presque arrivé jusqu’à mercredi, mais mercredi, à cause de mon journal, j’ai sauté une coche. C’était page trois, ces quatre portraits types de Québécois devant la Charte (selon CROP). J’ai flippé sur le choix des mots, particulièrement laïc ouvert et laïc fermé.
Le laïc ouvert est ouvert à quoi, d’après vous ? C’est écrit juste sous la photo de madame Harel, qui sert de modèle. Il est ouvert aux différences. C’tu pas formidable ? Sérieusement, y a-t-il encore quelqu’un dans cette pute de province ouverte à tous les marins qui veulent bien la sauter, y a-t-il encore quelqu’un qui n’est pas ouvert aux différences ? Et aux clichés ? Et aux bons sentiments ? Et aux gnangnans ? Et à n’importe quoi, en fait ?
Le laïc fermé, lui, à quoi est-il fermé, d’après vous ? Ce n’est pas dit, mais on vient de lire que le laïc ouvert est ouvert aux différences…
Le portrait du laïc fermé commence comme ceci : pour lui, la religion relève uniquement de la sphère privée. Et alors ? C’est pas assez ? Le « uniquement » qui précède « sphère privée » suggère une minuscule sphère privée, un coqueron, un garde-robe pas assez grand pour y déplier son tapis de prières. Cette sphère n’est-elle pas plutôt tout l’espace public, la rue, la maison, le travail, les lieux de culte, les parcs, les gares, les autobus, les cinémas, les stades, le pays en entier finalement ? En tout temps. Et à Pâques et à Nouel.
Sauf l’espace civique, c’est-à-dire les écoles, les tribunaux, les ministères, les institutions publiques en général, si vous y êtes en autorité, pour être tout à fait clair, ce n’est pas la bâtisse qui est laïque, c’est la fonction. Vous gardez votre foulard pour aller chercher votre permis de conduire, vous l’ôtez pour le délivrer.
C’est ça, fermé ?
[Mes caractères gras]
Plus en douceur, toujours cette semaine dans le débat sur la Charte qui se trouve à révéler de ce fait son caractère existentiel, la chroniqueuse Marie-Claude Lortie a elle aussi pris ces distances avec le message-maison de La Presse en déclarant que le foulard avait un sens politique et qu’il fallait donner la priorité à l’égalité sur la religion.
Mais le coup le plus rude au message d’André Pratte qui paraît aujourd’hui et dont j’ai parlé plus haut, c’est le caricaturiste Gérard Chapleau qui le porte, à côté même de l’éditorial de son patron. Incroyable que Pratte ne s’en soit pas rendu compte avant d’en autoriser la publication à titre de rédacteur en chef.

Charest revêtu d’un voile qui se dissimule dans un groupe de musulmanes et qui déclare « Bonne chance à l’UPAC pour me trouver », c’est l’illustration parfaite de la façon dont le PLQ tente d’utiliser le débat sur la Charte pour détourner l’attention des Québécois de l’enjeu principal qui est la façon dont les Libéraux ont utilisé le pouvoir pour servir leur intérêt personnel et ceux de leurs alliés sous couvert de défendre le régime fédéral et le maintien du Québec dans le Canada, et c’est le désaveu le plus clair des propos de Pratte.
Tout ne va donc pas pour le mieux dans le monde de nos adversaires.
Concrètement, dans l’immédiat, la levée du huis-clos d’abord décrété par la Commission Charbonneau sur le témoignage de l’entrepreneur Sauvé va avoir des conséquences assez radicales au cours des prochains jours. En effet, on voit mal comment, même s’il n’a pas encore été accusé formellement de quelque infraction ou acte criminel que ce soit, Jean-Marc Fournier, l’ancien ministre du PLQ et chef parlementaire de l’Opposition officielle va pouvoir conserver son poste.
À l’Assemblée Nationale, ce poste le place en pointe dans les attaques quotidiennes de l’opposition contre le parti au pouvoir. On imagine dès lors tout le plaisir que pourraient prendre les ministres du PQ à préfacer leurs réponses de commentaires qui ne feraient que tourner le fer dans la plaie du PLQ et à maintenir à l’avant-scène tout ce que le PLQ souhaiterait pouvoir escamoter.
Au sein même de la députation libérale, les couteaux ont déjà commencé à voler bas, et c’est Christiane St-Pierre qui a donné le ton avec un commentaire tout ce qu’il y a de plus transparent, qui illustre à la perfection la partie qui va se jouer.

« Ce qui est important, c'est que l'UPAC fasse son travail, a-t-elle soutenu. S'il y a des personnes qui ont fait des choses croches au sein du PLQ, il faut que ces gens soient sanctionnés. [...] Notre parti est une institution et cette institution va survivre à cette histoire-là. Il y a de bonnes personnes et il y en a peut-être de moins bonnes. S'il y en a des moins bonnes, il faut que ces gens-là fichent le camp. » [Mes caractères gras]

Comme le dit le proverbe, « À bon entendeur, salut ! ». Reste maintenant à voir si Jean-Marc Fournier est un bon entendeur ou s’il fera tout pour se cramponner à son poste en espérant que sa hauteur tienne les vautours (la Commission Charbonneau, l’UPAC, les journalistes) à distance ou les intimide le plus longtemps possible.
Imaginez maintenant la situation dans laquelle se retrouve Philippe Couillard avec la levée du huis clos sur le témoignage de l’entrepreneur Sauvé. La veille de celle-ci, il affirmait péremptoirement que ni lui ni aucun membre de sa députation n’avaient rencontré les enquêteurs de l’escouade Marteau ou de l’UPAC à la demande de ces derniers.
Il lui reste beaucoup de choses à comprendre sur le fonctionnement d’une enquête policière. Les témoins principaux sont toujours les derniers rencontrés, lorsque toute la preuve nécessaire à leur éventuelle mise en accusation a été recueillie et qu’il ne reste plus qu’à obtenir leur version des faits et à les confondre si possible par le jeu des contradictions avec leur propre témoignage. Ensuite, il peut s’écouler des mois, voire même un an ou deux avant que les policiers ne reviennent, munis cette fois-ci d’un mandat d’arrestation.
La conclusion de Philippe Couillard à l’effet qu’il serait blanc comme neige parce que la police ne s’est pas encore présentée chez lui pour le rencontrer pour autre chose que des questions sur le financement du PLQ sous le gouvernement de Jean Charest ne constitue en aucune façon un brevet de bonne conduite, et c’est prendre les Québécois pour des imbéciles que de chercher à le leur faire croire. Mais peut-être cherchait-il tout d’abord à s’en convaincre lui-même.
Quoiqu’il en soit de son propre sort, Philippe Couillard va d’abord devoir se comporter en chef de parti, et convaincre Jean-Marc Fournier, sans doute par l’entremise d’un de ses lieutenants, qu’il dégage. Un témoignage comme celui de l’entrepreneur Sauvé, rendu dans le cadre solennel d’une commission d’enquête après contre-interrogatoire du PLQ, c’est fatal dans l’opinion publique, même si la preuve ne devait pas être suffisante pour porter des accusations au criminel.
S’il ne fait rien, Couillard perd la face dans l’opinion publique, et si Fournier s’en va, la perception que le PLQ traverse une crise grave qui le rend inapte à gouverner au moins temporairement s’accroît. Le PLQ est confronté à une situation qui ne lui laisse plus de bons choix.
Et ce n’est pas tout. L’entrepreneur Sauvé a également révélé le modus operandi du PLQ, la façon dont le président du PLQ, l’avocat Marc-André Blanchard, associé du bureau McCarthy et Tétrault où ont trouvé refuge les anciens premiers ministres Libéraux Daniel Johnson fils et Jean Charest, profitait de son poste pour développer sa clientèle (le fameux « développement des affaires »), pour éventuellement facturer des services qui lui profitaient (ce qui est normal), mais qui profitaient aussi au parti (ce qui est moins normal et qui devrait intéresser le syndic du Barreau), et qui profitaient également à une autre entreprise proche du parti, l’agence de communications BCP, dirigée par John Parisella à l’époque.
Pour mémoire, John Parisella a été directeur général du PLQ dans les années 1980, a occupé les fonctions de chef de cabinet adjoint des premiers ministres Robert Bourassa et Daniel Johnson (fils), et a été nommé délégué général du Québec à New York en 2009. John Parisella s’est également retrouvé au cour du scandale des commandites en 2005 lorsque BCP a été mise en cause pour l’obtention d’un contrat du gouvernement fédéral, alors dirigé par les Libéraux) dans des conditions douteuses.
Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il s’agit de tout un panier de crabes, et que les Libéraux auront fort à faire avant d’être de nouveau en mesure de se présenter devant l'électorat québécois pour lui demander de leur faire confiance, à moins qu’ils ne soient déjà morts sans le savoir.