Sur l’anglais intensif en 6e année

Tribune libre

Ce n’est pas l’anglais le problème. Ce ne sont pas les anglophones non plus. L’analyse doit être faite à un autre niveau. Il faut d’abord savoir que chaque langue a son statut dans une société, certaines sont vernaculaires, d’autres véhiculaires. La première catégorie renvoie à la langue parlée par une communauté seulement, c’est une langue qui ne sert pas à communiquer avec l’extérieur, qui a souvent acquis un statut de langue folklorique, bref, qui se meurt. On la trouve jolie, on l’associe au patrimoine, mais on la trouve de moins en moins utile comme outil de communication (une langue est beaucoup plus qu’un outil, soit dit en passant). La langue véhiculaire, elle est, s’il y a lieu (c’est le cas ici) celle du conquérant. C’est la langue que le peuple conquis voit peu à peu comme plus prestigieuse, parce qu’associée aux hautes sphères sociales, au patronat, comme la langue du salut, des occasions d’affaires, de la prospérité, de l’ouverture sur le monde (l’Angleterre et le Canada ont une belle histoire d’ouverture sur les autres cultures, c’est connu!). Bon, voilà pour le condensé de linguistique 101 (le numéro ici est dûment choisi!).
Venons-en à l’enseignement de l’anglais intensif en 6e année. D’emblée, je vais écarter tous les arguments d’ordre technique même s’ils illuminent, à eux seuls, l’impertinence, l’insolence de cette initiative (élèves en difficulté, faiblesses en français, pénurie de profs, régions où c’est inutile, cas des enfants déjà bilingues, absence de français intensif dans les écoles anglophones, etc.). Je vais me concentrer sur ce dont on ne parle pas, tabou historique oblige : la dynamique linguistique québécoise. À la lumière du cours de linguistique ci-haut, on comprend vite que le danger ne vient pas de l’enseignement de l’anglais à court terme, ni de la possibilité que les enfants choisissent l’anglais comme langue de vie à l’intérieur d’une génération. Ce risque est négligeable.
Pour ceux et celles qui ne lisent pas tout, voici le passage important!
Le danger, et il est considérable, est de faire en sorte de valoriser subrepticement l’anglais dans l’inconscient collectif et de l’élever doucement au statut de langue véhiculaire partout au Québec, ce qui aura pour conséquence d’abaisser le français au rang de langue vernaculaire, étape essentielle d’une assimilation violente sans armes. Le projet en marche ici, vieux comme le monde, consiste à faire passer l’idée toute faite que l’anglais est vital au Québec, ce qui n’est absolument pas démontrable autrement que par des impressions et des anecdotes spécieuses aux yeux de cette droite volubile qui voit notre unique langue nationale officielle comme un handicap. Le reste se fait tout seul… Le problème, donc, n’est pas tant la langue parlée, pas à court terme à tout le moins (ce programme ne rendra personne bilingue), mais plutôt la langue valorisée, la langue convoitée, la langue de celui qui domine assez pour la faire enseigner partout alors qu'il est minoritaire…
L’argument utilisé par les tenants de cette politique d’assimilation libérale tient au fait que l’anglais ne nuit pas au français, que le bilinguisme individuel est une richesse. Ils ont raison. La démagogie étant ce qu’elle est, cet argument réactionnaire et primaire insinue que les adversaires croient le contraire. Tout faux. Le problème n’est pas là, et les détracteurs de l’anglais intensif, dont je suis, n’ont jamais prétendu que l’apprentissage d’une langue seconde appauvrit, jamais.
Notons au passage que quand je parle de politique d’assimilation, je ne prétends pas que c’était l’intention du gouvernement d’assimiler les francophones, je prétends que ce sera le résultat, qu’on l’ait souhaité ou non.
En somme…
Il faut renforcer la Loi 101 et arrêter au plus sacrant cette politique d’anglicisation des enfants.
La grande question de Claude Péloquin prend tout son sens ici et maintenant.
Ce projet est une grave erreur historique et, comme pour toutes les autres, on n’aura pas écouté les appels à la prudence et on se dira qu’on n’aurait donc pas dû…
Note : ajouterais-je les dernières trouvailles du recensement (octobre 2012) de Statistique Canada démontrant le recul de la langue française au Québec que l’argumentaire serait plus infaillible encore!
« Ce n’est que lorsqu’on connaît vraiment une langue — je ne dis pas des mots, je dis une langue, c’est-à-dire un tout formé des parties possédant sa logique propre – que l’on peut, par transposition, en apprendre d’autres. »
— LACHANCE, Louis, Philosophie du langage, Montréal, Éditions du Lévrier, 1943.


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