Six questions à Jacques Parizeau

Parizeau relance le projet de souveraineté


Mathieu Turbide - L’ex-premier ministre a lancé cette semaine son livre La Souveraineté: hier, aujourd’hui et demain.
***
Vous dites, dans ce livre, qu’il faut tirer des leçons de 1995. Quelles sont, selon vous, dans le référendum de 1995, les erreurs desquelles il faudrait tirer des leçons?
Des erreurs ? J’en ai fait, c’est sûr. Par exemple, c’était clairement une erreur de promettre à tous les fonctionnaires fédéraux travaillant au Québec une job équivalente. Ça ne nous a pas fait gagner une voix dans l’Outaouais, mais ça nous en a fait perdre à Québec. Ça s’appelle une erreur politique.
Mais quand je parle de tirer des leçons, ce n’est pas nécessairement de ça dont je parle. En 1980, on offrait de négocier la souveraineté-association. Et on va bien le vendre. [...] Au bout du compte, on s’est retrouvé avec des Canadiens qui ont répondu: «Allez au diable!» En 1995, on a essayé autre chose. On s’est dit qu’on n’allait pas donner de poignée à ceux qui disent «pas d’association avec le Québec».

Le projet de libre-échange s’est présenté. On l’a appuyé avec les libéraux. On s’est retrouvé tout à coup protégé par les États-Unis. Il y a des règles dans une zone de libre-échange. Même chose pour la monnaie. On a dit: on la garde. [...] Même chose pour la nationalité canadienne. On a dit: on n’a pas d’objection à la double nationalité. Si vous y tenez, allez voir à Ottawa. L’idée c’était: pas de poignée. Alors, pour la prochaine, ça, il ne faut pas oublier cette leçon-là. Il faut se placer dans une situation où l’autre va être forcé de discuter parce que s’il refuse de discuter, il sait que ça ne changera rien.
Que pensez-vous du travail de Pauline Marois ? Elle subit beaucoup de critiques, même de la part des souverainistes. Plusieurs s’ennuient de vous…
Je trouve que les gens sont sévères avec elle. Parce que je me souviens. J’ai été chef de l’opposition pendant cinq ans. On disait: «Il n’a pas de charisme», «il n’aurait pas dû dire ça», etc. C’est un travail qui n’est pas facile. On n’a pas les outils du pouvoir. Il faut toujours parler.
Et puis, elle a fait quelque chose de remarquable: elle nous a libérés de l’obsession de la date du prochain référendum. [...] Un référendum, on le fait quand on est prêt. Nous, après avoir été élus en 1994, on l’a fait rapidement. Mais on était prêt. On le préparait depuis des années.
Les problèmes de l’ADQ laissent orphelins plusieurs électeurs, plus à droite. Le PQ, qui se dit parfois un parti de coalition, devrait-il faire des efforts pour aller chercher cet électorat-là?
Je ne veux pas m’embarquer là-dedans. J’ai été embarqué dans ce genre de considérations tactiques pendant des années. Ce que j’ai essayé de faire dans ce livre-là, c’est quelque chose qui ne soit pas partisan, pas polémique, où il n’y a pas de noms propres. Je veux simplement amener un effort de réflexion. Et c’est difficile d’amener les gens à réfléchir s’ils sont pris dans toute espèce d’hommerie. L’hommerie, c’est l’ennemi de la réflexion. En politique, ce qui m’intéresse, c’est l’idée, pas du tout qui va la faire.
Par exemple, le système des vouchers en éducation. On divise le budget de l’éducation et on fournit des coupons à des parents qui choisissent ensuite l’école où iront leurs enfants. C’est indiscutablement une idée de droite. Peu importe qui défend cette idée, débattons-en. Si ça intéresse assez de gens dans la société, parlons-nous. C’est ça, le sens du livre. Ça ne veut pas dire que je cherche à éloigner qui que ce soit du Parti québécois, c’est plutôt le contraire.
Vous parlez beaucoup de l’éducation dans ce livre. Vous avez dénoncé les taux de décrochage très élevés chez les garçons, par exemple. Qu’est-ce qu’il faudrait faire pour améliorer la situation?
Il faut que le ministère nous parle. Pas nous envoyer un ministre pour nous dire si peu, puis un autre ministre pour nous dire encore si peu. Le ministère travaille en vase clos.
La réforme, par exemple, illustre bien cela. Ç’a été un échec. Et pourtant, au départ, quand j’ai donné les mandats aux États généraux sur l’éducation, je croyais que ça aboutirait sur un retour aux méthodes d’éducation plus rigides, plus conservatrices.
C’est entré dans la machine à saucisses du ministère et on a vu ce que ça a donné. [...] En Suède, il y a 200 employés au ministère de l’Éducation. Ce sont les commissions scolaires qui prennent les vraies décisions. On ne pose pas la question de savoir qui dirige. Ici, on ne sait plus.
Prenez cette nouvelle publiée dans votre journal, jeudi, sur la nouvelle orthographe qu’on accepte maintenant dans les examens. Ça m’a mis hors de moi, cette histoire. J’étais en colère. Encore une fois, on va utiliser les enfants comme des cobayes. Il faut que ça cesse. [...] Il faut reconstruire le ministère de l’Éducation.
L’avis de la Cour suprême sur la clarté, de 1996, mettra-t-il des bâtons dans les roues des souverainistes lors d’un troisième référendum?
Non. Les honorables juges de la Cour suprême, ils ont été très subtils. Ils ont ouvert une possibilité: que se passerait- il si les négociations échouaient? Si le référendum est gagné et qu’il est clair dans ses résultats dans ses questions, le Canada aura l’obligation de négocier. Chrétien, lui, a répondu que si ce n’était pas assez clair, il ne négocierait pas.
L’avis dit, alors que le Québec aurait à s’appuyer sur une déclaration unilatérale de souveraineté et qui serait acceptée par la communauté internationale selon le comportement de Québec et d’Ottawa.
Paul Desmarais a-t-il gagné la bataille en amenant le président français Nicolas Sarkozy à faire une profession de foi dans un Canada uni?
En 1995, il avait essayé la même chose, mais il avait misé sur le mauvais cheval: Édouard Balladur. Moi, dans mon voyage officiel en France, en janvier 1995, j’ai misé sur Chirac, avec l’aide de Phillipe Séguin. Et il y a eu la déclaration de Chirac à CNN.
Desmarais s’est occupé de Sarkozy, il lui a donné un coup de main. Sarkozy a une dette de reconnaissance à son égard. Il a misé sur le bon cheval. Il a obtenu ce qu’il voulait. Alors, on en gagne une, on en perd une…


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé