Si on votait

Chronique d'André Savard


Le familier des forums indépendantistes sait de quoi il en retourne depuis dix ans, Au cours de la présente campagne toutefois, des tables rondes dans les grands médias l’évoquent fréquemment comme un facteur décisif. Une frange importante de l’électorat est encline à refuser de participer à une élection de niveau provincial.
De mémoire d’homme, c’est la première fois que j’entends autant parler d’abstentionnisme dans l’analyse d’une campagne électorale au Québec. À l’étranger, on associe souvent abstentionnisme et manque de politisation. Au Québec, l’abstentionnisme touche des classes sociales souvent plus scolarisées et un groupe politique spécifique, nombre de ceux en fait qui se qualifient de «vrais indépendantistes».
L’abstentionniste prétend notamment que le recours à un référendum est suicidaire. L’argument le plus souvent énoncé tient en trois lignes, de la prémisse à la conclusion, comme le voulait Aristote pour analyser les syllogismes. Voilà ce que ça donne :


Personne ne veut d’un référendum

Ce dont personne ne veut empêche la souveraineté

Le référendum empêche la souveraineté


Même si c’est l’argument le plus largement répété par les abstentionnistes, ce n’est pas le meilleur. D’abord, la prémisse soutenant que personne ne veut d’un référendum est fausse. Pour les tenants du recours référendaire, un processus unilatéral suivant une élection va engluer le Québec dans des histoires disparates. Le Fédéral pourra, en raison de sa légitimité d’Etat souverain avec juridiction exclusive sur le Québec, destituer les prétentions de l’Assemblée nationale auprès des instance juridiques qui sont à sa solde.
À quoi les opposants du référendum répliquent que les Québécois ne voteront jamais oui à un prochain référendum car ils ne pourront jamais savoir clairement sur quoi ils votent. Votent-ils pour que le Québec soit un pays ou pour que les règles de sécession s’appliquent? Or les règles de sécession qui découlent de la loi absurdement nommée «la loi de la clarté» ne sont pas claires du tout sur le pouvoir du Québec de décider de quoi que ce soit. La loi fédérale part du principe qu’un Etat provincial est une unité administrative appartenant au Canada et dont tout droit est octroyé par le Canada.
Certains diront que ces considérations sont vaines. C’est aller chercher trop loin si l’objectif est d’analyser les aléas de la faveur populaire. Le comportement électoral en est un de perceptions, diront-ils. Le peuple réagit à l’image. Dans l’image, il est important que le premier plan soit net et, à ce titre, ce sont les effets présents qui commandent les résultats des sondages, pas une loi adoptée il y a des lunes.
Ceci est vrai mais quand on analyse les «effets présents», on a derrière soi l’impact de certaines formes. Les sondages disent que Jean Charest est jugé le plus apte à gouverner le Québec, peut-être parce que le Québec, sur l’échiquier actuel tel qu’il paraît dessiné par le Fédéral, ne tolère qu’un héros des petites choses. Les candidats du parti Libéral ne parlent même pas d’autonomie du Québec.
Le 22 février, en entrevue avec Dominique Poirier, Christine St-Pierre se disait satisfaite du cadre d’évolution au Canada qui autorisait l’autonomie des provinces. On n'a pas à discuter davantage du Québec mais à suivre la philosophie pratique des temps présents, se dit-on au parti Libéral. Or le seul cadre pratique qui existe, c’est celui des relations fédérales-provinciales. On n'a pas à parler du fin fond des choses. Ce serait trop figeant, trop enfermant, alors qu’au Canada, il n’y a qu’un sentier.
Les sondages présentent un instantané dans un Québec qui n’est pas autorisé à vouloir plus que l’autonomie des provinces. À présent, c’est le Fédéral qui exige, dans l’éventualité où les souverainistes prendraient le pouvoir, un référendum. C’est le Fédéral qui s’accapare la formule dans l’imagination populaire en soutenant que ce référendum sera le déclencheur d’un processus au cours duquel on nous laisse présumer que le Québec ne décidera plus de grand-chose. Et surtout, les fédéralistes nous promettent une crise du système majeure en raison d’imbrications structurelles majeures.
On comprend très bien la stratégie. Les activistes canadiens savent que les Québécois voteraient en faveur de la souveraineté du Québec si on leur disait que cela peut se faire sans passer par une crise systémique, expression mystérieuse qui paraît recouvrir les gouffres d’un fleuve. Par contre, dans le cadre de l’autonomie des provinces, comme le disent Charest et son équipe, nous obtenons des retours d’impôts intéressants. Nous reconnaissons là le jeu sur deux tableaux, celui de la menace et de la séduction. Le Québec n’est pas souverain mais comme il peut se donner des objectifs, il a ses possibilités, dira Charest avec ses ouailles.
Que faire alors? Donner les signes d’une nouvelle période historique qui se bâtira sur le principe que le Québec existe par lui-même.
Dans le nouveau programme du Parti Québécois, il est clair que l’Etat québécois doit susciter son propre jugement et une position active qui découle du fait que nous sommes une nation, ceci avant que nous devenions souverains. Nous devons promulguer d’emblée une Constitution. Il va sans dire que cette Constitution doit stipuler en préambule l’attachement du Québec à la souveraineté et aux droits humains.
Dans le cadre actuel, la nation québécoise se caractérise par son existence énigmatique. Afin de réhabiliter le statut de province, Charest essaie de convaincre Stephen Harper de prôner une zone de libre-échange avec l’Europe. Par cet exercice, il entend démontrer qu’à titre de représentant d’un pouvoir intermédiaire, un premier ministre du Québec peut emporter la conviction des autorités supérieures. Charest dira, s’il obtient (fort improbablement) gain de cause, que le Québec peut exercer son influence dans les délibérations de corridor même lorsqu’elles traitent de thèmes internationaux.
Tant que des fédéralistes seront au pouvoir, la morale de l’aventure québécoise sera toujours la même. Le Québec n’est pas si mal car il peut influer souvent sur les directives des instances supérieures. Tous à cette idée qui nous ronge l’esprit, nous l’engraisserons des images les plus courantes, les séances de signatures et de participation à des délégations. Ainsi va la pratique de l’information dans la «belle province».
Avec Jean Charest au pouvoir pour un deuxième mandat, le Québec sera comme un individu qui ne croit pas possible de dire «moi, c’est moi» avant de se penser avec d’autres. Nous ne sommes pas encore sortis de l’ornière du «c’est très vilain, ça ne se fait pas». Charest, plus que tout autre premier ministre du Québec avant lui, refuse que le Québec soit le mouton noir et, de ce fait, refuse que le Québec existe par lui-même.
Pendant quatre autres années, si Charest est élu, à chaque fois que le Québec obtiendra un retour d’impôts, on présentera cela comme la trouvaille du nouveau siècle. On dira que l’on vient de trouver une expression rigoureusement mathématique aux idées d’affirmation de l’autonomie provinciale.
Jean Charest est le premier ministre idéal dans notre état actuel où il n’est pas question d’être doué si les autorités et la collectivité canadienne n’en donnent l’autorisation. La notion de vivre avec ce qu’on peut et avec qui on veut ne s’est pas encore instillée de façon suffisante dans la population.
Et les fédéralistes, s’ils occupent à nouveau le gouvernement, n’auront qu’à rire tout leur content de ces indépendantistes qui n’obtiennent rien. Regardez-les, diront-ils au cours de ce second mandat qui leur aura été alloué, au fond, par les indépendantistes eux-mêmes, comment pouvez-vous faire confiance à des gens qui croient avant tout dans la force de l’abstention? Ils ne sont bons qu’à s’accuser mutuellement de manquer d’audace, d’être responsables d’une praxis incohérente et de ne pas savoir développer le «parler vrai indépendantiste».
Les indépendantistes pendant ce temps se feront du tort en parlant de leur leadership soutenu par personne ou qui ne convient pas pour toutes sortes de raisons. La population, témoin de ces formes de comportement, y verra une marque parmi d’autres de son destin national manqué. Elle sera ainsi préparée à oser encore moins.
Si les indépendantistes montrent qu’ils savent voter en masse, ce sera un signe de vigueur. Sans ce signe, la population ne croira pas en la possibilité d’une nouvelle période historique. Elle fera son choix entre des provincialistes et ceux qui sembleront être des chicaniers intéressés par-dessus tout par leurs affaires internes.
André Savard


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2 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    27 février 2007

    Si je comprend bien vos propos, M. Savard, vous proposez que tous les souverainistes forment un parti politique dont l'unique programme sera de rassembler une masse électorale puissante et unifiée à laquelle on demandera ensuite de voter pour un autre parti politique, le PQ, qui pour des raisons diverses est incappable d'unir cette masse, afin que celui-ci puisse accéder au pouvoir et faire un referendum sur la souveraineté.
    Vous avez pas une étape de trop et innutile, là?
    La situation est archi-simple, M. Savard: Le programe du PQ ne contient aucun geste d'affirmation nationale, autre qu'un référendum. Il se recentre trop à droite. Tandisque l'ADQ propose un programe qui contient des gestes d'affirmation nationale et Québec Solidaire, de gauche, se dit souverainiste.
    Résultat: Le PQ descend. L'ADQ et QS montent.
    C'est enfantin.
    Le PQ croyait à tort de pouvoir retenir tous les souverainistes uniquement grâce au référendum. Qu'ils le nomment "consultation populaire" est sans importance pour les souverainistes.
    Le PQ a cru à tort car il a perdu trop longtemps contact avec son électorat. Il ne le connaît plus. Tellement, qu'il n'a même pas été cappable de raisonner le message que cet électorat lui lançait en pleine face en 2003.
    En quelques mots, la recette de l'unité:
    Nous voulons des gestes concrets d'affirmation nationale. Nous voulons un État social démocrate, laïque. Nous voulons une reconnaissance claire des peuples Québécois fondateurs qui ont la prérogative en droit sur leurs avenirs et la construction du pays.
    Si nous sommes incappables de voir le Québec dans son ensemble, et persistons à ne le concevoir qu'entre souverainistes et d'un parti qui en a une vision atrophiée, il n'y aura jamais de pays. Jamais d'unité.
    Et certainement jamais avec des partis politique qui se comportent comme des clubs privés.

  • Michel Guay Répondre

    27 février 2007

    Si les divisionnistes se ralliaient au Parti Québecois comme les fédéralistes se rallient aux parti des commandites de Charest nous l'aurions cette majorité libérante et nous pourrions mettre fin en peu de temps à cette dépendance coloniale de la nation québecoise.