Le sexisme décrié ces dernières semaines par mes concitoyennes d’autres horizons en ces pages du Devoir appelle également un regard sur la langue française. Le féminin et le masculin n’y occupent pas une place égalitaire dans la grammaire, en dépit des avancées prometteuses des 40 dernières années sur le plan lexical, mais des avenues inédites aideraient à poser une perspective nouvelle sur les rapports entre genres et sexes en français. En voici quelques facettes.
Les travaux d’Edwige Khaznadar (1990) démontrent qu’un lien direct entre genres et sexes prévaut pour plus de 94 % des noms communs de personnes en français, sinon davantage : « l’officière, l’officier ; ce ou cette commis ; la chirurgienne, le chirurgien ; le ou la médecin ; un caporal, une caporale ; son ou sa chef », etc.
Il est d’ailleurs notable qu’en français moderne, au fur et à mesure que les citoyennes se réapproprient les fonctions sociales, les formes féminines et leur équivalent masculin tendent à se rapprocher (Kathleen Connors, 1971). Ainsi note-t-on judicieusement la désormais désuétude du suffixe «-esse » (la contremaître, la poète, une traître) et l’ascension de la fort productive finale en «-eure », de surcroît identique à l’oral à son dédoublement masculin : « amateure, défenseure, entraîneure, sculpteure, vainqueure », etc.
Le dernier bastion à résister à cette modernisation linguistique, le monde judiciaire, finira bien par céder avec ses éventuelles « défendeures, demandeures », voire « vendeures » et « acheteures » ! Mais qui osera en premier s’avancer ? Une procureure, un juge, la témoin d’une audience, une personne mise en cause, un huissier, une greffière, des innovateurs du monde extrajudiciaire, une instance officielle du gouvernement ? À voir.
Dédoublements factices
Revenons au caractère évolutoire du français, lequel montre la disparition heureuse d’une foule de dédoublements en genre futiles au profit d’une forme commune. Ainsi en est-il pour « sal, salle » ; « perplex, perplexe », « magnific, magnifique », etc., devenant, au fil des ans, « sale, perplexe, magnifique ». Dans cette dernière catégorie en «-ique », il reste un unique dédoublement, à savoir « public, publique », parmi les 1577 adjectifs, « laïque » ayant pris cette tangente récemment. Pourquoi ne pas l’adopter d’emblée dans l’espace publique et éliminer de facto une exception ?
Dans la même veine, il devient caduque de s’empêtrer continuellement parmi les quelques dédoublements en «-ile, il » (civile, civil ; subtile, subtil ; etc.) alors qu’à portée de main circulent des formes communes en genre : « délébile, facile, fertile, servile, utile, etc. ». Et de tels exemples abondent !
Observation similaire pour les formes communes en genre « brute, caduque, compacte, exacte, pure », et tant d’autres adjectifs qui n’ont perdu que sur le tard le «-e » final au masculin. Pourquoi ne pas le leur restituer afin d’éviter ces dédoublements factices (brut, brute ; exact, exacte ; etc.) imaginés par quelques inventeurs du « bon » usage en mal de profondeur ?
Le linguiste Ferdinand Brunot a d’ailleurs souligné avec brio, dans les années 1930, que « pour le nombre des règles arbitraires ou inutiles à la perfection de la pensée, pour la vanité des conclusions et la haute fantaisie des prémisses, on ne peut comparer personne aux grammairiens de la Révolution et de l’Empire ». Et nous obéissons encore à leur diktat des siècles plus tard ?
D’autre part, la Fédération des professionnèles (CSN), en quête d’une solution originale et surtout simplifiée, a aboli, en 1998, le dédoublement « professionnel, professionnelle » pour une graphie commune en genre, sur le modèle de fidèle : « une, un professionnèle ».
Avant de crier au saccage de la langue française, il s’avère palpitant de colliger la riche nomenclature présentant déjà plus d’une forme, toutes acceptées, attestant d’un changement linguistique en cours : « acuponcture, acupuncture ; technologiste, technologue ; abrogatoire, abrogatif, abrogative », etc.
Que « clé, cuillère, téléférique, cachère » côtoient « clef, cuiller, téléphérique, kasher, kascher, cacher ou encore casher », témoigne aussi tout bonnement de la diversité de notre langue française ainsi que de sa capacité d’adaptation et de renouvellement, si lente soit-elle.
Le genre en évolution
Quant à l’aspect historique du genre masculin l’emportant sur le féminin, sa signification symbolique n’est point anodine : pour le français, ce sexisme grammatical est attribué à Vaugelas (1647), qui a statué le premier que le genre masculin est le genre le plus noble. Il faut attendre 120 ans, soit en 1767, pour lire Nicolas Beauzée soi-même expliciter cette acclamation par, nommément, le genre masculin est réputé plus noble que le genre féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. Rien de moins !
LINGUISTIQUE
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