Retour en arrière: dans mon enfance, à l'école primaire, chaque mois de juin, avant le début des grandes vacances, nous avions droit aux recommandations de la religieuse revêtue du costume noir, plus seyant et moins inquiétant que la burqa ou le niqab, certes, mais qui avait aussi pour dessein de recouvrir entièrement le corps féminin.
«Attention aux dangers de l'été, mes filles. Une bonne petite catholique ne porte pas de robe soleil [sans manche]. Il faut être décente, respecter son corps et ne pas le montrer aux garçons et aux hommes.»
J'adorais les religieuses, qui m'enseignaient toutes ces choses que je désirais connaître, si bien que, pour leur obéir, je devais me battre tout l'été contre ma mère qui voulait me faire porter ces robes indécentes qu'elle affectionnait. J'avais honte de m'exposer de la sorte et je priais pour que le temps soit inclément afin de recouvrir mes épaules et mes bras, objets de péchés pour le sexe mâle.
À l'adolescence, dans les retraites fermées, obligatoires, les prédicateurs les plus spectaculaires étaient ceux qui pourfendaient l'impureté. «Savez-vous, mesdemoiselles, que le désir sexuel du garçon est assez puissant pour faire décoller un avion? Votre rôle est donc de tempérer les jeunes garçons, de refuser toutes leurs avances, de vous vêtir de façon appropriée et de ne pas user de ce maquillage maudit qui provoque leur excitation.» J'entends encore les propos de l'abbé Lalonde, un personnage tonitruant, bellâtre, le prédicateur-imprécateur préféré des religieuses. Nous terminions cette retraite de trois jours assez dégoûtées de nous-mêmes. Nous étions les héritières d'Ève. Il nous fallait donc lutter contre notre nature qui entraînait les hommes dans le péché.
Avec un pareil passé qui a traumatisé des générations de Québécois, comment peut-on aujourd'hui accommoder raisonnablement des gens qui nous ramènent dans un temps anachronique, archaïque, en imposant des exigences basées sur le mépris du corps féminin, sur l'infériorité politique, sociale et morale des femmes? Comment peut-on user d'arguments comptables pour bafouer un principe, celui de l'égalité des sexes? Qu'il y ait six cas d'accommodements discriminatoires recensés à la Société de l'assurance automobile du Québec n'a aucune importance. D'ailleurs, le nombre réel de ces accommodements dits raisonnables, mais qu'il faut rebaptiser discriminatoires pour bien décrire la réalité qu'ils sous-entendent, ce nombre est irrecevable.
La société québécoise, une majorité de catholiques comprise, s'est affranchie difficilement de l'éducation bornée où le sexe était l'ultime obsession. La femme, faut-il le hurler sur les toits, ne peut être considérée comme un objet de péché. Les pratiques religieuses qui exigent que la femme menstruée, donc souillée, soit mise à l'écart durant ses règles, comme chez les juifs ultra-orthodoxes, ou qu'elle recouvre son corps, objet de concupiscence masculine, comme chez les musulmans, nous sont intolérables.
Les pratiques religieuses privées, si elles s'étendent au domaine public, deviennent affaires publiques. Nos institutions n'ont pas à les accepter. Il y a une différence de taille entre la liberté religieuse, celle de pratiquer selon les préceptes de sa religion, et l'extension de celle-ci dans la société civile. Et lorsque les exigences des musulmans religieux sont contestées au sein même du monde musulman et que l'on a la bêtise d'accepter chez nous ces manifestations qui sont autant de coups de force de lobbys organisés à l'échelle internationale, on fait preuve d'ignorance ou d'inconscience. Et on se retrouve par exemple à accepter la burqa chez nous alors qu'elle est interdite dorénavant à la grande mosquée du Caire et dans les cités universitaires de la capitale égyptienne.
La vue des femmes voilées, le visage sans maquillage, les bras et les jambes recouverts de tissu, est une expérience difficile pour beaucoup de femmes du Québec. Entre l'hypersexualisation des petites filles et la désexualisation volontaire de ces femmes musulmanes, il y a moins de contradictions qu'il n'y paraît. En s'affichant de façon provocante ou en se couvrant entièrement ou partiellement, le message est le même. Le corps féminin est soumis aux désirs et aux fantasmes de l'homme. La femme en est donc dépossédée, aliénée, au profit du mâle.
Le gouvernement pratique actuellement la politique de l'autruche. Contraint par les chartes, certes, mais également par une conception singulière de la tolérance à sens unique. En oubliant que tous ceux qui réclament, au nom de la laïcité, que l'on mette fin à ces accommodements discriminatoires ont autant le droit d'être entendus que ceux qui le font au nom d'une interprétation intégriste de la religion. C'est tout de même un comble que les non-croyants ou les croyants modérés qui revendiquent la laïcité de l'État se fassent traiter de fascistes et d'intolérants en refusant que l'on divise le Québec au nom d'une sexualité tordue qui se drape dans les pans de la religion.
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