Manifestations

Seule la démocratie peut "épargner une dérive islamiste" en Tunisie

"Crise dans le monde arabe" - Tunisie 2010


Par Dominique Lagarde - Alors que la Tunisie est secouée par une vague de protestation, Bochra Belhaj Hmida, Avocate, explique l'engagement du barreau tunisien. Elle appelle au dialogue.

L'appel à la grève lancé par le Conseil de l'ordre des avocats a été largement suivi en Tunisie le 6 janvier. Avocate, ex-présidente de l'Association des femmes démocrates, Bochra Belhaj Hmida explique l'engagement du barreau tunisien.
Pourquoi les avocats tunisiens étaient-il en grève hier?
Cette grève, largement suivie, avait été organisée en solidarité avec les avocats agressés par les forces de l'ordre lors d'une précédente manifestation.
En quoi le barreau se sent-il particulièrement concerné par le mouvement de protestation de la jeunesse?
Femmes et hommes de loi, les avocats sont naturellement sensibles à la problématique des libertés et des droits individuels.
Comment interpréter cette vague protestataire? Ses motivations sont-elles principalement d'ordre économique et social? Ou politique?
A la base, ses motivations sont d'ordre économique et social. Tout n'est pas négatif en Tunisie. Il y a des projets de développement, des mesures qui visent à créer des emplois. Mais cette politique n'est pas adaptée aux besoins de la société. Or l'Etat tunisien, qui se veut un Etat providence, a tendance à occulter les situations de crise. Ce sont l'absence de transparence, le déficit démocratique qui expliquent que la crise débouche aussi sur un malaise politique.
Personne, semble-t-il, ne l'avait vu venir, ni du coté des autorités, ni du coté des militants démocrates. Pourquoi?
Je ne suis pas d'accord. Depuis une dizaine d'années déjà des syndicalistes, certains médias privés, des défenseurs des droits de l'homme, certaines ONG, des journaux d'opposition avaient mis en garde les autorités. L'UGET, le syndicat des étudiants, n'a pas cessé, ces deux dernières années d'attirer l'attention de l'Etat sur la détérioration de conditions de vie des étudiants, en particulier la question du logement. De nouvelles associations, qui n'ont malheureusement pas été autorisées, ont vu le jour, qu'il s'agisse du mouvement altermondialiste ou de la Ligue des chômeurs diplômés. Sans parler des évènements de Redeyef (Gafsa), il y a trois ans. Mais l'Etat a choisi de faire la sourde oreille, refusant d'engager le dialogue, continuant à privilégier les associations et les partis d'allégeance et considérant tous les autres comme des "ennemis".
Le pouvoir parle d'instrumentalisation, certains, dont récemment encore l'ambassadeur de Tunisie en France, agitent l'épouvantail islamiste. Qu'en est-il?
L'instrumentalisation est le fait de tout le monde, à commencer par l'Etat. Mais c'est un phénomène secondaire, et même d'une certaine façon, normal. Ce n'est ni la cause du problème, ni sa solution. Je fais partie des Tunisiens qu'inquiètent la montée des islamistes et la menace de nos acquis qu'elle représente. Mais à mes yeux, seul l'engagement de notre pays sur la voie démocratique peut nous épargner une dérive, islamiste ou autre, et pas l'inverse.
C'est un mouvement sans leader... Où cela peut-il conduire?
Nous n'avons pas besoin d'un leader, cette idée de leader est l'une des causes de nos maux. Nous avons en revanche besoin de réfléchir ensemble, Tunisiens de tous les bords, à l'avenir de notre pays. Le pouvoir doit prendre l'initiative de rompre avec la langue de bois, et cesser de monopoliser la parole politique. Même si ce mouvement s'essouffle, ce qui est possible, rien se sera plus comme avant.


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