Se garder d’oublier

Le débat sur la charte était nécessaire, légitime et pertinent. Les ministres libérales Weil et St-Pierre réduisent les Québécois musulmans à un bloc monolithique.

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Nous nous en souviendrons

Ainsi donc, à en croire les déclarations de Kathleen Weil, ministre de l’Immigration, de la Diversité et de l’Inclusion, l’heure est à la « guérison des blessures » occasionnées par la charte de la laïcité proposée par le Parti québécois, alors que sa collègue Christine St-Pierre, ministre des Relations internationales, a renchéri à ses côtés pour nous faire la promesse d’améliorer « l’image » du Québec à l’étranger, qui aurait été « assurément » ternie pour les mêmes raisons.

Curieux propos de la part de ces deux ministres, tenus avec empressement au lendemain de leur assermentation. Ni l’une ni l’autre n’a songé, un seul instant, à prendre quelque hauteur, quelque distance, quelque recul pour envisager notre avenir avec plus de sagesse et d’aptitude. Et surtout, quelle drôle de façon de résumer un débat sociétal aussi important et sensible en termes de « blessures », « d’image » et de « guérison ».

A-t-on parlé pendant toutes ces longues et nombreuses années, et ce depuis 2006, pour ne rien dire ? Car rappelons-nous qu’avant l’épisode de la charte, il y a eu les audiences de la commission Bouchard-Taylor. N’y a-t-il vraiment rien d’autre à retenir de cet exercice démocratique où l’on a entendu des témoignages rigoureux et percutants ? N’y a-t-il vraiment rien à faire en matière de laïcité et d’accommodements religieux ? N’y a-t-il vraiment rien d’autre à dire, au sujet de la forte mobilisation de la société civile, que de reproduire une rhétorique infantilisante : victimaire à l’égard des « immigrants » et forcément « culpabilisatrice » à l’endroit de la « société d’accueil »? Car il faut bien aller jusqu’au bout du raisonnement de Mme Weil : s’il y a des victimes, il y a forcément des coupables. Coupables de quoi, au juste ?

Cette sémantique traduit bel et bien un état d’esprit au sein du Parti libéral, lequel démontre clairement, encore une fois, son incapacité à saisir la complexité de faire société ensemble, à cerner les défis auxquels fait face la nation québécoise en plus de méconnaître les préoccupations du vivre-ensemble à l’échelle internationale.

Que l’on ait été pour ou contre la charte, notre questionnement collectif était nécessaire, légitime et pertinent. Au moment d’un nouveau départ pour le Parti libéral au pouvoir et à l’heure d’un douloureux bilan pour le Parti québécois, il serait suicidaire, dans un cas comme dans l’autre, de jeter le bébé avec l’eau du bain et surtout de faire semblant que ce débat n’a jamais existé. Se garder d’oublier, voilà le défi des uns et des autres. Car force est de reconnaître que nous avons cheminé comme société, et ce, en assumant nos divergences idéologiques et politiques.

Le débat est un outil à part entière de la démocratie et non fatalement le symptôme d’un mal-être ou d’un malaise. À travers ce levier, nous retrouvons le sens de la citoyenneté et l’envie d’agir collectivement. Cependant, débattre suppose un certain sens civique, l’acceptation du jeu démocratique, du pluralisme. Bref, cessons de dramatiser les divergences et surtout de cataloguer la confrontation des points de vue en termes de « victimes » et de « coupables » ! Débattre nécessite, enfin, une façon d’appréhender le monde loin du déni, des accusations et de la partisanerie. Ceux qui prétendent que ce débat sociétal est clos se trompent lourdement, les raisons de son existence n’étant pas conjoncturelles mais structurelles. C’est un peu comme la dette, monsieur Couillard !

D’une façon générale, la problématique de la séparation des pouvoirs politiques et religieux est récurrente en démocratie. Dans le cas qui nous préoccupe, c’est-à-dire celui du Québec, la question de l’existence de notre nation, de son émancipation et de son devenir n’est pas chose du passé. Le caractère particulier, au sein de la fédération canadienne, du Québec, assujetti à une Constitution ainsi qu’à sa Charte canadienne des droits et libertés (qu’il n’a pas signée en 1982, qui consacre dans son préambule la « suprématie de Dieu », « la primauté du droit » et qui promeut le bilinguisme et le multiculturalisme comme idéologie d’État), fait partie du problème et non de la solution.

Si Mme St-Pierre avait porté une attention particulière à toutes ces questions, à l’échelle internationale, elle aurait certainement réalisé que les questions du vivre-ensemble font largement débat ailleurs dans le monde, que ce soit en Occident, en Orient ou encore au Maghreb. Elle aurait aussi compris que ce qui ternit « l’image du Québec » dans le monde, ce n’est pas son envie de définir sa propre destinée en débattant de tous ces sujets comme le font tous les autres pays, mais l’incapacité de son État à tracer une ligne claire entre le politique et le religieux en raison d’une interprétation trop large de la liberté de religion, confondue avec la liberté de conscience.

Pensons à l’histoire de la petite fille de cinq ans en maternelle obligée de porter un casque insonorisé de façon à la « prémunir contre la musique » dans une école publique de Montréal, histoire qui fit le tour du monde. Pensons à la secte de Lev Thaor qui a fui Israël pour le Canada. Pensons aussi au kirpan, poignard à double tranchant, permis dans les écoles et interdit à l’Assemblée nationale (pour le moment). Et que dire du crucifix qui trône sur la tête du président de l’Assemblée nationale, symbole accroché par Duplessis pour justement marquer l’alliance qui unissait l’État et la religion ?

Quant à Mme Weil, si elle avait affiché une plus grande ouverture lors des audiences de la commission parlementaire sur le projet de loi 60, elle se serait rendu compte que les immigrants de culture musulmane ne constituent pas un bloc monolithique. Cette disposition lui aurait probablement évité de s’enfermer dans une posture essentialiste qui relève d’une forme de racisme et qui prétend, comme elle l’a soutenu, que « la communauté maghrébine a été particulièrement blessée par la charte des valeurs du Parti québécois ».

Nous sommes d’origine maghrébine et nous avons soutenu la charte. Plus encore, nous l’avons défendue sous la bannière du Parti québécois aux dernières élections. Nous n’accepterons pas que nos voix soient étouffées, bâillonnées ou encore oubliées, car nous sommes d’abord et avant tout des Québécoises et Québécois, citoyennes et citoyens laïques avant toute considération.

Et pour nous, définir les contours du vivre-ensemble au Québec dans une société démocratique, pluraliste et multiethnique est une urgence, surtout à l’ère de la mondialisation, de la montée des intégrismes religieux, des mouvements d’extrême droite et de la prolifération des communautarismes, de l’intensification des flux migratoires et de la nécessaire exigence des solidarités internationales.

* Les quatre signataires ont été candidates du Parti québécois aux élections du 7 avril. Une cinquième, Yasmina Chouakri, ayant repris ses activités professionnelles, n’a pas cosigné ce texte pour respecter son devoir de réserve et de neutralité.


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