S’ouvrir au monde, ce n’est pas s’américaniser

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L'américanisation du monde entraîne son rétrécissement

La puissance de l’empire, à toutes les époques, c’est de prétendre incarner la seule idée possible de l’universel. L’empire s’impose à nous comme la forme achevée de l’humanité, et ceux qui y résistent sont accusés de s’enfermer dans une différence provinciale folklorique et anachronique, en retard sur la marche du monde. Traduisons concrètement, à la veille de la fête nationale: l’Amérique, c’est l’empire, et il faut tout faire pour lui ressembler, et même pour s’y fondre, au nom de l’ouverture sur le monde, alors que combattre pour un Québec français, et dans les circonstances, chanter en français pour la fête nationale, c’est être, au choix, réactionnaire, enfermé dans le passé et accroché à une différence résiduelle. Plus encore, plaider pour qu’on chante en français, et insister pour qu’à la Saint-Jean, on ne chante qu’en français, cela consisterait à vouloir asphyxier les artistes en les enfermant dans un cocon culturel protectionniste sous-oxygéné.


On aurait envie de répondre: s’ouvrir au monde, ce n’est pas s’américaniser – cela ne consiste pas, pour chaque pays, à s’annexer culturellement à l’empire en se contentant d’y ajouter sa petite nuance identitaire. Plus encore, c’est résister à l’américanisation du monde, qui impose partout les mêmes enseignes, les mêmes chansons, les mêmes goûts, aussi, comme si partout sur terre, il fallait se sentir dans une reproduction le plus fidèle possible du New Jersey. Quand un jeune Québécois, aussi doué soit-il, réclame son droit de chanter en anglais, on peut certainement lui en reconnaître le droit, s’il y tient, mais on est aussi en droit d’y voir le symptôme d’une aliénation culturelle de plus en plus profonde, comme si pour créer, ce jeune homme ne pouvait plus passer par sa propre culture, avec son imaginaire propre, mais emprunter les codes de l’empire, ce qui s’accompagne souvent du fantasme d’y faire carrière et fortune. Comme si le seul véritable succès consistait à être reconnu par l’empire, au point même où lui viendra la tentation de l’adoption du jeune talent qu’il veut recycler pour se l’approprier.


Il est étonnant que notre époque qui parle tant de diversité soit si peu soucieuse de la diversité des peuples, des nations et des civilisations. C’est pourtant à travers elle que le genre humain dévoile ses nombreux visages. Notre époque parle de diversité mais ne la prend pas au sérieux. Elle peine à comprendre que c’est dans la mesure où chaque peuple peut créer dans son propre univers et sa propre langue que la diversité du monde sera vraiment valorisée – il ne s’agit pas ici de dire que les cultures ne s’influenceront pas entre elles, ce qui serait absurde et malheureux, mais que malgré ces nombreux emprunts, très souvent féconds, chacune garde au moins son génie propre et conserve le désir d’exprimer sa singularité. Si nous ne sommes tous, finalement, que des retraducteurs de la norme dominante, qui est aujourd’hui américaine et anglophone, nous nous soumettrons à l’empire, en ayant étrangement l’impression d’accéder à la pleine liberté, comme si nous parvenions enfin à nous délivrer d’une culture-fardeau, qu’au fond de nous-mêmes, nous ne souhaitons plus porter.