Réfléchissant à la conjoncture politique et économique et constatant qu'après le socialisme réel, le néolibéralisme avait lui aussi beaucoup de plomb dans l'aile, quelques personnes, préoccupées par le progrès social et un développement économique durable, ont pensé que la social-démocratie pouvait aujourd'hui être considérée comme la voie de l'avenir, à condition de procéder, avec autant de générosité que de lucidité, à une réflexion conduisant à son renouvellement en profondeur.
Ce document n'a pas la prétention d'être un manifeste ou une plateforme politique, mais se veut plutôt un document de travail. L'idée d'ouvrir un chantier pour évaluer toutes les coutures d'une social-démocratie ajustée aux temps présents et qui tienne compte des impératifs du futur a fait son chemin. Le projet consiste à interpeller tant les leaders politiques que ceux de la société civile afin qu'un véritable débat de société se tienne. D'ici la tenue d'un colloque national sur la question en 2010, des rencontres sectorielles sont prévues.
Double échec
En 1989, la chute du mur de Berlin annonçait avec éclat l'échec du communisme, la fin d'un monde divisé en deux grands blocs et les limites du tout à l'État et de l'économie dirigée. Plusieurs ont alors célébré, mais de façon prématurée, le début de l'âge d'or du capitalisme néolibéral. Sauf qu'est arrivée une crise financière et économique qui a dévasté les États et les entreprises. Si elle ne signifie pas la fin du capitalisme, cette crise met par contre en évidence tant les limites d'une régulation exclusivement marchande que la nécessité d'innover.
Non seulement pour répondre aux urgences, mais surtout pour préparer une sortie de crise ouverte sur le développement soutenable et plus équitable. Désormais, après les désastres qu'il a causés, le néolibéralisme ne peut plus prétendre s'imposer en plaidant l'efficacité économique.
Paradoxalement, ce double échec historique rend possible et surtout souhaitable un retour à la social-démocratie. Cette dernière demeure la seule force politique dont la trajectoire historique est compatible avec un engagement sans réserve d'une démocratie ouverte à une participation citoyenne active. Ce retour, accompagné du renforcement de la démocratie, peut être prometteur. À la condition, toutefois, d'accepter de travailler à son renouvellement en profondeur, notamment sur le plan de pratiques et de politiques adaptées à notre temps.
Nécessaire et ambitieuse, cette tâche ne peut être menée à terme sans l'ouverture d'un chantier faisant appel à toutes les personnes qui veulent y contribuer. Ce renouvellement exige, on l'aura compris, le dépassement de certaines ambiguïtés et le contournement de certains écueils propres à la social-démocratie contemporaine.
La social-démocratie?
Comme pour la démocratie, la social-démocratie ne constitue pas un modèle coulé dans le béton, mais une expérience historique en évolution. Les expériences sociales-démocrates ont varié dans le temps selon les partis et les pays qui s'en sont réclamé, aussi bien en Angleterre qu'en Allemagne, par exemple. De même, après les succès que plusieurs pays scandinaves ont connus sous cette bannière, plusieurs échecs sont ensuite apparus, qui ont conduit à des défaites électorales.
Au Canada, quelques provinces ont porté le Nouveau Parti démocratique (NPD) au pouvoir. Au Québec, aucune percée moindrement significative n'a pu être réalisée, ni par le NPD ni par le CCF. Par contre, même si aucun parti y ayant exercé le pouvoir n'a porté cette étiquette, plusieurs mesures progressistes d'inspiration sociale-démocrate ont été mises en place. Depuis la Révolution tranquille, les différents gouvernements québécois ont mis de l'avant certaines politiques et mesures d'inspiration sociale-démocrate. Ils ont même adopté des mesures dont certaines relèvent d'un renouvellement de la social-démocratie, en dépit d'une vague néolibérale qui s'y opposait.
Il est difficile de proposer une seule évaluation de l'expérience sociale-démocrate. Certains estiment qu'elle a transformé le capitalisme; d'autres sont convaincus du contraire. Il demeure qu'à l'heure actuelle, la social-démocratie représente la seule orientation politique encore capable de prendre le pouvoir et de réaliser des réformes qui vont dans le sens de l'intérêt général et du bien commun.
Valeurs de base
Dans cette perspective, la social-démocratie peut être regardée à partir des angles suivants: une base sociale relativement stable et large d'adhérents et de militants; des valeurs qui vont dans le sens de la démocratie, de l'égalité et de la liberté; une vision de la société et du rôle positif de l'État, en référence à un intérêt général et au bien-être de la majorité; une manière de réguler les conflits sociaux par la négociation et la concertation; des politiques et des mécanismes institutionnels qui permettent d'harmoniser le développement économique et social; un positionnement dans l'économie mondiale et la recherche d'alliances. Sa réactualisation suppose ainsi à la fois une réaffirmation des valeurs de base qui la fondent et un effort de renouvellement des pratiques et des politiques que commandent les grandes transformations récentes.
Les partis ou encore les projets qui s'inspirent de la social-démocratie peuvent être qualifiés comme tels dans la mesure où ils partagent, avec plus ou moins d'intensité, la plupart de ces éléments qui se renforcent les uns les autres pour former un système. Certains de ces éléments, notamment des politiques et des mécanismes institutionnels, peuvent parfois être mis en avant par des partis chrétiens-démocrates ou même libéraux.
Proposition d'un chantier
Un retour au type de social-démocratie qui a émergé après les années 1930 n'est pas possible. En conséquence, il faut déterminer quel renouvellement en profondeur est exigé si, tout en se tournant résolument vers l'avenir, on veut réaffirmer les valeurs de base de la tradition sociale-démocrate.
Nos sociétés ont connu plusieurs mutations. La stabilité de la famille traditionnelle allant de soi, le plein emploi et une grande partie du système de protection sociale avaient été le plus souvent pensés à partir d'une seule source de revenus par famille. La culture et les valeurs ont également évolué qualitativement, comme le laissent voir aussi bien l'émergence de valeurs liées aux nouveaux problèmes éthiques contemporains que celles adoptées par les nouvelles générations.
Sur le plan politique, les transformations sont également de taille, si l'on pense au délestage des États-nations au profit d'accords internationaux, sans oublier une nouvelle géopolitique où s'imposent de plus en plus de pays émergents sur le plan économique. L'apparition d'une économie de la connaissance et des services a entraîné une transformation du monde du travail. L'ouvrier, qui constituait la base du syndicalisme industriel, n'occupe plus la place centrale.
Une fois que la mesure de ce nouvel environnement aura été prise, le travail de réflexion et d'analyse devrait porter sur les principales dimensions de la social-démocratie et sur la façon dont celles-ci peuvent être organisées pour former un système cohérent. Plusieurs thèmes sont proposés à une réflexion collective. Ils vont de la base sociale nécessaire au soutien d'une expérience sociale-démocrate aux valeurs à prioriser, en passant par le rôle de l'État et le modèle de développement. Nous sommes persuadés que la société québécoise sera mieux en mesure d'affronter les défis qui se posent aujourd'hui au sortir du brassage d'idées auquel nous la convions.
Le colloque national qui se tiendra l'année prochaine en présence d'invités internationaux sera organisé sous la présidence conjointe de l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) et de la chaire de recherche du Canada en mondialisation, citoyenneté et démocratie, avec la participation de chercheurs du CERIUM, de l'Observatoire de l'administration publique de l'ENAP et des Éditions Vie économique.
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Auteurs:
Michel Doré, Marilyse Lapierre, Benoît Lévesque et Yves Vaillancourt
Chercheurs et professeurs
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Appuient cette démarche: François Aubry, Claude Béland, Michel Blondin, Gilles L. Bourque, Louis Côté, Martine D'Amours, Lucie Dumais, Alain G. Gagnon, Christian Jetté, Pierre-André Julien, Danielle Lafontaine, Andrée Lajoie, Robert Laplante, Gérald Larose, Hugo Latulippe, Jean François Lisée, Margaret Mendell, Nancy Neamtan, Martine Ouellet, Guy Paiement, Myrlande Pierre, Jean Proulx, Marc-Urbain Proulx, Michel Rioux, Lionel Robert, Guy Rocher, Ruth Rose, Charles Taylor, Joseph Yvon Thériault, Diane-Gabrielle Tremblay, Pierre Vadeboncoeur, Martine Vézina, Laure Waridel.
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