Le Canada subit les pressions des Etats-Unis pour accepter plus de produits laitiers sur son marché protégé dans le cadre de l’actuelle renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (Aléna) entre ces deux pays et le Mexique.
Sous la pression du lobby laitier américain, le président Donald Trump tire à boulets rouges sur le Canada, dénonçant ce printemps comme « honteuse » une baisse de prix décidée par des producteurs de l’Ontario pour contrer un afflux sur leur marché de lait américain «ultra-filtré», utilisé dans la fabrication de fromages.
Pour l’essentiel, le secteur laitier canadien est exclu de l’Aléna, à l’exception du lait ultra-filtré, certains fromages et d’autres matières grasses.
En vertu d’un régime appelé la « gestion de l’offre », le gouvernement canadien contrôle la production et le prix du lait produit par les éleveurs par un système de quotas annuels, assurant des revenus stables et prévisibles sur un marché autosuffisant.
Ce système instauré dans les années 1970 implique que le Canada limite en grande partie l’accès à son marché en imposant des tarifs prohibitifs aux exportateurs étrangers. Un régime adopté aussi pour les marchés de la volaille et des oeufs.
« La compatibilité du système de gestion de l’offre avec les principaux accords de libéralisation économique n’est pas parfaitement claire, mais jusqu’à aujourd’hui ni l’OMC ni l’Aléna » n’ont pu forcer son démantèlement, rappelaient récemment Richard Ouellet et Erick Duchesne, professeurs à l’université Laval à Québec.
Mais la question revient systématiquement chaque fois que le Canada s’engage dans des négociations de libre-échange, souligne à l’AFP Mathieu Arès de l’université de Sherbrooke.
Cela a été le cas avec l’Union européenne et le CETA ( traité de libre-échange en vigueur depuis jeudi ), les Canadiens ont été contraints d’élargir l’accès à leur marché aux fromages européens.
Et la question se pose dans la renégociation de l’Aléna dont la troisième séance se termine mercredi à Ottawa, car les Américains sont en quête de marchés pour écouler leur production excédentaire de lait.
Les Américains sont mal placés pour parler d’ouverture de marché, rétorque Yves Leduc du syndicat des Producteurs laitiers du Canada, car la part des importations étrangères sur leur marché laitier n’est que de « 2 à 3% », contre « plus de 10% » au Canada.
« Les Américains n’ont pas encore fait de demande formelle sur les produits laitiers », a cependant indiqué à l’AFP une source proche des négociations.
Pour Mathieu Arès, il n’en reste pas moins que le système canadien « n’est pas viable à moyen terme. On est obligé de faire des concessions » lors de chaque négociation même si « on sauve l’essentiel ».
Cartel
« Ce cartel » fait aussi en sorte que les Canadiens paient leurs produits laitiers « un peu plus cher » que les Américains, selon lui. Et il empêche les producteurs canadiens d’exporter à l’étranger. « On ne fait simplement pas de commerce ».
Il doute néanmoins d’une réaction frontale des Etats-Unis face au régime canadien, ce dernier faisant également des envieux chez les petits producteurs laitiers américains.
Qui plus est, “un puissant lobby de fermiers américains” ne tient pas à voir son excédent commercial agricole avec le Canada et le Mexique compromis par une position trop radicale.
D’autant qu’en 2016, le Canada n’a exporté que pour 235 millions de dollars canadiens de produits laitiers à l’étranger, alors que ses importations, pour plus de moitié en provenance des Etats-Unis, atteignaient 969 millions (658 millions d’euros), selon les chiffres canadiens.
Autre coût pour le Canada, selon M. Arès, son système défavorise la relève agricole, en raison du prix élevé des quotas de production. Au Canada, « une bonne vache laitière vaut à peu près 2 000 dollars mais le droit de la traire, c’est 27.000 dollars » par année.
Donc, à moins « d’être fils de fermier, c’est à peu près impossible de se lancer dans la production ».
« Mais c’est impensable d’abolir du jour au lendemain les quotas » en raison des sommes faramineuses que devrait engager le gouvernement canadien pour compenser les quelque 11 000 exploitations du pays, avec 1,4 million de têtes de bétail.
Sans parler du coût politique à deux ans des législatives pour les libéraux au pouvoir.