René Lévesque sur l’immigration, l’identité et deux ou trois autres détails

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La tradition profonde du souverainisme, c’est un nationalisme inscrit dans l’histoire. Du moins, c’est ainsi que l’a pensé Lévesque





Nos politiciens aiment jouer avec la mémoire de René Lévesque, surtout lorsqu’il s’agit de l’instrumentaliser pour faire le procès du Parti Québécois d’aujourd’hui. On se fabrique un Lévesque en carton-pâte, bien éloigné du René Lévesque historique, qu’on ne prend pas la peine de lire et qu’on enferme dans une étrange légende. C’est un René Lévesque aseptisé, délivré de ses aspérités (il faut savoir aussi que les fédéralistes aiment s’inventer un René Lévesque idéal, chez qui l’idée d’indépendance serait secondaire, mais ce n’est pas l’objet de cet article).


C’est surtout vrai lorsqu’il s’agit de la question identitaire. Dès que les péquistes agissent sur ce terrain, on se tourne vers Lévesque en disant qu’il serait bien déçu. On dit : oh la la ! Lévesque aurait honte du virage identitaire des péquistes! J’ai déjà eu l’occasion d’écrire sur ce qu’on appellera le détournement de cette mémoire, ou plus exactement, sur sa falsification. Je rappelais à quel point Lévesque avait une vision du nous enracinée dans la majorité historique francophone et qu’il considérait que ceux qui ne ressentaient pas assez intimement cette histoire étaient des «déracinés» (j’ai reproduit au bas de cet article la réflexion de René Lévesque à ce sujet).


Je rappelais aussi son hostilité à l’endroit du gouvernement des juges et sa confiance dans la souveraineté parlementaire (je reproduis aussi en bas de cet article la réflexion de Lévesque).


Je rappelais enfin que lui qu’on présente comme très mal à l’aise avec la loi 101 avait endossé une vision si musclée de la loi 101 qu’on n’imagine plus personne aujourd’hui pour s’en réclamer, tellement il se ferait traiter d’ayatollah linguistique. Lévesque était soucieux des droits linguistiques de la minorité anglaise et c’était tout à son honneur (la question du droit de la minorité anglaise était celle à travers laquelle on posait à l’époque celle du droit des minorités) : il ne croyait manifestement pas que les droits fondamentaux de la minorité anglaise étaient heurtés par la version originale de la loi 101. 


J’aurais pu aussi rappeler que, premier ministre en exercice, il avait eu de bons mots pour l’héritage de Lionel Groulx, comme l’a déjà noté l’historien Xavier Gélinas. En un mot, René Lévesque avait une vision profondément historique et enracinée de la nation et du nationalisme et c’est seulement en déformant l’histoire qu’on peut en arriver à une autre conclusion. La tradition profonde du souverainisme, c’est un nationalisme inscrit dans l’histoire. Du moins, c’est ainsi que l’a pensé Lévesque. On peut vouloir rompre avec cette vision mais alors, on serait un peu mal venu de se réclamer de lui.


Je me permets ici d’ajouter une pièce au dossier. Elle est tirée d’un discours prononcé par Lévesque dans le cadre des élections de 1970. Il y parle d’immigration en des termes qui feraient hurler nos gardiens de la rectitude politique. Je le cite. «On s’est donné un ministère de l’immigration. L’autre, à Ottawa, pour lequel on paye, y a le droit de continuer à nous noyer, c’est lui qui a le pouvoir. Mais on en a un à Québec pour enregistrer la noyade» (11m58 à 12m08).


Prenez la peine de regarder cet extrait vidéo.


Je reprends ses mots : «nous noyer». Traduisons : René Lévesque craignait une submersion démographique du peuple québécois par l’immigration massive. Manifestement, il n’hésitait pas à remettre en question une immigration si nombreuse qu’elle provoquerait l’érosion démographique de la majorité historique francophone et pourrait entrainer sa noyade démographique.


D’ailleurs, pendant son passage au pouvoir, le Québec a reçu environ 20 000 immigrants par année alors qu’aujourd’hui, nous en recevons 50 000, et cela, dans un contexte où la capacité d’intégration de la société québécoise est sérieusement diminuée.


Le Québec de Lévesque était-il moins démocratique à cause de cela?


Philippe Couillard dirait-il que René Lévesque était d’extrême-droite? Les Inclusifs diront-ils que Lévesque pratiquait un nationalisme ethnique et fermé?


On peut être d’accord ou non avec lui et trouver son vocabulaire choquant. Mais on ne peut faire semblant qu’il n’a pas dit ce qu’il a dit.


Lévesque était un nationaliste historique, enraciné et moderne, tout à la fois, et il ne voyait pas de contradiction fondamentale entre l’enracinement et la modernité.


Et surtout, on devrait se garder une petite gêne avant d’en faire un ancêtre des Inclusifs autoproclamés, et on ne devrait pas s’appuyer sur sa mémoire pour faire la morale à ceux qui tiennent à la question identitaire.


À moins qu’ils ne le fassent par inculture et ignorance? Nous ne saurions exclure cette possibilité.


 


***


Je me permets de reproduire ici, à la manière d’un simple rappel pédagogique, certaines réflexions de René Lévesque que j’avais déjà rappelé dans un précédent article tout en ajoutant d’autres.


Je vous invite à les lire.


Sur la définition de la nation


Je rappelle d’abord sa définition de la nation, qui ferait frissonner d’effroi nos Inclusifs. C’est ainsi que commence Option Québec, le livre fondateur de son engagement souverainiste.


« «Nous sommes des Québécois. Ce que cela veut dire d’abord et avant tout, et au besoin exclusivement, c’est que nous sommes attachés à ce seul coin du monde où nous puissions être pleinement nous-mêmes, ce Québec qui, nous le sentons bien, est le seul endroit où il nous soit possible d’être vraiment chez nous. Être nous-mêmes, c’est essentiellement de maintenir et de développer une personnalité qui dure depuis trois siècles et demi. Au cœur de cette personnalité se trouve le fait que nous parlons français. Tout le reste est accroché à cet élément essentiel en découle ou nous y ramène infailliblement. Dans notre histoire, l’Amérique a d’abord un visage français [...] Puis vint la Conquête. Nous fûmes des vaincus qui s’acharnaient à survivre petitement sur un continent devenu anglo-saxon. Tant bien que mal, à travers bien des péripéties et divers régimes, en dépit de difficultés sans nombre (l’inconscience et l’ignorance même nous servant trop souvent de boucliers), nous y sommes parvenus. [...] Pour tous, le moteur principal de l’action a été la volonté de continuer, et l’espoir tenace de pouvoir démontrer que ça en valait la peine. Jusqu’à récemment nous avions pu assurer cette survivance laborieuse grâce à un certain isolement. Nous étions passablement à l’abri dans une société rurale, où régnait une grande mesure d’unanimité et dont la pauvreté limitait aussi bien les changements que les aspirations. Nous sommes fils de cette société dont le cultivateur, notre père ou notre grand-père, était encore le citoyen central. Nous sommes aussi les héritiers de cette fantastique aventure que fut une Amérique d’abord presque entièrement française et, plus encore, de l’obstination collective qui a permis d’en conserver cette partie vivante qu’on appelle le Québec. Tout cela se trouve au fond de cette personnalité qui est la nôtre. Quiconque ne le ressent pas au moins à l’occasion n’est pas ou n’est plus l’un d’entre nous.» (René Lévesque, Option Québec, Option Québec, p.19-20)


 


Le moins qu’on puisse dire, c’est que Lévesque avait une vision historique et enracinée de la nation, qui ne cadre d’aucune manière avec la réduction administrative et juridique que nous proposent les Inclusifs.


J’ajoute une autre réflexion, celle-là sur Pierre Trudeau et le déracinement identitaire de certains Québécois, tirée du livre d’entretiens La passion du Québec, paru chez Québec-Amérique, en 1978.


«Trudeau, en particulier, n’est pas spécialement enraciné dans l’identité et la culture québécoise. C’est un fait, voilà tout» (p.37). Il ajoutait : «en faisant carrière, Trudeau et Pelletier surtout se sont depuis lors sérieusement déracinés» (p.39).


On se demande ce que René Lévesque dirait de Justin Trudeau! Et on se demande alors comment les médias l’étiquetteraient? Pourrions-nous encore dire de certains politiciens qu’ils sont déracinés?


Sur le gouvernement des juges


René Lévesque était critique du gouvernement des juges (et je rappelle encore une fois que Lévesque n’avait rien contre la clause dérogatoire). Je reproduis ici une de ses réflexions sur le sujet :


«à la presque totalité des provinces, cette Charte a paru d'abord inutile, et puis très dangereuse non seulement pour leurs droits et leur liberté d'action en tant que gouvernements, mais pour les citoyens eux-mêmes. Inutile, parce que, dans l'ensemble, les droits fondamentaux des gens sont déjà aussi bien garantis et protégés au Canada que n'importe où ailleurs; ce qui est singulièrement vrai au Québec, dont la Charte des droits et libertés de la personne est la plus avancée de toutes. Quant à l'aspect dangereux, il réside fondamentalement dans l'attribution aux tribunaux et en dernier ressort à la Cour Suprême fédérale de tout un vaste domaine touchant l'emploi, les droits civils, la propriété, la langue et l'éducation, où c'est la compétence des parlements provinciaux qui demeure à l'évidence la meilleure ligne de défense et aussi le meilleur instrument de progrès des droits de tous et de chacun» (cité dans Joëlle Quérin, Critiquer un gouvernement ou un régime politique, Institut de recherche sur le Québec, février 2012).


Est-ce qu’on accuserait René Lévesque de populisme ici ? L’accuserait-on de mépriser les droits et libertés?


Sur l’histoire du nationalisme


René Lévesque avait une profonde conscience historique. Et contrairement à ce qu’on croit, il assumait la longue histoire du nationalisme québécois et n’entendait aucunement le renier.


Toujours dans le livre d’entretiens La passion du Québec, il inscrit la victoire du 15 novembre 1976 dans l’histoire. «D’autant que cette victoire s’inscrit dans une «longue marche» des nationalistes. Ne parlons même pas du XIXe siècle de la révolte de Papineau ou de celle du Bas-Canada en 1837. Mais depuis les années 40 toutes les élections ont été remportées au Québec sur des «programmes nationalistes» : le Bloc populaire des années de guerre, le nationalisme chauvin de M. Duplessis, le Maîtres chez nous de Jean Lesage, et l’Égalité ou indépendance » de Daniel Johnson » (p.56-57). Traduisons : René Lévesque assumait toute l’histoire du nationalisme québécois, même le « nationalisme chauvin » de Duplessis, qu’il n’avait certainement pas en affection, mais qu’il resituait à sa place dans l’histoire. Il ne faisait pas commencer l’histoire légitime du nationalisme avec la Révolution tranquille et il ne réduisait pas la Révolution tranquille à un simple élan vers la modernité.


Sur le référendum et le blocage de la majorité francophone


J’ajoute une dernière réflexion, elle aussi tirée du livre d’entretiens La passion du Québec. L’intervieweur demande à René Lévesque ce qui se passerait si le camp du Oui obtenait 48% au référendum. Voici sa réponse :


«J’aime quasiment mieux ne pas y penser...Ça, ce serait un peu dangereux... Parce que tout ce qui flotte autour de 45-50% veut nécessairement dire qu’il y a une majorité francophone qui a voté oui. Moi, j’aimerais mieux que la majorité francophone (avec un certain nombre de concitoyens anglophones, parce qu’il y en a quand même qui sont avec nous, surtout chez les jeunes) emporte le oui complètement. Sinon, ce serait, disons, difficile à avaler. Ça voudrait dire qu’une majorité francophone s’est clairement exprimée pour le oui, mais qu’elle a été bloquée par une minorité. Et même si c’est les règles du jeu ... C’est pour ça qu’on va travailler d’arrache-pied pour avoir 50% et plus ... » (p.148).


On se demande ce que Lévesque aurait pensé des résultats du référendum de 1995 ...




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