Voici 4 exemples d'oeuvres artistiques récentes et particulièrement réussies dont il nous est impossible de profiter actuellement pour se divertir et se cultiver dans notre propre culture.
1- Plusieurs de nos plus grands artistes ont eu l'occasion de donner de grands concerts accompagnés par des arrangements élaborés pour orchestre symphonique. On n'a qu'à penser à Gilles Vigneault, Michel Rivard, Richard Desjardins, Paul Piché, Richard Séguin, Diane Dufresne, Bruno Pelletier et combien d'autres. Pourtant, toutes ces prestations sont inaccessibles en vidéo, en cd ou en ligne, car il faudrait alors payer à chaque fois des redevances hors de prix aux dizaines de musiciens impliqués, à l'orchestre, au chef, à l'organisation, ce que ne peuvent pas se permettre les artistes. Résultat net et décevant: de grands moments de leur carrière se voient occultés et relégués aux oubliettes.
Photo: la danseuse et chorégraphe Marie Chouinard
C'est de la culture québécoise importante mais rendue inaccessible pour une question de droits et redevances.
2- L'une des émissions spéciales de variété les plus réussies de 2021 fut celle du groupe Bleu Jean bleu et de leur belle brochette d'invités, tournée au chalet situé au sommet du mont Bromont. Cette émission Bleu Jean Bleu en téléski mériterait d'être offerte en visionnement gratuit à tous. Après l'avoir été quelque temps en ligne, il faut maintenant payer pour la visionner sur Ici tou.tv. Si pour une simple raison monétaire, un produit culturel de qualité devient limité dans sa diffusion à un tout petit nombre, ce n'est vraiment pas une bonne chose.
C'est de la culture québécoise importante mais rendue inaccessible pour une question de droits.
3- Le groupe acadien/cajun Salesbarbes (d'après une sorte de filet de pêche) est passé à Belle et Bum en 2021 en y produisant des performances musicales indélébiles, avec au moins la moitié de l'émission qui leur fut consacrée. Pourquoi n'est-il pas possible de la voir sur demande à Télé-Québec?
4- Reculons maintenant loin dans le temps jusqu'au moment du grand concert sur le Mont-royal en juin 1976, intitulé OK, nous v'là. Ce fut l'un des événements majeurs de ma jeunesse musicale. Si vous y étiez ou l'avez vu à la télé, vous vous en souvenez certainement encore. Imaginez: réunis sur une même scène devant 300 000 spectateurs extasiés, les plus grand groupes québécois de l'heure jouant tous ensemble, et non pas l'un après l'autre: Harmonium, Beau Dommage, Octobre et Contraction. Une performance transcendante.
Ce grand moment de notre histoire culturelle devrait être disponible en totalité sur une plateforme quelconque. Pourtant, non. Que des bribes et des extraits en basse résolution.
Ce sont tous des exemples de culture québécoise importante mais rendue inaccessible pour une simple question de droits.
S'il faut payer, mais que personne ne veut payer, et que conséquemment le produit disparaît, cela devient absurde. La culture est là pour être vue et consommée par tous, pas pour être retirée des ondes et des plateformes, réservée au petit nombre qui peut se le permettre, avec pour triste conséquence qu'elle s'efface de notre mémoire collective.
On se voit empêchés d'en profiter, privés de l'accès à tous les chapitres et facettes de notre culture à travers les époques.
À toutes fins pratiques, elle se voit reléguée aux souterrains des archives poussiéreuses, refusée au commun des mortels. Tout doit-il finir oublié au fond d'un placart, d'un entrepôt cadenassé, d'un disque dur verrouillé?
C'est bien beau la protection des droits d'auteurs. Mais si le résultat net est une baisse de la consommation des produits culturels, ce n'est plus aussi bon.
Parions que plusieurs artistes seraient prêts à ce que certaines de leurs oeuvres moins rentables soient libres de droits au nom de la diffusion de leur art, plutôt que de les voir relégués aux sombres cachots de l'oubli.
À ce titre, le chanteur canadien Neil Young, qui détient ses droits d'édition, offre sur son site personnel toute son oeuvre en haute définition gratuitement. Ce qui compte désormais pour lui, ce n'est plus l'argent et le profit immédiat, mais que l'ensemble de son oeuvre puisse être écoutée et appréciée par le plus grand nombre.
Si pour une simple question de droits d'auteurs, tout nous est interdit, et que c'est l'accès à une large portion de notre culture collective qui en pâtit, changeons les lois.
Par exemple, on pourrait décider qu'au bout de 3 ans de vie profitable, toute oeuvre tombe dans le domaine public et peut être alors appréciée gratuitement par le grand public intéressé, à moins que sa vie monétaire active ne justifie de continuer la récolte de redevances.
De cette façon, toutes les oeuvres secondaires mais valables, ou celles ayant remporté moins de succès qu'escompté, ou celles ayant bénéficié de moins de promotion active, seront rapidement offertes gratuitement à un vaste public qui aura l'occasion de les découvrir ou de les approfondir.
À l'émission Les enfants de la télé, on nous montre des tas d'extraits de téléromans d'époque qui nous donnent envie d'en revoir certains épisodes. Un souhait partagé par plusieurs, mais tout à fait irréalisable. Tous ces trésors de notre mémoire collective semblent avoir été rendus à jamais inaccessibles et condamnés à rester enfermés, cryogénisés dans les entrepôts d'archives sous clef.
Sur des sites comme YouTube ou Dailymotion, les cinéphiles peuvent regarder des milliers de vieux films gratuitement, en échange du visionnement de quelques commerciaux, une formule intéressante. Ils ne paieraient sans doute pas pour en visionner la plupart. Il faut comprendre ce grand principe que pour bien des gens, l'accès à la culture doit être facile et gratuit, sinon ils vont voir ailleurs et trouvent autre chose à consommer qui ne leur coûtera rien. L'offre surabondante est inépuisable.
Radio-Canada ou la CBC se vantent de posséder des trésors d'archive. Pourquoi est-ce si compliqué, si rebutant, et si peu invitant d'y accéder? Pourquoi existe-t-il des plateformes si spécialisées et arides que personne ne s'y aventure guère? Des plateformes pointues conçues pour les journalistes, étudiants et chercheurs universitaires mais non pour monsieur-tout-le-monde.
Si on doit aller sur des sites ultraspécialisés et d'usage fastidieux pour voir des choses intéressantes, c'est en décourager la consommation. Le résultat est le contraire du but visé.
Donnez-nous à consommer notre culture, toute notre culture. Qu'on cesse de la mettre rapidement de côté, de la cacher, de la réserver, de l'ensevelir dans des voûtes cadenassées, avec pour résultat net de l'amoindrir, de l'étouffer, de la priver de son élan vital, de la possibilité de rayonner au grand jour.
Pour valoriser tous les aspects de la culture québécoise et sa consommation abondante, il faut adopter une vision élargie de sa diffusion tous azimuts qui permettra de lui accorder la vitrine qu'elle mérite.
Photo: le cirque québécois Les 7 Doigts de la main à Paris
Notre culture doit pouvoir rayonner dans le coeur et l'âme de tous les Québécois.
Le mot-clé: accessibilité
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