Recul forcé

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{{Harper dans les cables}}

Ottawa — Après huit ans au pouvoir, le premier ministre Stephen Harper subit de plus en plus les effets de son régime vieillissant. L’usure fait son oeuvre. Habitué à avoir gain de cause envers et contre tous, il enfile les rebuffades. Son autorité n’est plus ce qu’elle était.

Après avoir vu la nomination du juge Marc Nadon invalidée par la Cour suprême, il a eu droit en fin de semaine à un pied de nez de la population de Kitimat (C.-B.) dans le dossier de l’oléoduc Northern Gateway. Lors d’une consultation populaire organisée par la Ville, la majorité des citoyens (58,4 %) ont clairement rejeté ce projet jugé essentiel par le gouvernement pour permettre l’exportation du bitume albertain.

Malgré les millions promis en retombées, les 180 emplois permanents, les dizaines de milliers de dollars dépensés dans cette campagne par le promoteur Enbridge, les gens de Kitimat ont dit non. Ce vote ne lie personne, mais il a donné un coup de fouet aux opposants. Il a aussi une valeur symbolique importante puisque Kitimat doit être le point d’arrivée du pipeline et le site du port d’où partiront vers l’Asie les superpétroliers chargés de pétrole. Il sera difficile de ne pas en tenir compte lorsque le gouvernement décidera du sort du projet en juin prochain.

Le même jour où se tenait ce vote, un autre avait lieu dans la circonscription de Calgary-Signal Hill pour choisir le candidat qui porterait les couleurs conservatrices en 2015. Le député sortant, Rob Anders, a mordu la poussière sans ménagement aux mains d’un ancien ministre provincial, Rob Liepert.

M. Anders avait pourtant l’appui de son chef et de l’influent ministre Jason Kenney. Mais il avait un passé aussi parsemé de bourdes et de controverses. Il a entre autres été le seul député à s’opposer à faire de Nelson Mandela un citoyen honoraire du Canada. Les militants n’avaient jamais pu le sanctionner depuis 2006, les députés sortants n’ayant jamais eu à se soumettre à une assemblée de mise en candidature durant toutes les années de gouvernement minoritaire. À la première occasion, ils l’ont puni, ce que leur chef, lui, n’avait jamais fait.
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M. Harper fait aussi face à un débat sur le pouvoir des chefs et des caucus lancé par un de ses propres députés, le très sérieux Michael Chong. Il a présenté un projet de loi pour accroître le pouvoir des députés sur leur chef. Il a accepté de l’amender pour persuader le plus grand nombre de députés possible. Un premier vote pourrait avoir lieu avant l’été, ce dont M. Harper se serait bien passé.

Comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement de M. Harper est aux prises avec une opposition au projet de loi C-23 sur « l’intégrité des élections » qui ne se dément pas. Même un de ses députés, le respecté James Rajotte, a cru nécessaire de faire part des doutes de ses commettants dans une lettre au ministre responsable de la Réforme démocratique, Pierre Poilievre.

Ce n’est donc pas un hasard si les sénateurs siégeant au comité chargé d’examiner le projet de loi suggèrent unanimement d’amender C-23. Leur rapport rendu public mardi exige des changements à des éléments que le ministre défendait bec et ongles jusqu’à la semaine dernière, comme exclure de la liste des dépenses de campagne soumises à un plafond les frais engagés pour solliciter des fonds. Ou encore l’obligation de conserver pendant seulement un an les données sur les campagnes téléphoniques payées par les partis.

On pourrait y voir un sursaut de rébellion des membres conservateurs de la Chambre haute, mais permettez-moi d’en douter. Ces mêmes sénateurs étaient fermés à toute modification il y a encore quelques jours. C’est plutôt la prise de conscience que le gouvernement, qui stagne dans les sondages, ne peut pas gagner en restant intransigeant. Le Sénat offrait une porte de sortie que les sénateurs conservateurs, coopératifs, ont accepté d’ouvrir.
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C’est tant mieux si le projet en sort amélioré, bien que ces recommandations laissent intacts certains des éléments les plus controversés. Et il y a quelque chose d’indécent et d’hypocrite à voir ce gouvernement faire un détour par le Sénat pour amender un projet de loi sur le processus électoral.

Ce même gouvernement prétend depuis huit ans vouloir un Sénat élu et, du coup, doté d’une légitimité démocratique, mais il se fiche sans vergogne des élus qui siègent déjà au Parlement et qui tentent depuis des semaines de lui faire entendre raison sur ce projet C-23. Et que dire des attaques et insinuations à l’endroit de tous ces témoins qui se sont pliés à l’exercice démocratique des audiences en comité ?

Le gouvernement Harper ne fait confiance aux élus que lorsque cela sert ses intérêts. Il n’écoute personne, sauf ceux qui pensent comme lui. Cette attitude et sa manie de tester les limites des règles parlementaires et démocratiques le rattrapent aujourd’hui.

L’aura d’invincibilité de M. Harper s’est évanouie. Le Parti conservateur porte les marques du scandale au Sénat et de ses infractions avérées et alléguées à la Loi électorale, loi qu’il veut maintenant modifier. Comment lui faire confiance ? Le doute s’est installé et la seule façon de le dissiper — un tant soit peu — est de reculer.


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