Des automates pilotent le Canada. Bien installés aux commandes, ils décident et manœuvrent, humains en apparence, mus comme des robots par un mécanisme intérieur dictant l'incohérence, la démagogie et l'affaiblissement de la démocratie.
Que conserver d'autre que cette impression malsaine après les dernières semaines? Les conservateurs de Stephen Harper, opiniâtres et insensibles à la critique — fut-elle unanime! — n'ont apparemment que faire du respect d'un socle démocratique sur lequel le Canada s'est bâti une réputation qui s'étiole. Les droits de la personne? Pfffft! Une embêtante conception qu'il faut tenter d'ignorer. Les lois? Des lignes en apparence directrices, mais plutôt utilitaires.
Ainsi, malgré le tollé général, le gouvernement maintient sa décision d'abolir le recensement dans sa version longue et obligatoire. En lieu et place de cet outil fiable et crédible, qui fait l'envie d'autres nations du monde, les conservateurs comptent échafauder de cruciales banques de données sur la pensée magique. Ils s'attaquent à la collecte d'informations capitales, destinées à nourrir les débats sociaux et politiques.
Plus aucun des arguments avancés par le fédéral pour justifier cette décision ne tient la route. Les «nombreuses» plaintes des citoyens se comptent sur les doigts d'une main, estime le Commissariat à la protection de la vie privée. Personne n'atterrit en prison pour avoir négligé de remplir le document. Le questionnaire volontaire, même distribué à un échantillon plus large, risque d'être retourné par un petit pourcentage de la population, non représentatif de surcroît.
Pris d'excès de compassion pour les citoyens las de se prêter à cet exercice fastidieux (une fois tous les... 25 ans), les conservateurs devraient plutôt tendre l'oreille à la clameur actuelle: de manière généralisée, scientifiques, associations, municipalités dénoncent le changement de cap inattendu. Les spécialistes ont raison de le dire: cette décision incongrue pourrait modifier la planification des mesures sociales, des politiques, basées soudain sur un faux croquis de la population. Au Québec seulement, le portrait linguistique deviendrait approximatif, alors qu'on sait son importance capitale. Les populations immigrantes sont en effet moins enclines à répondre au recensement. S'il est volontaire, le taux de réponse risque de chuter. Mais les automates, apparemment, n'ont que faire de ce léger désagrément.
Quelle rebutante idéologie les guide donc? N'est-ce pas la même qui, comme on l'a vu cette semaine, convainc Ottawa qu'il peut bafouer les droits d'Omar Khadr, seul Occidental toujours prisonnier de Guantánamo, et l'abandonner à la Cour martiale américaine? Ni les arrêts de la Cour suprême, ni ceux, répétitifs, de la Cour fédérale, n'ébranlent le Canada, qui se replie sur la «prérogative de la Couronne en matière d'affaires étrangères» pour porter en appel le dernier jugement de la Cour. Celui-ci le sommait pourtant de trouver réparation juste aux droits brisés du jeune homme, qu'Ottawa refuse de considérer pour ce qu'il est, soit un enfant-soldat. Mais les automates, apparemment, manient les lois comme bon leur semble, trébuchent en maugréant sur les droits de la personne.
On l'a vu lors des manifestations du G20: drapées dans une obsession pour la sécurité, les autorités se sont livrées à des arrestations de masse et n'ont pas hésité à brimer les droits et les libertés civiles.
C'est avec le même stoïcisme exaspérant que les automates accueillent et posent ces gestes, protégés par une cuirasse d'indifférence. Les citoyens dont ils se réclament — quand cela les arrange! — méritent mieux qu'une gouverne robotisée. Assez!
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machouinard@ledevoir.com
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