Quelle surprise!

La nouvelle Charte de la langue française (projet de loi n° 14)



Sans blague, quelqu'un est-il réellement surpris d'apprendre que la communauté anglo-québécoise est indifférente au sort du français au Québec? C'est le contraire qui aurait été étonnant. D'ailleurs, connaissez-vous beaucoup de francophones qui se préoccupent de ce qui pourrait arriver à la minorité anglophone?
Dès le départ, la majorité des anglophones ont perçu le bill 101 comme une atteinte à leurs droits fondamentaux et l'ont combattu de toutes leurs forces, sur le plan politique aussi bien que juridique. Ils se sont conformés aux dispositions de Charte de la langue française qui ont survécu aux tribunaux parce que c'était la loi, mais on ne pouvait pas exiger qu'ils y adhèrent.
Les deux solitudes n'ont jamais disparu. Les 85 % d'anglophones qui ignorent qui est Régis Labeaume manquent sans doute un spectacle pittoresque, mais les francophones sont probablement moins nombreux à savoir qui est le maire de Westmount.
De prime abord, il peut sembler un peu étonnant de constater, à la lecture des résultats du sondage effectué pour le compte de L'actualité et du 98,5, que la sympathie pour la cause du français est proportionnelle à l'âge.
On aurait pu croire que la perspective d'un retour à la prédominance de l'anglais à Montréal sourirait davantage à la «grosse maudite Anglaise de chez Eaton» dont parlait un ancien ministre de Robert Bourassa, qu'aux 18-34 ans, qui ont grandi dans le Québec d'après la loi 101 et ont souvent été plongés dans une immersion française. Or, c'est tout le contraire.
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Est-ce réellement la mondialisation qui explique le plus grand scepticisme des jeunes anglophones quant à la possibilité que le français demeure la langue de travail? Ou est-ce plutôt le constat de la lassitude croissante des francophones eux-mêmes, qui semblent baisser les bras?
Que près de 300 000 personnes puissent vivre et travailler uniquement en anglais à Montréal comme s'ils étaient à Toronto en dit long sur notre indolence collective. Pourquoi les anglophones, sans parler des allophones, s'imposeraient-ils l'effort de parler français, alors que même nos universités se mettent à l'anglais? Il y a maintenant des embouteillages à l'entrée des cégeps anglais en raison du nombre de jeunes francophones qui désirent s'y inscrire.
Une étude intitulée Le français et les jeunes, publiée en mai 2008 par le Conseil supérieur de la langue française (CSLF), tendait à démontrer qu'ils ne sont pas plus soucieux de la présence du français au travail que leurs vis-à-vis anglophones.
Il ne s'agissait pas d'un sondage, mais d'une enquête qualitative effectuée à partir d'entrevues avec des groupes de jeunes de six grandes villes québécoises. Les enquêteurs avaient noté la facilité particulière avec laquelle les jeunes Montréalais passaient d'une langue à l'autre sans trop s'en apercevoir.
«Peu de gens remettent vraiment en question la grande place de l'anglais dans le milieu du travail québécois, la plupart semblant au contraire l'accepter assez facilement. Pour eux, l'usage de l'anglais est un incontournable dans le milieu du travail. C'est LA langue du commerce et des affaires, la langue internationale, celle qui ouvre toutes les portes», constatait l'étude du CSLF. Si les jeunes francophones en sont convaincus, comment peut-on reprocher aux jeunes anglophones de l'être aussi?
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Aucune loi ne pourra forcer les francophones à le demeurer malgré eux, mais il est clair qu'ils en seront incapables sans un encadrement législatif suffisant. Trente-cinq ans après son adoption, la loi 101 a clairement fait la démonstration de ses limites.
Il est vrai que dans l'esprit de ses concepteurs, le Québec n'était pas destiné à demeurer indéfiniment une simple province dans une fédération où son poids politique et la place du français iraient sans cesse en s'amenuisant. Ils n'avaient sans doute pas vu le jour où le gouvernement fédéral en arriverait à nommer des commissaires unilingues anglais au bureau montréalais de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.
Les Anglo-Québécois détestent s'entendre dire qu'ils forment la minorité la plus gâtée du monde, mais ils n'en disposent pas moins d'un réseau d'institutions, publiques et privées, qui constitue un formidable pôle d'attraction pour les immigrants.
La nouvelle Charte de la langue française proposée par Pierre Curzi ferait non seulement en sorte que l'accès aux services de garde et aux cégeps anglais soit limité aux seuls anglophones de souche, mais aussi que le statut d'organisme reconnu bilingue soit réservé aux établissements de santé et de services sociaux dont plus de 50 % de la clientèle est composée d'anglophones et non pas simplement de personnes qui parlent «une langue autre que le français», dont le nombre va sans cesse en augmentant.
On ne peut pas forcer les Anglo-Québécois à se préoccuper de l'avenir du français au Québec, mais il n'y a aucune raison pour que des institutions financées entièrement par le seul État francophone en Amérique du Nord contribuent à son anglicisation. Malheureusement, cela semble toujours échapper à la ministre responsable.


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