Quelle liberté de choix et pour qui?

Cour suprême - L'affaire LOLA - Procréation assistée

Louise Langevin - Le ministre de la Justice du Québec, Jean-Marc Fournier, a annoncé la semaine dernière qu'il porterait en appel, devant la Cour suprême du Canada, la décision de la Cour d'appel dans l'affaire sur la protection des conjoints de fait en cas de rupture (Eric c. Lola). Si le plus haut tribunal accorde la permission d'en appeler, le processus devrait prendre au moins deux ans.
Le ministre de la Justice justifie son appel par la défense du principe sacro-saint de la liberté de choix des conjoints de fait de ne pas soumettre leur union à un encadrement juridique. La décision du ministre et de ses avocats-conseils suivrait une démarche adoptée depuis 30 ans.
Rappelons que 1 200 000 personnes au Québec vivent en union de fait, soit 34 % des couples, et que 60 % des enfants québécois naissent de ces unions. Donc, le Code civil — qui est le droit commun au Québec — ne s'applique pas à une importante proportion d'adultes en cas de rupture de leur union conjugale. Pourtant, des lois à caractère social reconnaissent les unions de fait.
Quelle liberté défend le ministre de la Justice? Si un des conjoints de fait refuse de se marier, de s'unir civilement ou de signer un contrat de cohabitation, quel choix l'autre conjoint économiquement dépendant a-t-il? La femme doit-elle alors quitter un conjoint qui ne veut pas officialiser leur union? Ou encore déménager dans une province qui reconnaît les conjoints de fait lors de la rupture? Il est difficile de croire à la liberté de choix des deux parties dans ces cas.
De nombreuses contraintes sociales, religieuses ou financières influent sur la décision de se marier ou non. Le besoin de protection de ces femmes est réel et plusieurs provinces canadiennes ont à cet égard adopté des lois qui protègent les conjoints vulnérables dans les unions civiles, les mariages et les unions de fait. D'ailleurs, les règles en matière de partage du patrimoine familial visaient justement à corriger des injustices envers les femmes mariées qui avaient consacré leur énergie à la famille. Quelle différence y a-t-il entre les couples mariés et non mariés?
La position de ministre de la Justice ne fait que renforcer davantage la distinction entre la sphère privée et la sphère publique. L'État refuse d'intervenir dans la décision des couples non mariés, au nom du respect de la liberté de choix et de la sphère privée, mais pourtant il intervient dans tous les aspects de la vie des justiciables (et des contribuables).
Voilà un paradoxe de la présente affaire: l'État ne veut pas intervenir dans les choix privés des couples non mariés (et des femmes), mais il le fait pour les couples mariés (par l'imposition du patrimoine familial) et il intervient dans la vie d'ex-conjointes de fait qui auront besoin d'aide sociale en raison de leur vulnérabilité économique causée en grande partie par leur situation conjugale antérieure. Ainsi, au nom de la liberté de choix, des conjoints peuvent en exploiter d'autres.
Idéalement, les femmes ne devraient pas dépendre financièrement de leur conjoint ou de leur ex-conjoint. Mais la réalité nous présente un autre portrait: les femmes s'investissent dans la famille au détriment de leur indépendance économique. Si elles ne sont pas mariées, elles ne peuvent pas compter sur la solidarité conjugale.
En portant la décision de la Cour d'appel devant le plus haut tribunal du pays, le ministère de la Justice gaspille les fonds publics, maintient une fausse conception de la liberté de choix, pratique une discrimination à l'égard des enfants selon le choix matrimonial de leurs parents et tente de nier le droit des femmes à l'égalité. En 1988, dans la célèbre affaire Daigle c. Tremblay, dans laquelle le demandeur voulait empêcher sa conjointe d'avorter, les avocats du ministère de la Justice de l'époque plaidaient en faveur des droits du foetus et contre le droit à l'avortement...
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Louise Langevin - Professeure titulaire à la Faculté de droit de l'Université Laval


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