Quel avenir pour le français?

À Madagascar, la langue de Molière s’étiole

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Si les Français cessent de croire au français, qui va y croire ?

Les chefs d’État et de gouvernement des pays qui ont le français enpartage se réunissent samedi et dimanche à Madagascar. Mais quel est l’état de cette langue dans le pays hôte du sommet de l’Organisation internationale de la francophonie?
Les 3000 étrangers qui débarquent ces jours-ci à Antananarivo pour le XVIe Sommet de la Francophonie ont l’impression d’arriver dans un pays où l’on parle français. Les affiches, les panneaux de signalisation, le nom des grands hôtels sont tous en français. Un français mâtiné de malgache, mais généralement impeccable. Même les vendeurs de rue parlent la langue de Molière. « Mais c’est une image trompeuse, dit Jean-Paul Émile Rakotozafy. Faites 30 kilomètres et vous ne verrez pratiquement plus personne qui parle le français. C’est une catastrophe ! » Faute d’un recensement fiable, la plupart des sources statistiques ne sont pas en mesure de préciser combien de francophones compte Madagascar. Les évaluations vont de 6 % à 20 % selon que l’on prend en compte la langue écrite.

Peu importent les chiffres, cet ancien professeur d’histoire et de géographie à la retraite a vu le français s’étioler peu à peu dans l’île. Il a surtout vu sa qualité dégringoler, notamment parmi les enseignants. C’est pourquoi aujourd’hui ce fils d’un soldat malgache qui a participé au débarquement de Marseille en 1944 donne des cours dans un institut privé. « J’essaie de combler les lacunes des étudiants qui entreprennent des études postsecondaires, dit-il. Pour étudier à l’université, on n’a pas le choix de s’exprimer parfaitement en français, même dans les matières scientifiques. Or, depuis 20 ans, le niveau n’a fait que baisser. »

La « malgachisation »

Le grand coupable, dit ce syndicaliste, se nomme la « malgachisation », qu’il ne décrit comme rien de moins qu’un « génocide culturel ». « Dans les années 1970, on a cru que pour se débarrasser du colonialisme, il fallait se débarrasser du français. Or, c’était une erreur. La colonisation nous a aussi laissé certaines choses positives, comme certaines valeurs, et en tout premier lieu le français. » L’homme partage totalement l’avis du poète sénégalais Léopold Sédar Senghor, selon qui le français était le « butin de guerre » des anciennes colonies françaises. Jean-Paul Émile Rakotozafy ne s’oppose évidemment pas à l’enseignement en malgache au primaire et au secondaire. Au contraire. Mais « on a fait ça n’importe comment, dit-il. Ce fut une catastrophe. On a sacrifié une génération. » Résultat, les étudiants parlent le plus souvent ce qu’on surnomme le vary amin’anana (riz aux herbes), une sorte de chiac qui mélange allègrement les deux langues. « Ils ne parlent aucune des deux langues correctement », dit-il.

Parmi la douzaine de quotidiens épinglés au mur et que dévorent des yeux les passants sur la rue Rabehevitra, au centre d’Antananarivo, deux seulement sont en français. Seulement deux radios nationales émettent aussi en français. « À Madagascar, il est urgent de montrer que le français peut être utile », dit Alexandre Wolff, qui dirige l’Observatoire de la langue française créé par l’Organisation internationale de la Francophonie. Dans un pays qui possède une langue nationale, où il n’y a pas de population de langue maternelle française et pratiquement pas de médias en français, le français repose donc essentiellement sur la scolarisation.

Théoriquement, les 4,4 millions d’enfants du primaire apprennent tous le français dès la troisième année. Mais, dans ce pays où 90 % de la population vit avec moins de deux dollars par jour, l’école ne rejoint pas plus de 75 % des enfants. De ce nombre, plus de la moitié la quittera au bout de deux ou trois ans. Quant à ceux qui restent, ils ont toutes les chances de tomber sur un professeur qui ne parle pratiquement pas le français. Si les écoles privées tirent leur épingle du jeu, les écoles publiques qui ne sont pas gratuites ont été encouragées depuis vingt ans à engager leur propre personnel. Un personnel la plupart du temps non diplômé surnommé « les maîtres Fram », du nom des associations de parents qui les recrutent et qui les paie chichement. « À l’époque, l’orthodoxie économique disait qu’il ne fallait plus engager de fonctionnaires, alors on a engagé n’importe qui, dit Rakotozafy. Tous les recalés de tous les concours. Le niveau général s’est effondré. »

Parer au plus pressé

Depuis quelques années, le ministère de l’Éducation, aidé par des organismes internationaux, tente tant bien que mal d’améliorer la formation de ces maîtres improvisés qui représenteraient jusqu’à 75 % des effectifs de l’école primaire publique. La petite équipe de la « Mallette pédagogique » que dirige François Maka a formé depuis 2009 près de 7000 enseignants dans les 22 régions de l’île. Et elle s’apprête à en former l’an prochain 3000 de plus au cours de sessions qui s’étalent sur une période d’un an. Rares sont les écoles qui ont échappé à cette formation. Il n’est pourtant pas rare que, 56 ans après l’indépendance de Madagascar, François Maka se fasse encore accuser d’être « à la solde des Français ». Comme si, dit-il, le français n’était pas une nécessité absolue pour les études avancées et pour s’ouvrir sur le monde. Le plus ironique, c’est que François Maka est un ancien professeur d’anglais qui s’est soudainement converti au français. « J’ai tout simplement eu le coup de foudre », dit-il.
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