Projet de loi spéciale, «Clause Henri VIII» et rôle des élus : une odeur inquiétante...

La gravité de cette atteinte aux fondements de notre État risque de s'avérer d'une ampleur sans précédent. Le faire, de plus, au nom de «l'État de droit»... constitue sans doute l'ironie ultime.

Crise sociale - JJC le gouvernement par le chaos




Sur toutes les tribunes, les commentateurs réfèrent à l'État de droit et à la séparation des pouvoirs, qui, dans notre société, en serait la gardienne. Selon cette théorie, le pouvoir législatif, qui adopte les lois (l'Assemblée nationale, au Québec), le pouvoir exécutif, qui en assure l'exécution (le Conseil des ministres, appelé «le gouvernement») et le pouvoir judiciaire, qui interprète et donne effet aux lois, évoluent dans des univers parallèles. Cette absence d'intersection est souvent présentée comme absolue.
Pourtant, dans notre régime, la séparation des pouvoirs est imparfaite. Cette imperfection résulte fondamentalement du régime parlementaire de tradition britannique qui est nôtre, et qui veut que le gouvernement soit formé parmi les élus qui jouissent «de la confiance de la Chambre», donc qui représentent la majorité. Au-delà de l'anecdote, néanmoins inquiétante, des pratiques du bureau du premier ministre actuel, dans l'affaire des célèbres «post-it» sur les dossiers de nomination des juges, le caractère structurel de la confusion entre les pouvoirs apparaît clairement sous l'actuel gouvernement majoritaire dirigé par M. Charest. L'imposition de plus en plus rigide et constante de la «ligne de parti» accentue d'ailleurs gravement le phénomène.
Le projet de loi spéciale actuellement à l'étude par nos élus contient des dispositions (notamment l'article 9 du projet) qui confèrent au ministre, donc à l'exécutif, le pouvoir de modifier le contenu et l'application de lois adoptées par l'Assemblée nationale. Ce genre de mesure, par laquelle le Parlement autorise l'usurpation de son rôle, est appelé «clause Henri VIII», du nom du célèbre souverain qui régna sur l'Angleterre de 1509 à 1547. Peu connu pour sa mesure et sa modération, il fut celui qui introduisit, en 1531, cet instrument d'accroissement du pouvoir du gouvernement dans une loi qui déléguait, à un agent du roi, le pouvoir de décréter des taxes, en lieu et place du Parlement, et d'imposer des pénalités, avec la même autorité que si ces taxes et pénalités avaient été fixées par le Parlement.
Le Parlement qui adopte un projet de loi contenant une clause Henri VIII aussi étendue que celle qui figure dans l'actuel projet abdique honteusement son pouvoir législatif. Dans ce cadre, l'unanimité qui semble régner parmi les élus libéraux inquiète. Les députés qui voteront en faveur de ce projet doivent être conscients de ce à quoi ils auront prêté leur concours. La «ligne de parti» ne saurait autoriser toutes les dérives.
Les élus, avant d'être membres d'un parti politique et d'un caucus, sont d'abord ceux à qui leurs commettants ont confié le pouvoir législatif et le mandat d'oeuvrer afin de préserver son intégrité. Le site web de l'Assemblée nationale accorde le premier rang au rôle de législateur parmi les fonctions des députés : l'activité première du député est d'étudier, d'analyser et de voter les projets de loi. C'est donc ce que chacun d'entre eux a juré de faire, avec honnêteté et justice, en prêtant le serment de loyauté. Or, les élus libéraux s'apprêtent, en plus de s'attaquer avec une absence de mesure extraordinaire à des droits fondamentaux, à faire reddition du pouvoir de légiférer de l'Assemblée nationale en faveur du bureau du premier ministre! La gravité de cette atteinte aux fondements de notre État risque de s'avérer d'une ampleur sans précédent. Le faire, de plus, au nom de «l'État de droit»... constitue sans doute l'ironie ultime.
Devant l'odeur inquiétante qui se dégage du projet de loi actuellement débattu à l'Assemblée nationale et de la remarquable unanimité des élus libéraux à son sujet, il n'est pas inutile de rappeler que la première clause Henri VIII se trouvait dans une loi sur les... égouts!
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MIREILLE BEAUDET Avocate -
Avocate, l'auteure a fait carrière dans l'enseignement du droit et la gestion universitaire.


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