La Révolution tranquille correspond aussi à un formidable essor culturel auquel contribuent de nouveaux talents, parmi lesquels Hubert Aquin.
M. Hubert Aquin appartient à une nouvelle génération de Canadiens français. Ils ont fait leurs études à Paris après la guerre, se sont perdus dans cette grande ville, ont connu, grâce à elle, l'Europe et sont revenus au Canada, fiers d'être ce qu'ils sont, sans préjugés, sans complexes d'infériorité. Nous sommes loin des jeunes intellectuels d'aujourd'hui, bourrelés de complexes parce qu'ils sont Canadiens français, qui refusent d'aller en France et qui réagissent par la morgue et l'inculture. Hubert Aquin, lui, bien au contraire, représente la culture traditionnelle, mais assimilée, mais vécue et partie intégrante de ce qu'il est. Hertel disait autrefois de certains jeunes gens qu'ils avaient « beaucoup lu, beaucoup digéré, mais peu assimilé ». Ce n'est pas le cas de M. Hubert Aquin qui est, dans notre milieu, l'exemple même d'un magnifique phénomène de culture. Je le connais depuis longtemps; comment faire pour s'abstraire lorsqu'il s'agit de parler de lui? [...] Hubert Aquin, qui plus est, est un écrivain né. Son moyen d'expression, c'est l'écriture. Il pourra avec passion tenter d'échapper à cet étau qu'est le vocabulaire concerté, la suite des idées et des sentiments, il n'y réussira jamais. Lui-même l'avoue; il a tout tenté, il est devenu homme d'affaires; tout, mais en vain. L'écriture était là, qui devait un jour lui forcer la main et l'emporter sur le reste. Quel commentaire sur l'état de notre société qu'un homme aussi doué qu'Hubert Aquin ait dû faire des métiers avant d'accepter d'entrer en écriture, comme on entre en religion!
Je parlerai d'abord de la poésie qui se trouve dans Dernier épisode. C'est une poésie qui sourd de la géographie mentale d'un homme civilisé. [...] À travers tout son livre, Hubert Aquin se livre ainsi à la méditation poétique du recueillement et de la mémoire. Ce n'est pas en vain qu'il a choisi de situer son roman en Suisse; c'est-à-dire que le côté statique de son livre est québécois et, plus spécifiquement, montréalais (l'échec final se situera à Montréal), et que le côté dynamique est européen, suisse, romand, qu'il se situe dans l'orbite de Mme de Staël et de Benjamin Constant. C'est que la Suisse, avec ses défauts et cette lenteur qu'on lui suppose toujours, symbolise pour nous le plexus de l'Europe; c'est en dernière analyse ce que recherche le héros d'Hubert Aquin (qui est lui-même) lorsqu'il veut se perdre au coeur de la forêt, au milieu d'arbres préhistoriques. Ce héros est un homme traqué. Il croit qu'il est poursuivi par les furies policières, alors qu'il est un homme à la recherche de son passé. En un sens, il est le héros canadien-français type. Son drame est le suivant: pourquoi un homme à la recherche de son passé s'imagine-t-il qu'il trahit, qu'il est coupable? Voilà la question fondamentale, dans la psychologie des Canadiens français. Tous les personnages de roman, tous les « hommes d'ici » volent en quête de ce qu'ils ont été, dans le passé immédiat, dans notre histoire. Ils ne trouvent jamais rien. Hubert Aquin devient, par la vertu créatrice, le Canadien français transcendantal puisqu'en H. de Heutz il il trouve son double, son frère civilisé, dans le paysage le plus ancien de notre univers. Il se trouve, mais c'est pour se détruire.
Les deux hommes, le Canadien français qui se refuse, en proie à la névrose policière, et celui qui s'accepte, H. de Heutz, qui est le Canadien français rendu à son humanité première, se cherchent dans un vaste mouvement d'encerclement, pour se tuer. Les deux masques s'affrontent. Ils se complètent. Heutz, c'est Aquin qui se connaît et, se connaissant, qui se dépasse jusque dans la mort. Ils veulent tous deux disparaître selon les rites les plus implacables de la civilisation. « Les deux guerriers, tendus l'un vers l'autre en des postures complémentaires, sont immobilisés par une sorte d'étreinte cruelle, duel à mort qui sert de revêtement lumineux au meuble sombre. » [...] Prochain épisode est consacré à la volupté de rencontrer et de tuer l'image idéale de soi-même. Mais comment tuer cette image idéale lorsqu'elle est celle de l'agent secret parfait? On ne le tuera donc que la prochaine fois. [...]
Prochain épisode se veut en surface un roman d'aventures, d'espionnage, de mort, d'arrestation. Le narrateur est enfermé dans un Institut, emprisonné corps et âme. Il raconte les événements qui, depuis la Suisse, l'ont amené, par le terrorisme, jusqu'à cette prison modèle. Pourquoi a-t-il entrepris ce combat? Jusqu'à la fin, il soutiendra que cette lutte est juste, qu'elle a été conduite selon les normes les plus efficaces. Le seul ennui, c'est que des sbires ont cerné notre héros dans une église, près d'un confessionnal. Subtile vengeance de l'État clérical à tendances fascistes! Tout, dans notre monde, est à rebours. Les églises sont des lieux où l'on arrête les gens; elles sont entourées de voitures, prétextes à parking, et la voiture elle-même est devenue le symbole de l'immobilité. C'est pourquoi il faut s'évader de cet univers, qui est mensonge. Hubert Aquin est un homme qui accepte que le monde dans lequel il vit soit celui de la littérature. L'autre, celui où nous croyons nous mouvoir, n'est qu'une basse copie de cet univers vrai. Aussi longtemps que nos écrivains n'auront pas accepté cette loi fondamentale de l'Art, ils feront de la copie, non des livres. Heureusement, Aquin, lui, enfin, s'affirme. Nous n'avons plus à chercher. Nous le tenons, notre grand écrivain. Mon Dieu, merci.
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Jean Éthier Blais
Prochain épisode, d'Hubert Aquin
La Révolution tranquille correspond aussi à un formidable essor culturel auquel contribuent de nouveaux talents, parmi lesquels Hubert Aquin.
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