Texte publié dans Cyberpresse du mercredi 30 mars 2011 sous le titre "Je lâche le Bloc"
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La véritable question n'est pas de savoir si les coalitions sont possibles en régime parlementaire — elles le sont, évidemment —, mais bien si le Bloc québécois peut ou non soutenir un parti centralisateur et trudeauiste. C'est à cette question que devrait répondre Gilles Duceppe.
Sauf en 1988, j'ai toujours voté pour le Bloc québécois. Grande coalition nationale fondée à la suite de l'échec de l'accord du lac Meech, ce parti était le symbole de notre résistance par rapport aux forces tentaculaires de la centralisation canadienne. Par son existence même, le Bloc rappelait le rapatriement unilatéral de 1982 et offrait la preuve de l'impossibilité de réformer cette fédération en vue de reconnaître constitutionnellement l'un de ses peuples fondateurs.
Élection après élection, j'ai voté Bloc, malgré certains irritants: le «nettoyage civique» des discours sur la nation québécoise à partir du congrès de janvier 2000; la «CSNisation» de l'état-major du parti; la direction autoritaire d'une formation politique de moins en moins financée par sa base; le culte de la personnalité du chef (le Bloc a créé un prix Gilles-Duceppe!), etc. Solidarité nationale oblige, j'ai passé outre et continué à voter pour le Bloc. Il faut dire que j'avais été impressionné par son travail dans le dossier des commandites.
Effets négatifs
Cette fidélité inconditionnelle au Bloc a pris fin le 1er décembre 2008, date à laquelle j'appris que Gilles Duceppe allait soutenir une coalition dirigée par les libéraux de Stéphane Dion jusqu'au 30 juin 2011. Fondé après qu'un accord historique eut été sapé par Jean Chrétien et ses sbires, mon parti allait couronner le dernier héritier du trudeauisme.
L'homme de la loi sur la clarté, celui-là même qui n'avait jamais reconnu le déséquilibre fiscal, qui comparait le Québec à la Corse, allait devenir chef du gouvernement canadien grâce à... Gilles Duceppe! Nulle surprise donc que l'entente signée entre les trois chefs n'ait prévu aucune nouvelle démarche constitutionnelle: «Nous n'avons pu nous entendre sur un geste concret de reconnaissance de la nation québécoise», admettait candidement le chef bloquiste le 1er décembre 2008.
Évidemment! Le Bloc soutenait une coalition avec le NPD, un parti encore plus centralisateur que les libéraux. L'entente prévoyait aussi que le gouvernement fédéral réinjecterait 45 millions en culture... Et moi qui avais toujours pensé que la culture devait relever exclusivement du Québec.
En soutenant le parti à l'origine du scandale des commandites, Gilles Duceppe discréditait, d'un trait de plume, tous ses beaux discours sur les «valeurs québécoises». Ce qu'a fait ressortir cette entente historique, c'est le socle intellectuel que partagent trudeauistes et bloquistes: même discours moralisateur sur les affaires du monde; même inter/multiculturalisme négateur de l'histoire; même foi aveugle dans un État omniscient et dépensier. En signant cette entente, Gilles Duceppe tournait le dos à celles et à ceux qui ont toujours considéré que la question nationale primait toutes les autres.
«Bon pour le Québec»
Depuis quelques jours, le chef bloquiste tente de nous convaincre qu'une coalition similaire allait prendre forme en 2004, ce qui prouverait l'ouverture de son parti à toutes les options, pourvu que «ce soit bon pour le Québec». Cet argument ne convainc guère. D'une part parce qu'aucune entente formelle comparable à celle du 1er décembre 2008 n'a été signée entre les conservateurs et le Bloc en 2004. D'autre part parce que, à entendre les discours de Gilles Duceppe sur «l'idéologie» des conservateurs de Stephen Harper, on se demande bien comment celui-ci aurait pu soutenir un parti aussi étranger aux intérêts supérieurs du Québec.
À moins qu'il s'engage formellement à ne plus jamais appuyer des partis centralisateurs et trudeauistes, je ne pourrai voter pour le Bloc québécois. Je crains cependant qu'un tel engagement ne puisse être tenu puisque, lors de son congrès de février, la direction du parti a imposé, malgré les réserves de plusieurs militants, une résolution voulant que «le Bloc québécois se réserve la possibilité de soutenir une coalition de partis politiques».
Si Gilles Duceppe est sérieux lorsqu'il dit rejeter «l'idéologie» de Stephen Harper — lui qui affirme pourtant ne pas en avoir —, les partis politiques que risque d'appuyer le Bloc seront forcément le Parti libéral et le NPD. Comme d'aucune façon je ne souhaite voir les libéraux prendre le pouvoir, je ne peux voter pour le Bloc.
Pour qui voter alors? Hélas, à la manière des premiers indépendantistes qui pratiquaient l'abstention au fédéral, je risque d'annuler mon vote. Une fois n'est pas coutume...
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Éric Bédard, historien
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