Cher Jean-François Nadeau,
Je vous écris en réaction à votre chronique « Le présent du passé » (Le Devoir, 24 novembre) consacré à mon livre L’abbé Pierre Gravel : syndicaliste et ultranationaliste. D’abord, je tiens à vous remercier de l’intérêt que vous avez porté à mon ouvrage et de la visibilité que vous lui avez accordée. Cela dit, je dois protester contre l’interprétation que vous en avez faite.
Si je n’avais vu en l’abbé Gravel qu’un « croyant sincère doublé d’un raciste, d’un antisémite, d’un xénophobe, d’un homophobe [où avez-vous pris cela ?] et d’un amateur de dictateurs bien droits dans leurs bottes », je ne me serais pas donné la peine de lui consacrer un livre. Il y a déjà une littérature abondante sur ces penseurs qu’on présente comme les auteurs du discours ultraréactionnaire et sans aucune nuance qu’on imagine avoir dominé la société québécoise de la « Grande Noirceur ».
C’est la raison pour laquelle je suis déçu de voir que vous avez limité votre analyse à la surface de mon étude. Vous qualifiez mes nuances de « timides avancées » dues à ma « crainte de ne pas être assez mesuré ». La tâche de l’historien n’est pourtant pas de tracer un portrait sombre du passé afin que la collectivité puisse jeter aux oubliettes l’époque précédente et se féliciter d’en être sortie meilleure. Ce n’est pas tout de rappeler à la mémoire les tenants de l’extrême droite, d’énumérer leurs manifestations et de compter leurs fidèles. Encore faut-il tenter d’expliquer ce qui a permis et justifié leur existence aux yeux de leurs contemporains.
Pour cette raison, je ne pouvais me limiter à explorer l’opposition de Gravel à la gauche, son opposition à l’immigration juive ou encore ses amitiés avec Maurice Duplessis et Robert Rumilly, le tout décoré de photographies de ses saluts nazis. Je devais également rendre compte de son rôle clef dans la fondation du plus important syndicat de l’industrie de l’amiante, de son militantisme en faveur de l’État-providence et de la nationalisation de l’électricité, de même que de son soutien actif aux tiers partis progressistes des années 1930 et 1940 dont on qualifiait alors le programme de révolutionnaire, voire de bolcheviste. Un discours apparemment contradictoire où se concilient étrangement la gauche et l’extrême droite. Là résidait, je crois, l’intérêt de mon analyse.
L’étude du cas de l’abbé Pierre Gravel visait à contribuer à une meilleure compréhension de notre passé et non à faire le procès de cette société québécoise dans laquelle on trouve preneur pour « la pire des idéologies ». À vous lire, j’ai tendance à croire que je n’ai pas atteint mon objectif. Je devrai travailler davantage. Au plaisir de vous lire à nouveau.
Réponse du chroniqueur
Il nous manquait une étude consacrée à ce curé influent dans les milieux populaires d’avant-guerre. Vous avez eu raison de lui accorder votre attention. Si l’historien doit en effet s’efforcer de comprendre plutôt que de condamner, votre erreur principale à ce titre est de trop croire que l’attachement de Pierre Gravel à un syndicalisme aux horizons corporatistes, combiné au fait que cet abbé se voit dénoncer pour son soutien à des mouvements qualifiés de « progressistes », constitue une contradiction avec ses positions ouvertement fascistes. Vous êtes pour ainsi dire aveuglé par une illusion qui tient au fait que vous accordez à des étiquettes d’hier, sans doute malgré vous, le poids des réalités que recouvrent ces mots aujourd’hui. Pour dire vite, puisque l’espace manque ici, vous oubliez en chemin qu’un certain syndicalisme se trouve aux origines du fascisme et de la montée de l’extrême droite. Aussi n’y a-t-il rien de « contradictoire » ni d’original chez ce curé, au contraire de ce que vous prétendez : comme d’autres personnages forts en gueule, il est bel et bien taillé en bloc dans le noir d’une époque dont il se fait le triste perroquet.
Jean-François Nadeau
AUTOUR DE L’ABBÉ PIERRE GRAVEL
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