Pour éviter les dérives

ECR - Éthique et culture religieuse

Le nouveau programme scolaire «Éthique et culture religieuse» a beau promettre la fabrication de jeunes esprits tolérants, plusieurs pièges se dessinent déjà sur la route de cette laïcisation scolaire sans précédent. Il n'est pas certain que l'école disposera de ce dont elle a besoin pour mener cette révolution.
Bon nombre des récentes échauffourées à saveur d'accommodements raisonnables ont éclaté dans le giron de l'école. C'est peu étonnant: microcosme de la société, l'école doit souvent dénouer des impasses liées au choc des droits individuels et collectifs, le tout dans un contexte où le Québec tente simultanément d'affirmer sa laïcité, de préserver sa mémoire et de faire face à la pluralité.
L'autorisation du port du kirpan à l'école par la Cour suprême reste sans doute l'emblème le plus puissant de cette dualité qui se joue dans certaines cours de récréation: alors qu'il termine un processus de déconfessionnalisation et se dégage de l'enseignement religieux, le réseau scolaire ouvrirait grand la porte à des concessions d'ordre confessionnel? Aux yeux de plusieurs, c'est un pur paradoxe!
Dans la recherche de ce délicat équilibre réside le plus imposant -- et le plus explosif -- des défis du programme «Éthique et culture religieuse», qui supplantera dès septembre 2008 l'enseignement moral et religieux dans les écoles primaires et secondaires. On l'a senti en suivant les premiers débats à la commission Bouchard-Taylor: partagé entre la richesse et les exigences de la diversité, le Québec ne sait pas encore où tracer les limites de sa laïcité.
L'enjeu culturel auquel feront face les enseignants, eux-mêmes membres de cette collectivité en quête de sens, est donc grandiose. Ils déambuleront parfois sur un fil si mince qu'ils devront user d'un doigté hors du commun et d'une dose infinie de diplomatie. La réserve la plus élémentaire commandera de placer les préjugés au rancart et de mettre les convictions personnelles en veilleuse.
En imposant uniformément cette nouvelle manière de faire dans toutes ses écoles, Québec se lance dans une mission quasi impossible. Comment offrir à 23 000 enseignants une formation adéquate et complète sur une matière aussi sensible? L'arrivée d'un nouveau programme ne balaie pas, il est vrai, toute l'expérience et tout le bagage accumulés par les professeurs au fil du temps, mais on ne lance pas une révolution sans outiller son armée.
À ce chapitre, l'expérience de la formation des profs en prévision du renouveau pédagogique a été désastreuse. Effectuée sur une base volontaire (un vice mal caché de notre système d'enseignement), elle a trop souvent été inefficace. Huit ans après le grand démarrage de cette réforme, certains revendiquent encore le droit à une petite demi-journée de soutien. Le défi technique paraît donc insurmontable.
Paradoxalement, il faudra donc faire «acte de foi» et espérer que les fruits de ce programme écloront à l'école. Sans soutien pédagogique, sans moyens financiers et techniques, sans encadrement très serré, la mise en oeuvre du programme, si prometteur soit celui-ci, risque ou bien d'être sans effet, tant elle sera édulcorée, ou bien de semer çà et là sa matière explosive. Québec dispose d'un instrument de fine pointe. À lui maintenant de tout faire pour qu'on le manipule avec beaucoup de doigté.
machouinard@ledevoir.com


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