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Portrait d'un Chef : Mario Dumont (2)

Chronique de Normand Perry


DEUXIÈME PARTIE
[->4180] Nous en sommes cette semaine au second volet de cette longue entrevue d’une heure que m’accordait le chef adéquiste le 18 janvier dernier à ses bureaux de Montréal.
Il est recommandé pour les personnes qui n’auraient pas eu l’occasion de prendre connaissance du premier volet de cet entretien, de suivre le lien suivant de la [première partie->3876] pour en suivre le fil de la discussion.
Dans le volet présent, nous terminons la partie consacrée aux trois propositions de l’ADQ que je disais être à « saveurs souverainistes ». Je m’engage à préciser ce que j’ai à l’esprit à travers cette expression lorsque, dans le quatrième et dernier volet consacré à Mario Dumont, où je vais livrer mon analyse et ma critique des idées de cette formation politique, située entièrement sur le flanc néo-conservateur de l’échiquier politique québécois, en plus de mes appréciations à l’égard de son chef.
***
NP : Dans une lettre rendue publique le 16 janvier, monsieur Dumont, vous évoquez avec force la nécessité de doter le Québec de sa propre constitution. Vous proposez celle-ci en conclusion de votre texte qui porte, au préalable, sur la question des accommodements raisonnables, question qui occupe une bonne partie de nos débats publics actuels.
Permettez que je cite ce paragraphe :
« L’ADQ propose aux Québécois un programme étoffé pour protéger ses valeurs communes et affirmer notre personnalité collective. Au premier chef, nous croyons qu’il est impératif de doter le Québec de sa propre constitution et d’y enchâsser nos valeurs communes. Ce geste fort et solennel permettrait à tous les Québécois de dire, dans un geste commun et rassembleur, qui nous sommes. Cela permettrait aussi aux autres nations de par le monde de saisir clairement la véritable nature de l’identité québécoise. C’est à mon point de vue, un geste symbolique certes, mais que nous nous devons de poser pour protéger et renforcer nos valeurs communes. »
1) NP : N’y a-t-il pas un risque, monsieur Dumont, en établissant le parallèle que vous faites dans cette lettre, que plusieurs esprits au Québec soient tentés de réduire à un simple rôle de bouclier la constitution du Québec, entre les minorités ethniques par rapport aux Québécois dits de « souche » ?
MD : Bon, il y a peut-être un « notamment » qui manque dans le texte. La lettre ouverte portait sur un sujet, et nous avons inséré l’idée de constitution en réponse au sujet qui venait dans les paragraphes préalables. Comprenons-nous bien, et je l’ai évoqué lorsque nous avons effleuré en introduction le sujet de la constitution, qu’il s’agit bel et bien d’un document à visée beaucoup plus large, visant à protéger nos lois démocratiques, la charte de la langue française, etc. Donc, il y a un « notamment » qui aurait dû être inséré (lors de la rédaction du texte dont il question) pour dire que c’est un des volets et l’une des choses que permet la constitution québécoise, mais que cela ne sert pas uniquement pour cela (par rapport à la question des « accommodements raisonnables »). Il faut bien se comprendre à cet effet : c’est que la lettre portait sur le sujet des accommodements, et l’idée de constitution a été introduite dans la réponse à cette problématique. Je pense que c’est une réponse importante à cela; mais il est clair que c’est notamment à cela que ça sert la constitution. Et il faut avoir à l’esprit que ce n’est pas dans le but de réduire la constitution québécoise à ce seul élément qui n’en est, en fin de compte, qu’un volet. On s’entend bien là-dessus, c’est une précision d’une très grande importance.
2) NP : Un peu comme dans le cas de la citoyenneté, parlez-nous, monsieur Dumont, des exemples à travers le monde où une constitution existe pour une partie d’un État donné ?
MD : Il n’est pas nécessaire d’aller très très loin dans le monde pour en trouver. Ici même au Canada, en Colombie-Britannique par exemple, cette province possède un document d’ordre constitutionnel, ce qui est assez étonnant pour une province qui partage la langue de la majorité au Canada, qu’elle a pris une initiative comme celle-là. On a parlé aussi tantôt des Länder d’Allemagne, qui possèdent leurs propres constitutions internes. Je ne pourrais vous faire une liste exhaustive de tous les cas qui existent dans le monde à ce propos, mais il y a des précédents sans l’ombre d’un doute.
3) NP : Une fois la constitution québécoise rédigée et en vigueur sur le plan juridique, quelle constitution, entre la canadienne et la québécoise, aura préséance sur le territoire du Québec lorsque des litiges se présenteront ?
MD : Eh bien, c’est exactement le même principe qui existe dans le cas de la Charte canadienne des droits et libertés versus la Charte québécoise. Une constitution du Québec va permettre de préciser qui nous sommes. Mais au plan juridique, une Constitution québécoise ne peut pas aller à l’encontre de la Constitution canadienne, parce que si une Constitution québécoise était rédigée dans un esprit contraire à la Constitution canadienne, cela la rendrait illégale. Ce que nous voulons en faire, c’est de préciser nos lois démocratiques, préciser les pouvoirs du Québec sur le territoire, regrouper nos valeurs communes. Il m’apparaît qu’il n’y a rien dans la Constitution canadienne qui nous empêche de faire ce que je viens de décrire comme esprit et contenu d’une Constitution du Québec.
Si ça devait se présenter, il y a toujours la clause nonobstant. Mais à première vue, une Constitution du Québec a tout son espace pour établir à l’intérieur de l’espace politique québécois des valeurs, des partages de pouvoirs, des principes démocratiques. Donc, à ce propos, nos recherches et nos travaux nous démontrent très clairement que c’est très faisable.
NP : Au plan philosophique, quelle différence faites-vous entre autonomie et indépendance, sachant que nos dictionnaires, dans la définition du mot autonomie, insèrent le terme indépendance, que ce soit dans Le Petit Larousse ou dans Le Multi Dictionnaire (De Villiers) ? Surtout que dans votre esprit et la vision de l’ADQ, l’autonomie du Québec est située dans une perspective de rattachement au fédéralisme canadien. Comment pouvez-vous, monsieur Dumont, concilier cette vision des choses par rapport aux définitions du terme autonomie contenues dans nos dictionnaires de langue française ?
MD : Évidemment, vous avez consulté des dictionnaires communs. Il aurait fallu consulter un dictionnaire politique. L’indépendance telle que définie dans les dictionnaires politiques québécois, implique carrément une séparation par rapport au reste du Canada, en regard de laquelle les Québécois ont été questionnés à deux reprises à l’intérieur de référendums, et la réponse fut négative les deux fois.
Pour nous, l’autonomie, nous n’en faisons point un absolu. Sur un continuum, le Québec doit faire des gains en termes d’autonomie. La prétention et la confiance que nous avons à cet égard, c’est qu’à la fin d’un mandat d’un gouvernement de l’ADQ, le Québec va certainement être plus autonome qu’avant un gouvernement de l’ADQ. Pour le peuple du Québec, cela est un progrès réel et concret. Dans l’idée d’autonomie, il n’y a pas le rêve d’un grand soir où nous allons devenir subitement indépendants en toute matière.
Et permettez-moi de préciser autre chose. Pour nous, il y a une cohérence dans notre vision de l’autonomie. C’est l’autonomie du Québec à l’intérieur de la fédération canadienne que nous voulons réaliser; on veut une autonomie des régions dans le Québec; nous voulons l’autonomie des institutions dans le Québec.
Par exemple, si nous prônons l’abolition des commissions scolaires, c’est pour permettre une plus grande autonomie des écoles de manière respective, et nous poussons ce même raisonnement jusqu’à proposer l’autonomie des enseignants. On veut même des individus dans la société qui puissent être plus autonomes, où l’État est beaucoup moins interventionniste dans la vie de chacun des citoyens. Ce n’est pas à l’État de décider à la place des gens. Nous pensons que le citoyen a la capacité de décider de ce qui est le mieux pour lui et pour sa famille. Nous pensons que les Québécois doivent avoir suffisamment d’autonomie pour être en mesure de se débarrasser de l’empiètement du gouvernement fédéral dans des juridictions qui sont les nôtres au Québec. Nous croyons donc être en continuité dans notre vision autonomiste.
NP : Vous avez évoqué, monsieur Dumont, l’automne dernier, alors que le débat sur reconnaissance de la nation québécoise animait la scène politique tant au Québec qu’à Ottawa, la nécessité pour le Québec de réintégrer le giron constitutionnel canadien. Si vous engagez le Québec dans une nouvelle ronde constitutionnelle et que cette dernière donne exactement les mêmes résultats désastreux que ceux de Meech, quelles seront vos actions en tant que premier ministre du Québec ?
Oserez-vous par la suite franchir le pas que Robert Bourassa n’a pas osé franchir en vous rangeant définitivement dans le clan souverainiste et en invitant la population du Québec à se donner un pays indépendant ?
MD : On ne peut pas avoir une idée comme celle-là et engager un processus aussi important avec des appréhensions défaitistes. On ne peut pas se dire que « ça ne fonctionnera pas » avant même que les discussions soient engagées. Je suis confiant et si je propose l’idée d’une amorce de négociation d’une ronde constitutionnelle, c’est que j’ai la conviction qu’il peut y avoir des gains substantiels pour le Québec.
NP : Mais vous conviendrez tout de même, monsieur Dumont, qu’il faut être prêt à toute éventualité ?
MD : Bien, écoutez, nous on s’engage en campagne électorale avec cette proposition dans nos bagages, ce sera aux Québécois de juger s’ils veulent au non de notre programme et de nos propositions, dont celle d’une ronde constitutionnelle. Et à la fin d’un mandat adéquiste, nous jugerons de ce que nous devons proposer pour la suite, et le peuple jugera sur ce que nous aurons livré. Et il est hors de question de partir avec une hypothèse d’échec.
NP : Qu’allez-vous faire si l’idée même d’engager une ronde constitutionnelle rencontre des résistances très sérieuses au point de la rendre impossible ?
MD : Je pense sincèrement qu’il y a des ouvertures pour qu’une nouvelle ronde constitutionnelle soit possible à plus ou moins brève échéance. Ne prenez que l’exemple du pouvoir du fédéral de dépenser. C’est à la source de la création des bourses du millénaire, il y aura bientôt une proposition législative au Parlement…
NP : Mais là on parle d’un projet législatif et non d’un amendement constitutionnel !
MD : Eh bien là, c’est un enjeu important, une grosse différence à mon avis. Il est très clair dans mon esprit que LE règlement satisfaisant pour moi, c’est un règlement constitutionnel. Je veux bien admettre que la population déteste ce mot « constitutionnel » parce que c’est synonyme dans l’esprit de beaucoup de gens de toutes sortes de problèmes, ce qui nous a fait perdre le côté positif de la chose.
Il ne faut pas perdre de vue qu’un règlement constitutionnel est une garantie à long terme. Une fois que c’est réglé, les gouvernements qui passent ensuite, qu’ils soient respectueux des champs de compétences ou plus centralisateurs, ils y seront soumis de manière égale. Les empiètements dans les champs de compétence ne seront plus possibles. Ce n’est pas un hasard si la plupart des premiers ministres du Québec ont souhaité un règlement de tous ces problèmes dans un ordre constitutionnel, c’est pour y mettre un cadenas. Une fois réglé, on ne verra plus de scénario : ça marche avec un gouvernement, il part, et avec l’autre l’entente ne fonctionne plus.
Fin de la seconde partie
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Dans le troisième et dernier volet de cette entrevue la semaine prochaine, Mario Dumont nous parlera de la philosophie économique de l’ADQ, qui a un lien assez étroit par rapport à la vision du groupe des Lucides, de même que des priorités de sa formation politique en matière de famille et d’éducation.

Squared

Normand Perry126 articles

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On pourrait le décrire comme un grand passionné de communication, de philosophie, de politique, d'histoire, d'astronomie, de sciences, de marketing, de musique classique et d'opéra. Normand Perry mène une vie publique bien remplie, toujours avec des projets plein la tête et des rêves à réaliser.

Après avoir obtenu un premier diplôme universitaire en philosophie au milieu des années ’90, Normand Perry débute sa vie publique comme pamphlétaire, exprimant ses opinions librement, ces dernières étant publiées régulièrement dans les journaux régionaux, les quotidiens et divers sites Web.

Depuis avril 2004, il travaille chez [Soleil communication de marque->http://www.soleilcom.com/], agence de publicité montréalaise, où il est au développement des affaires, en veille stratégique et aux relations publiques.

Depuis juillet 2010, il s’est vu confié un projet radiophonique à [l’antenne de Radio Ville-Marie->http://www.radiovm.com/index.aspx] où il conçoit, réalise, anime et supervise le montage d’une émission portant sur l’orthodoxie chrétienne au Québec : [Voix Orthodoxes->http://www.voixorthodoxes.org/].

Sa plume va le conduire en politique active.

Après s’être fait connaître comme pamphlétaire à partir du début des années 2000 dans sa région du Suroît, il se fait remarquer, et on lui propose la présidence de circonscription au Parti Québecois dans Soulanges au début 2005. Suite à la démission inattendue de Bernard Landry en juin 2005 comme chef de cette formation politique, Normand Perry appuie d’emblée la candidature de Louis Bernard tout en s’opposant farouchement à l’élection d’André Boisclair. Lorsque ce dernier remporte la chefferie du PQ en novembre 2005, Normand Perry démissionne de sa présidence et quitte le PQ sur-le-champ.

A l’automne de la même année il se fait élire au conseil municipal à Les Coteaux dans la circonscription de Soulanges au Québec. Il se voit confier notamment les responsabilités du comité des loisirs, où conçoit et implante un programme de subvention à l’activité sportive pour les jeunes; il occupe la vice-présidence du HLM, il aussi responsable de la sécurité publique et participe activement à la fondation de la Régie inter municipale des Pompiers du Lac-St-François (fusion des services des incendies de Les Coteaux et St-Zotique).

Lors de la création du nouveau parti politique Québec solidaire en février 2006, il en devient membre et participe au congrès de fondation à Montréal. Il se porte candidat aux élections provinciales de mars 2007 pour cette formation politique dans la circonscription de Beauharnois.

Après ces quelques années en politique active, il poursuit son œuvre de réflexion pamphlétaire, notamment sur le [Blogue de Normand Perry->http://normandperry.blogspot.com/] tout comme sur Vigile et bien d’autres médias québécois





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