Point chaud - «J’étais très conscient qu’on ne contrôlait rien du tout»

Gabriel Nadeau-Dubois dresse un bilan plutôt positif du printemps érable, un an plus tard (TEXTE EN VERSION LONGUE)

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Souvenirs d'un printemps érable

Gabriel Nadeau-Dubois en cinq dates
31 mai 1990 : Naissance à Montréal.
Automne 2007 : Début de son militantisme au sein de l’ASSE.
Automne 2009 : Il commence une majeure à l’UQAM en histoire.
Automne 2011 : Il devient coporte-parole de la CLASSE.
Novembre 2012 : Il est jugé coupable d’outrage au tribunal et en appelle de la décision.
***
Coin Saint-Denis-Maisonneuve, devant l’UQAM, Gabriel Nadeau-Dubois, avec sa verve passionnée, défend sa position sur la fiscalité et le contingentement dans les universités. Long manteau, mallette au bras, le jeune homme de presque 23 ans, qui effectue une mineure en philosophie à l’Université de Montréal, a l’air de n’importe quel étudiant de son âge.
Mais, signe que son passé de rock star du printemps érable le rattrape, l’ancien porte-parole de la Coalition large pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) est interrompu par une horde d’adolescentes qui gloussent à l’idée de se faire photographier avec lui.
À la fois flatté et mal à l’aise, l’ancien porte-parole de la Coalition large pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) s’exécute.
«J’assume les conséquences du choix que j’ai fait de me mettre à l’avant-scène», expliquera plus tard celui que plusieurs appellent GND. «Même si ça a de très mauvais côtés. La vie privée, ça n’existe plus.»
Avec des séminaires et des conférences partout au Canada, son horaire de premier ministre s’essouffle à peine dans sa vie post-conflit. Il dit pourtant être aujourd’hui un étudiant plutôt «low-profile» et studieux. Il est vrai qu’il est difficile de l’imaginer plus occupé qu’au printemps dernier. «Au début de la grève j’allais plus dans les assemblées, pas toutes, car il y en avait un nombre incroyable, et on commentait les résultats durant la journée», raconte Gabriel Nadeau-Dubois, de sa voix élimée, qu’on entendait sur toutes les tribunes il y a un an à peine. «À partir d’un certain moment, ma vie se résumait aux médias.»
De 5 h du matin jusqu’au soir, à l’émission 24 heures en 60 minutes, sa vie consistait à enchaîner les entrevues, se promenant entre les studios radio et télé, et répondant aux questions de la presse écrite lorsqu’il n’était pas en ondes. « Une fois, je me suis même endormi pendant une entrevue radio. J’étais à Québec. Renaud [Poirier St-Pierre son attaché de presse] m’avait donné le téléphone dans mon lit. J’étais tellement fatigué que j’ai manqué une question parce que je m’étais rendormi une fraction de seconde», raconte-t-il.
Il en profite pour rendre hommage à ses compagnons de lutte, l’exécutif et autres membres de la CLASSE, qui ont préparé le terrain pour les assemblées, organisé des actions, graissé la machine, quoi. «Cette vie-là, c’était comme ça pour l’exécutif et tous les militants de la grève, même les gens qui étaient dans les rues, qui bloquaient les portes d’une banque à 6 h, étaient à midi devant la CREPUQ et se rassemblaient à 14 h dans un square, dit-il. On avait un congrès chaque semaine et on se réunissait après pour faire le plan de la semaine. On avait nos habitudes de travail, chacun travaillait sur ses dossiers qu’on s’était bien répartis.»
Il parle avec respect de son attaché de presse, Renaud, sans qui il n’aurait jamais pu faire ce travail, confie-t-il. «Il a été ma courroie de transmission, non seulement avec les médias, mais avec mon propre exécutif.» Et même sa propre mère !
Pas le don d’ubiquité, mais presque. Gabriel Nadeau-Dubois était partout, comme le voulait la stratégie de la CLASSE. Stratégie qui s’est au fil du printemps retournée contre lui, ses partenaires de lutte l’ayant blâmé plusieurs fois parce qu’il se mettait trop en avant.
Et dans toute cette frénésie printanière, impossible de garder le contrôle. «On savait quelles actions la CLASSE organisait, sinon l’exécutif m’informait de ce qu’il voyait passer sur Facebook et, des fois, on était capables de retracer qui l’organisait, note-t-il. Mais à un certain moment, on ne le savait pas. On n’avait aucune idée de ce qui se passait.»
La manifestation du 22 mars
Pour les étudiants, l’arrivée du printemps a été un véritable cadeau. Ça s’est passé le 22 mars. Sous un soleil jouissif et un mercure frisant les 20 degrés, des centaines de milliers de personnes de tous âges ont participé à cette grande «manifestation nationale», première d’une série de marches qui auraient lieu tous les 22 du mois. «Ça a été un moment charnière», se rappelle Gabriel Nadeau-Dubois. «Au sens où c’est à ce moment-là qu’on a pris conscience de l’ampleur du mouvement et de notre propre pouvoir comme génération.»
Surtout lorsque la vague humaine a déferlé jusque sous le viaduc Berri. «C’est là que, pour la première fois, la manif se voit elle-même et qu’on prend conscience de notre pouvoir. Il y a tout un gratte-ciel de préjugés qui s’écroule sur notre niveau de conscientisation comme génération. À partir de là, tout le monde au Québec comprend qu’il se passe quelque chose hors de l’ordinaire, qu’il y a quelque chose de plus gros qu’une grosse grève étudiante.»
Sur une note plus personnelle, Gabriel Nadeau-Dubois évoque aussi comme tournant décisif l’assemblée générale de l’association étudiante du Cégep Maisonneuve, qui a eu lieu fin février. «Il y a 3500 personnes à l’assemblée générale, c’est du jamais vu. On est installés dans deux gymnases un par-dessus l’autre. Avant de commencer, le directeur de la sécurité vient au micro et demande aux gens de ne pas bouger en même temps dans le gymnase et de ne pas sauter parce que le cégep n’a pas été construit pour accueillir autant de personnes et que ça pourrait être dangereux pour l’intégrité matérielle du bâtiment, raconte le jeune homme. L’institution elle-même n’avait pas été pensée ni conçue pour un tel niveau de mobilisation. On ne faisait pas juste surprendre les chroniqueurs de mauvaise foi, on surprenait aussi les murs de nos écoles. C’était le signe objectif qu’il y avait quelque chose d’extraordinaire qui était en train de se produire. La grève a été adoptée à 85 %. C’était un tsunami. Je me rappelle de m’être dit ce soir-là que la grève allait être sans précédent.»
À travers ces moments d’euphorie, d’autres, plus sombres, évoquent l’horreur, pour Gabriel Nadeau-Dubois. Victoriaville. «Je me rappelle que je me suis dit : “Oh, fuck”. L’affrontement ne peut plus continuer. Il y aurait pu avoir des morts et ç’aurait été une tragédie incommensurable. Je ne sais pas comment on aurait géré ça.»
Cette manifestation en marge du Conseil général du Parti libéral avait complètement dégénéré. Le bilan : une centaine d’arrestations et trois blessés graves dont un, qui a perdu un œil. Rien que de l’évoquer, Gabriel Nadeau-Dubois a la voix qui s’étrangle. Il a des regrets de ne pas avoir suffisamment condamné la violence de la répression. «Dans ma déclaration, j’ai reformulé mon mandat de congrès et je suis resté vague. J’étais troublé par ce qui se passait, mais je n’avais pas conscience du niveau de brutalité policière et de la répression. Avoir su, j’en aurais parlé.» C’était le 4 mai. «À ce moment-là, les gens avaient pris une autonomie importante par rapport à l’organisation du mouvement et encore plus par rapport à moi. J’étais très conscient qu’on ne contrôlait rien du tout», admet-il.
Tout ça pour ça ?
Gabriel Nadeau-Dubois, qui est en train d’écrire un livre dont la sortie est prévue pour octobre chez Lux Éditeur, dresse malgré tout un bilan positif du mouvement étudiant. Du moins sur le plan personnel. «Ça nous a vieillit beaucoup comme mouvement, ça nous a appris beaucoup de choses, reconnaît-il. Mais il faut comprendre qu’on baignait là-dedans. Comme le poisson qui ne sait pas qu’il est dans l’eau. […] Je sentais beaucoup de pression. Un congrès sur deux je me faisais ramasser, je me faisais pitcher des affaires pendant les manifs. On avait tellement peu de recul dans la situation, on était dans l’action-réaction. C’est ce que je regrette. On aurait été meilleurs si on avait pris du recul et le temps de réagir, ce que faisaient les libéraux, eux.»
Contrairement à ce que l’on aurait pu penser, Gabriel Nadeau-Dubois n’a véritablement croisé l’ex-premier ministre Jean Charest qu’une seule fois pendant le conflit. C’était le 31 mai, jour de son anniversaire et jour de la dernière négociation avec le gouvernement qui avait finalement échoué. Des proches lui avaient remis un gâteau à la sortie de la rencontre et il l’a gardé avec lui jusqu’au studio de la colline parlementaire où il accordait une entrevue à TVA. Le premier ministre était déjà en studio. «Les gardes du corps m’ont vu avec mon gâteau plein de crème fouettée et ils sont devenus très nerveux. Ils ont pensé que je voulais l’entarter.»
Il décrit comme très « différentes » les relations avec les deux ministres de l’Éducation qui se sont succédé pendant le conflit, Line Beauchamp — qui a démissionné le 14 mai — et Michelle Courchesne. Il décrit cette dernière comme «sympathique» sur la forme et de «redoutable politicienne» sur le fond. «D’un point de vue franchise et jasette, Courchesne avait quelque chose de plus fluide», fait-il remarquer. «Beauchamp, on la sentait plus angoissée et stressée. Elle était émotive», souligne Gabriel Nadeau-Dubois. «La seule fois où je l’ai rencontrée lors d’une négo, elle ne m’a pas regardé dans les yeux. Elle avait quelque chose de frêle. […] La loi spéciale, elle n’était pas capable de vivre avec ça.»
Mais Gabriel Nadeau-Dubois se garde bien de s’émouvoir devant la victimisation de certains acteurs du conflit. «Quand tu t’engages dans quelque chose, il y a des conséquences. Beauchamp, personne ne l’a forcée à être ministre. Il faut faire attention avec la victimisation», a-t-il laissé tomber. «Les vraies victimes, ce n’est pas Line Beauchamp, ce n’est pas Arielle Grenier [Une « carré vert », membre du Mouvement des étudiants socialement responsables] et c’est pas moi non plus. Ce sont les gens pris pour plusieurs années dans des procédures judiciaires parce qu’ils ont eu des tickets dans des manifs. Ce sont des gens qui ont été blessés, ont perdu un œil, ont été matraqués, se sont fait suivre et perquisitionner.»
Le récent Sommet sur l’enseignement supérieur organisé par le gouvernement péquiste s’est soldé par quelques consensus, mais surtout par une indexation de 3 % des frais afférents et des droits de scolarité. Tout ça pour ça ? L’air grave, Gabriel Nadeau-Dubois réfléchit longuement avant de répondre. «Je n’aime pas parler de déception parce que ce serait triste pour les gens qui ont lutté. […] On a fait une belle grande grève, et c’est important d’en faire un bilan positif », souligne-t-il, rappelant que la hausse de 1625 $ sur cinq ans des droits de scolarité a quand même été annulée.
Selon lui, découlent de cette lutte des «gains collectifs profonds», qui vont au-delà de la question des droits de scolarité. «Ça a l’air cliché, mais c’est fondamental. On dit que les générations se font quand elles ont 20 ans. Le plus gros mouvement social de l’histoire du Québec a marqué les esprits et ça a semé dans toute une génération une manière de voir la politique qui va être marquante pour le reste de leur vie. Comme s’il y avait eu quelque chose de semé et qui va pouvoir être réactivé à un certain moment donné», soutient-il. «Un vieux militant syndical m’avait un jour dit : “la politique, c’est pas comme un match de hockey, où la troisième période se termine et tu sais si t’as les deux points ou pas.” C’est plutôt une nouvelle lutte qui s’amorce et qui va se dérouler autrement, qui va être sur le long terme.»


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