Mardi, dans le petit café où il raconte en quoi le conflit étudiant l’a marqué, « Anarchopanda pour la gratuité scolaire » est nu. Nu au sens « mascotte » du terme. C’est-à-dire dépourvu de ses atours toutous portés par « tactique symbolique » pendant le conflit étudiant, et jusqu’à vendredi où il fut arrêté. C’était pour pointer l’absurde d’un règlement antimasque non appliqué pour un panda géant distribuant les câlins, mais appliqué avec rigueur pour tous ceux qui se couvraient le visage autrement.
« Le panda, c’était un manifestant masqué parmi d’autres », raconte le prof de cégep, qui tient à son anonymat autant qu’un panda à sa tige de bambou. « Il était plus gros que les autres, plus remarquable, peut-être plus cute, je ne sais pas, mais ce qui aurait dû étonner les gens et qui ne les a pas étonnés tant que ça, c’est que les policiers [avant vendredi, du moins] ont traité le panda d’une manière avec laquelle ils n’ont pas traité les autres manifestants masqués. Parfois, ils me sont rentrés dedans, m’ont donné des petits coups, mais je ne [m’étais] jamais fait arrêter alors que je faisais exactement la même chose que tous ceux qui, habillés en noir, se sont fait frapper dessus. »
Le prof continue d’être de toutes les manifestations. Cette présence lui permet de voir le décalage trop souvent immense entre la réalité du terrain et la perception véhiculée par les canaux officiels, médias compris. « Fallait que j’expérimente moi-même l’écart entre la réalité et ce qu’on en dit pour que ça vienne me chercher. C’est pour ça aussi qu’on ne pouvait pas trop blâmer les gens qui ne participaient pas aux manifestations de ne pas comprendre ce qui se passait réellement. D’imaginer que ce n’était que de la casse et de la violence. C’était ça dont on parlait dans les médias, sans séquences d’événements, sans lien de cause à effet ! Tu ne peux pas comprendre l’abîme entre la réalité et la fiction journalistique pratiquée par plusieurs si tu n’es pas là. »
Donner un sens
Mais une fois passé de « l’autre côté du rideau », impossible de revenir. « Les gens qui ont décroché de l’info officielle parce qu’on ne leur a pas présenté tous les tableaux, ils ne peuvent plus faire confiance. Ils remettent tout en question quand ils lisent les journaux. Ils se disent : “Est-ce que c’est vraiment ça qui s’est passé ?” Et ils cherchent des sources d’infos alternatives. »
Avoir vu le conflit étudiant de l’intérieur ne laisse pas beaucoup de répit aux méninges, même un an plus tard. La tête d’Anarchopanda, philosophe à ses heures, a réfléchi entre autres au sens du mot démocratie. « Pour moi, la contribution la plus profonde du printemps érable, c’est d’avoir redonné le goût d’une vraie démocratie à un paquet de gens, explique le panda déshabillé. Même moi, avant de vivre ce conflit, je crois qu’on aurait pu m’entendre dire : “Ben oui, il y a une réelle démocratie au Québec !” Mais maintenant, si les mots ont encore un sens, on ne peut pas considérer la démocratie ici comme un fait accompli. »
Scènes d’affrontement
Ceux qui ont croisé Anarchopanda en pleine manif peuvent témoigner des câlins qu’il distribuait à la ronde, sans distinguer le manifestant du policier. Mais les scènes d’affrontement dont il a été témoin, avec ou sans son déguisement, ont éprouvé le pacifique en lui. « Les opinions qu’on développe sur ce qui est acceptable ou non sont conditionnées par nos expériences personnelles. Moi, je n’ai pas souffert physiquement pendant le conflit, ou à peu près pas. Je n’ai pas vu un de mes proches se faire blesser. Mais qui sait comment j’aurais réagi si c’était arrivé ? »
Anarchopanda se lève et met son manteau. Aujourd’hui, une vigile de douze heures sur la nécessité de tenir une enquête publique sur la répression policière l’occupera. Demain, une manifestation. Et pour le reste de sa vie de panda anarchiste, le souci de donner un sens vrai au mot démocratie.
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Découvrez le projet Ce qu'il reste du printemps étudiant, réalisé en collaboration avec l'ONF
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