Pierre Vadeboncœur 1920-2010 - Une vie de combats et de littérature

Pierre Vadeboncoeur - 1920-2010


Pierre Vadeboncœur s’est vu décerner nombre de distinctions parmi les plus importantes au Québec, au nombre desquelles figure le prix Athanase-David.

Photo : Jean-François Nadeau - Le Devoir
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L’écrivain et syndicaliste Pierre Vadeboncœur est mort tôt hier matin à Montréal des suites d’une très brève maladie. Né en 1920, cet essayiste majeur au style classique et pénétrant est considéré comme un des phares de la littérature québécoise. Parmi ses livres les plus importants, on compte entre autres La Ligne du risque (1963), Un amour libre (1972) et Les Deux Royaumes (1978).
Tout intéresse cet esprit fin et agile. Il aborde indépendamment, mais avec la même fermeté, parfois dans un style de pamphlétaire, aussi bien les thèmes de l’amour et de l’art que ceux de la politique et de la foi.

En 1970, La Dernière Heure et la Première, court essai consacré à l’évolution de ses idées politiques, trône en haut des palmarès de vente. Vadeboncœur y explique être devenu indépendantiste non pas à la légère, «mais à la suite d’une évolution provoquée au départ, en 1960, à Baie-Comeau, par le spectacle de milliers d’ouvriers prisonniers du capital étranger comme de syndicats étrangers, et cherchant violemment à se libérer». Fasciné par le monde ouvrier, très critique à l’égard du système capitaliste, il tente volontiers de traduire les aspirations populaire dans certains de ses livres, comme L’Autorité du peuple (1965).
Lorsqu’il se retire du milieu syndical en 1975, ce n’est pas pour s’éloigner de l’engagement politique, mais pour mieux se consacrer tout entier, par l’écriture, «au destin même de l’homme». Il s’attache dès lors à scruter de plus en plus les arts et se livre à une réflexion plus serrée que jamais sur des questions d’ordre spirituel.

Aux origines
En 1934, gravement malade, ce fils de pharmacien est sauvé de justesse par le célèbre Dr Norman Bethune. Le médecin libre-penseur, futur héros de la Révolution chinoise, l’opère à deux reprises, vêtu de sa chemise à carreaux, selon ce que m’en racontera Vadeboncœur. De ce médecin non conformiste qui plaide pour des soins de santé accessibles à tous, il conserve à jamais un respect total.

Après des études chez les Jésuites, où il est congédié pour insubordination envers l’un de ses professeurs, Vadeboncœur devient avocat. Nous sommes en 1944. Le prestige de la toge, très peu pour lui: il promet immédiatement de ne pas exercer ce métier. Du haut du Mont-Royal, il jette alors au vent ses livres de droit autant que ses notes de cours...

Pour vivre, Vadeboncœur se lance dans les affaires, sans jamais montrer un grand appétit pour ce monde régi par l’argent et ses pompes. L’attire bien davantage l’univers des lettres, de la peinture et des arts en général. Il rencontre notamment à cette époque Guy Viau, Jean Dallaire et Paul-Émile Borduas, tout en fréquentant divers milieux intellectuels, des écrivains, des artistes. De l’auteur du Refus global, il trace un portrait riche et dense, faisant du père du mouvement automatiste un des principaux témoins à charge contre une société canadienne-française qu’il place plus que jamais à la barre des accusés.

Vadeboncœur prend position en faveur d’une libération de l’esprit, dans une perspective socialiste, au nom même de l’avenir. Il regrette qu’on éprouve tant de mal à évoquer la mémoire de combattants dont nous sommes les héritiers, par exemple Louis-Joseph Papineau. En cette époque où le duplessisme pèse comme une chape de plomb sur sa société, Vaeboncœur plaide pour une ouverture des consciences et rejette le nationalisme outrancier qui prolifère au nom d’une mystique du passé figé façon Lionel Groulx.

Même s’il a puissamment contribué à remettre en question certaines pratiques religieuses auxquelles il associe le pire des conservatismes, Vadeboncœur demeure attaché à certaines valeurs spirituelles du catholicisme. Il les intègre à sa vision socialiste, dans un mouvement d’idées qui n’est pas sans rappeler celui que manifeste Bernard Émond dans ses films, un homme qu’il appréciait d’ailleurs beaucoup.

En 1949, après avoir donné à lire des textes dans différents imprimés, Vadeboncœur accepte la proposition de son ami Pierre Péladeau de devenir le principal artisan du Journal de Rosemont, première feuille du futur magnat de la presse. Il y reste moins d’un an, puis lie son destin pour de bon à celui du monde ouvrier, dont il partage d’instinct les luttes et les aspirations. Vadeboncœur va alors grossir les rangs de la CTCC, l’ancêtre de la CSN. Aux côtés de son ami Michel Chartrand, sa formation d’avocat va désormais beaucoup lui servir. Il défend plusieurs ouvriers dans des procès et participe activement à des charges contre le duplessisme.

C’est à Cité libre, cofondée par Pierre Elliott Trudeau, son meilleur ami d’enfance, que Vadeboncœur se fait d’abord connaître comme un intellectuel de tout premier plan. Il fait partie du comité de rédaction de la revue. Il donne à lire des articles caractérisés par un style unique et une pensée particulièrement acérée. Cette plume singulière puise ses racines dans l’œuvre de Voltaire, de Paul Valéry et surtout de Charles Péguy. «Je remonte à Péguy comme à une source», écrit Vadeboncœur.
Un homme libre
Jamais enfermé dans un système d’idées, il rejette bientôt les positions de son vieil ami Trudeau. À l’époque de la guerre du Vietnam et de la menace nucléaire, il se sent plus à son aise auprès des appels à la liberté de la nouvelle génération, celle qu’illustre la revue Parti pris, tout en maintenant son scepticisme devant les professeurs de solutions toutes faites. «Je sais bien que pour Trudeau, la contestation, bien avant son entrée au Parti libéral, prit la tournure d’une démocratie formaliste, de sorte que cet esprit, si indépendant d’attitudes, arriva rapidement à mettre le poids de sa mentalité frondeuse au service d’une idéologie traditionnelle.»
Bien que souvent très dures, ses critiques à l’égard de Pierre Trudeau ne l’empêchent pas de défendre son ancien camarade dès lors qu’il juge que les attaques formulées à son égard se fondent sur des inexactitudes ou des jugements abusifs quant à la nature profonde de l’homme. Encore tout récemment, il jugeait parfaitement ridicule le portrait fabuliste de Trudeau présenté dans la télésérie écrite par Wayne Grigsby et Guy Fournier.
Fasciné par l’humanité de René Lévesque, Vadeboncœur rédige à la veille du référendum de 1980 des prises de position pour l’indépendance. Il fera de même à la veille du référendum de 1995. Très admiratif devant l’œuvre de Vadeboncœur, Lévesque le qualifie pour sa part de «superbe écrivain». Le fondateur du Parti québécois dira que Vadeboncœur «a jalonné son œuvre de ces trouvailles où la pensée se trouve soudain concentrée et éclatante comme le diamant».
Il y a ceci de particulier chez lui qu’il renouvelle sans cesse les preuves de son autorité dans un engagement de tous les instants qui ne tient pourtant pas aux seules inclinations de l’actualité. Il va publier sans relâche dans des revues et des journaux — Parti pris, Socialisme, Maintenant, Le Jour, Le Devoir, Liberté, Le Couac, L’Action nationale, etc. —, en plus d’entretenir une très importance correspondance.
Au cours de sa vie, Vadeboncœur s’est toujours montré avare d’entrevues. Il n’aimait pas particulièrement le théâtre de la représentation de soi auquel contraint désormais l’enflure médiatique. Dans Le Bonheur excessif (1992), Vadeboncœur a écrit une petite phrase très forte qui peut résumer sa pudeur à parler de lui-même: «Le moi est cela qui est peu.» Pour un homme capable de tant, avouons que c’était là dire beaucoup.


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