Philippe Couillard: un chef fragilisé

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La meilleure recette pour perdre la prochaine élection

Au lendemain de son exclusion ou départ du caucus libéral, la dorénavant «députée libérale indépendante» Fatima Houda-Pepin – comme elle se présente dorénavant elle-même -, en avait gros sur le cœur.
En entrevue aux émissions C’est pas trop tôt et Puisqu’il faut se lever, la députée déclinait une longue liste de reproches à Philippe Couillard :
- Refus de lui donner le droit de prendre une position différente tout en restant au caucus;
- Le fameux «over my dead body» de M. Couillard contre toute interdiction de signes religieux dans la fonction publique et ce, dit-elle, sans consultation, ni débat préalables du caucus;
- La création d’une nouvelle définition de la neutralité religieuse de l’État;
- Des décisions prises «à l’extérieur du caucus»;
- Un projet de loi sur la neutralité religieuse et la lutte à l’intégrisme qu’elle avait préparé, mais qu’elle n’aurait pu faire cheminer au sein du caucus et plus est, qui aurait été récupéré par le comité présidé par le député libéral Gilles Ouimet chargé d’étudier la question;
- Une position «alambiquée»,«incohérente» et «floue à souhait» sur la charte;
- Des sorties de Gilles Ouimet sans avertir le caucus;
- Une manière non collégiale et non informée de travailler;
- L’«histoire du tchador» qui n’aurait jamais été discutée au caucus;
- Un «pattern» /sic/ chez Phillippe Couillard d’évitement des débats d’idées;
- Un parti trop dans la stratégie et pas assez dans le contenu;
- Une partisannerie à outrance; etc…
En ajoutant ce départ de Fatima Houda-Pepin à l’expulsion de Maria Mourani du Bloc l’automne dernier, force est de constater qu’il n’y a aucun espace possible dans la plupart des partis politiques pour une dissidence réelle sur une question de principe aussi importante que celle-ci.
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L’avertissement de Fatima Houda-Pepin
Puis, vint son avertissement lancé crûment à Philippe Couillard :
«M. Couillard pense qu’il va régler le problème avec cette position – ses problèmes commencent! Hier, je lui ai dit et j’ai à mes collègues (que) cette position qui va être annoncée aujourd’hui, c’est la meilleure recette pour la perte de la prochaine élection.»
Ouf…
Plus tard, en point de presse, Françoise David de Québec solidaire, saluait «l’intégrité et le courage» de Mme Houda-Pepin. Puis, comme si l’assiette du chef libéral ne débordait pas déjà, elle en profitait aussi pour inviter Mme Houda-Pepin à siéger comme députée indépendante sur la commission parlementaire chargée d’étudier le projet de loi 60 sur la charte des valeurs. À l’aube d’un possible prochain déclenchement d’élections sur fond de remontée du PQ dans les sondages – ce serait là tout un cauchemar potentiel pour le PLQ.
Bref, la stratégie électoraliste du PQ basée sur la charte des valeurs et surtout, l’interdiction des signes religieux combinée aux tergiversations étonnantes du PLQ et de son chef sur le sujet, commence à payer des dividendes dans les intentions de vote pour le gouvernement Marois. Les prochains sondages diront si la tendance se maintiendra ou non.
Selon le sondage Léger-Agence QMI de lundi, l’appui à la charte est d’ailleurs de 57% chez les francophones – le terreau électoral même du PQ. Et cet appui y passe à un spectaculaire 69% pour l’interdiction des signes religieux.
Renvoyant Philippe Couillard et Bernard Drainville dos à dos pour leur «intransigeance et inflexibilité» partagées, Mme David s’opposait également à leur récupération partisane mutuelle d’un débat aussi important que la laïcité et appelait, par conséquent, à un véritable débat de société. Et non pas, contrairement à ce que prépare depuis des mois le gouvernement minoritaire de Pauline Marois, une lutte électorale menée en son nom à des fins partisanes.
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Un cadeau empoisonné
En fait, le départ de Fatima Houda-Pepin est la dernière chose dont Philippe Couillard avait besoin au moment où son parti perd des appuis dans l’électorat et qu’une élection générale se pointe de plus en plus à l’horizon. Que le chef libéral le veuille ou non, cette saga a tous les airs d’un parti en crise de leadership. Passagère, ou non.
Qui sait, d’ailleurs, si Mme Houda-Pepin – une libérale de longue date -, ne rongera pas tout simplement son frein comme «libérale indépendante» en espérant, au cas où le PQ gagnait la prochaine élection, de voir le leadership de M. Couillard possiblement remis en question?
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Le problème de Philippe Couillard
Commençons par son manque inexpliqué et inexplicable de visibilité dans les dernières semaines. Une absence qui, sur la charte, a justement rendu possible les cafouillages de son critique officiel, Marc Tanguay, sur cette question aussi hypothétique que loufoque du tchador au parti ou dans la fonction publique. Le premier cafouillage avait d’ailleurs provoqué la première sortie dissidente de Fatima Houda-Pepin.
Lundi, M. Couillard avait tout à fait raison de dire que personne ne porte de tchador dans la fonction publique… mais il a pris beaucoup trop de temps à le dire…
Quant à la position du PLQ sur la charte et les signes religieux, sa présentation fut décevante dès le début.
L’ex-ministre libéral Benoit Pelletier notait d’ailleurs dans les pages du Journal que les explications de M. Couillard étaient tout simplement trop légalistes. Que de faire reposer son raisonnement essentiellement sur le conflit prévisible entre la charte des valeurs et les chartes de droits canadienne et québécoise est une erreur politique.
M. Pelletier a parfaitement raison.
Or, j’avançais mardi dans ma chronique chez C’est pas trop tôt que ce que M. Couillard n’a pas encore fait – et il commence à être tard pour le faire – est d’expliquer clairement pourquoi, selon lui et les valeurs libérales – pas les chartes des droits –, l’interdiction mur à mur de signes religieux dans la fonction publique et parapublique est ni nécessaire, ni utile, voire même nuisible au «vouloir-vivre» ensemble au Québec.
Face à la redoutable opération de marketing politique du gouvernement sur une charte des valeurs qu’il voit comme étant le thème électoral apte à lui donner sa majorité, Philippe Couillard n’a pas offert de contre-discours clair, articulé et ancré dans la réalité sociale et politique québécoise.
Pour le moment, ce manquement politique grave coûte cher à son parti. Que le Barreau ou la Commission des droits de la personne s’expriment en des termes essentiellement juridiques fait partie de leur définition de tâches, mais pas de celle d’un chef de parti ambitionnant de gouverner un jour le Québec.
Lorsque Philippe Couillard disait lundi que «des enjeux de cette importance ne se décident pas sur des sondages», il a tout à fait raison. Mais pour que son message passe, il doit expliquer le POURQUOI, le vrai, de son opposition à l’interdiction des signes religieux.
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Un nouveau discours, mais pas tout à fait le bon…
Lundi, avant son caucus spécial, M. Couillard a tenté de modifier un tantinet son discours sur la charte. C’était déjà le signe qu’il comprend la nécessité de s’adresser aux Québécois autrement. Son problème est qu’il n’a pas encore trouvé les bons mots pour le faire.
Le chef libéral disait : «je comprends, j’entends et je partage les préoccupations des Québécois». Primo : sur la montée des intégrismes dans les sociétés. Secundo : sur cette impression ambiante de «concessions» qui seraient toujours faites par la majorité. Il l’a toutefois fait en même temps qu’il qualifiait certains enjeux de «factices». Diriger un parti, ce n’est pas que de l’analyse politique, c’est aussi de la communication politique. Balayer du revers de la main une «impression» installée dans une partie importante de l’électorat est toujours une mauvaise idée. Faire une vraie démonstration d’un point de vue contraire, par contre, est une bien meilleure idée.
Bref, ça ne va pas sans rappeler le ministre Bernard Drainville qui, en commission, dit «je vous écoute» tout en refusant de bouger sur la question des signes religieux…
Puis, tentant de faire oublier ses références à la Charte canadienne des droits et libertés, Philippe Couillard lançait que l’interdiction proposée des signes religieux est un «projet illégal selon les lois du Québec, pas les lois d’Ottawa ou d’ailleurs».
Bravo pour l’effort de se concentrer sur le Québec, mais zéro pour l’entêtement à s’adresser aux Québécois en laissant continuellement entendre que les tribunaux, et non les élus, doivent décider de l’issue de grands débats de société. Pourquoi ne pas simplement leur expliquer pourquoi, selon la perspective du PLQ, ce projet d’interdiction élargie serait néfaste pour le Québec et Montréal?
En fait, plus le chef libéral s’en remet aux tribunaux, plus il renforce également la perception que le gouvernement a réussi à imposer dans ce débat. Soit que sur cette question, il y aurait les méchantes élites déconnectées d’un côté – incluant les avocats -, et le présumé vrai peuple de l’autre.
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Être libéral
Avant son caucus de lundi, c’est en anglais que toute la faiblesse de sa communication sur ce sujet était encore plus évidente. Je traduis :
«Cet enjeu est au cœur des valeurs libérales. Vous ne pouvez pas être libéral si vous ne défendez pas les libertés. C’est aussi simple que ça.»

Eh bien, justement, ce n’est pas aussi simple que ça.
Autant il est faux de dire qu’on trahit l’identité québécoise dès qu’on s’oppose à l’interdiction des signes religieux, autant il est faux de dire qu’un «vrai» libéral ne peut pas appuyer cette même interdiction sans cesser de l’être.
Dans le même sondage Léger-Agence QMI, 37% des répondants libéraux disaient d’ailleurs appuyer l’interdiction du port de signes religieux chez les employés de l’État. Un chiffre à méditer au caucus libéral.
Qui plus est, le PLQ, sous Robert Bourassa, a quant à lui restreint certaines libertés fondamentales pour protéger l’affichage commercial français des effets d’un jugement de la Cour suprême. Pour le faire, il a même invoqué la clause dérogatoire pour une période de cinq ans. Qui oserait dire que Robert Bourassa n’était pas un vrai libéral? (Cela dit, je ne compare aucunement la loi 101 à la charte des valeurs. Au contraire. Je souligne seulement que même au PLQ, un chef ne s’est pas gêné pour limiter les libertés individuelles parce qu’il l’avait jugé nécessaire et dans l’intérêt public de le faire. En 2012, même Jean Charest – quoique pour un motif nettement moins noble -, a restreint les libertés individuelles d’expression et de réunion pacifique avec sa «loi spéciale»78 visant à limiter le droit de manifester.)
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Un choix de société
En anglais, par contre, Philippe Couillard a été très clair quant à la prochaine élection. Je traduis :
«Une élection, ça doit être déclenchée quand un enjeu significatif est sur la table. (Et ici), ce sera un choix définitif pour l’électorat. Dans quel type de société voulons-nous vivre? Une société qui se referme sur elle-même et retire des droits? Ou une société ouvert et inclusive? Voilà ce qui fera partie du choix que nous offrirons aux Québécois. Et aussi, bien sûr, sur l’emploi, l’économie et les finances publiques.»
Or, notez comment même M. Couillard parle d’économie comme d’un enjeu venant APRÈS celui de la charte… exactement comme le gouvernement Marois le fait avec succès depuis des mois. Selon le sondage Léger, l’accès aux soins de santé et la création d’emploi demeurent pourtant la priorité principale de l’électorat alors que la charte des valeurs ne l’est que pour 10% à peine des répondants…
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Mission impossible?
Le vrai problème de Philippe Couillard sur la charte est que le gouvernement Marois aura réussi à le coincer en lui imposant ce qui ressemble drôlement à une mission politique proprement impossible.
Cette mission étant de fédérer les opposants à l’interdiction des signes religieux issue de sa base électorale traditionnelle anglophone et allophone tout en faisant monter ses appuis auprès de francophones qui, eux, sont fortement majoritaires à approuver cette même interdiction des signes religieux.
Bien sûr, dès cet automne – et à l’instar de Québec solidaire et de quelques ex-premiers ministres inquiets -, M. Couillard aurait pu appuyer la proposition du rapport Bouchard-Taylor de limiter l’interdiction des signes religieux ostentatoires aux agents de l’État en position de coercition du genre juges ou policiers. Politiquement, le PLQ aurait paru moins inflexible sans verser pour autant dans l’interdiction mur à mur proposée par le gouvernement.
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Le chemin de croix libéral
Arrive ici l’ultime problème du chef libéral. En refusant de le faire cet automne, il aura laissé toute la glace au gouvernement Marois sur le sujet. Résultat : chez les francophones, l’appui à l’interdiction élargie des signes religieux a monté et semble même vouloir se solidifier.
En d’autres termes, même si Philippe Couillard défendait tout à coup Bouchard-Taylor comme plusieurs lui suggèrent, il serait déjà trop tard pour le faire dans cette joute éminemment politique. Pour une forte majorité de francophones maintenant favorables à une interdiction nettement plus large des signes religieux, même un virage «Bouchard-Taylor» du PLQ lui semblerait fort probablement trop timide.
Sur cette question, le «ciment» d’une part substantielle de l’opinion francophone semble pris et le Parti libéral, à force de tergiversations et d’absence d’un contre-discours clair et ancré dans la réalité québécoise, est en train de s’y prendre les pieds. Or, si Pauline Marois décide de succomber à la tentation d’appuyer sur le bouton électoral d’ici quelques semaines à peine, Philippe Couillard aura très peu de temps pour en extirper son parti.
Ne reste alors au chef libéral, en effet, qu’à expliquer et réexpliquer sa position dans l’espoir que d’ici le soir du vote, s’il a lieu en mars ou avril, il réussira quand même à convaincre une partie des francophones du caractère raisonnable de sa position. Tout en espérant, il va sans dire, qu’au long d’une prochaine campagne électorale, d’autres thèmes que la charte des valeurs finissent aussi par s’imposer.


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