Pauline Marois et le «syndrome du numéro deux»

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Méchantes questions...

Pour le gouvernement minoritaire de Pauline Marois, la tendance se maintient. Elle semble même vouloir se faire de plus en plus lourde.
Et donc, ce mercredi, les résultats d’un sondage CROP-La Presse rappelaient, à quelques points près, ceux du Léger Marketing-Journal de Montréal du 11 mai; du CROP-La Presse du 24 avril et, enfin, du Léger Marketing-Le Devoir-The Gazette du 29 mars. Le taux d’insatisfaction envers le gouvernement continue d’osciller entre 65% et 68%. Quant aux intentions de vote pour le Parti québécois, elle semblent maintenant être en chute libre.

Notons toutefois que le taux d’insatisfaction commençait déjà à grimper dès décembre, soit après la présentation du budget Marceau et de ses compressions imposées. Cette année, dès le mois de mars, il frôlait les 70%.
S’il faut prendre les sondages non-probabilistes avec des pincettes, il reste que depuis le budget Marceau du 20 novembre – donc bien avant l’arrivée de Philippe Couillard à la tête du Parti libéral (PLQ), le 17 mars -, une tendance se dégageait déjà d’un sondage à l’autre avec un taux d’insatisfaction étonnement élevé pour un si jeune gouvernement.
En fait, le premier avertissement est venu dès le 18 octobre avec un sondage Léger Marketing-Journal de Montréal indiquant un taux d’insatisfaction dépassant déjà les 50%, soit 56%, six semaines à peine après l’élection.
Annonçant d’avance le prix politique que le gouvernement aurait à payer pour ses autres reculs à venir, ce même sondage faisait surtout état de la déception face à l’abandon de la promesse du PQ d’annuler la taxe santé du gouvernement Charest – une taxe annuelle de 200$ par personne et de 400$ par famille.
Pour ce qui est des intentions de vote, si elles se maintenaient tout de même avant l’arrivée de M. Couillard autour des 32% obtenus par le PQ à l’élection, elles piquent nettement du nez depuis.
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L’«effet Couillard»… et l’«effet Marois»…
Selon le CROP-La Presse de ce mercredi, le PQ est à 24% – un plancher, doit-on y espérer. Le PLQ, à 38%. La Coalition Avenir Québec, à 22%. Québec solidaire, à 10%. Et Option nationale, à 5%.
Depuis l’élection du 4 septembre, cela fait maintenant 8 points en moins pour le PQ; 7 points en plus pour le PLQ; 5 points en moins pour la CAQ; 4 points en plus pour QS et 3 points en plus pour ON.
Quant à savoir qui ferait la ou le «meilleur premier ministre», 28% des répondants choisissent Philippe Couillard, 16% seulement préfèrent Mme Marois et 14%, François Legault. (15% ne savent pas et 17% sont indécis.) Depuis novembre, c’est une chute de 10 points pour la première ministre et de 8 points, pour le chef caquiste.
Chez les francophones, par contre, les trois principaux partis se talonnent avec 29% au PQ, 27% au PLQ et 26% à la CAQ. Une nouvelle qui, normalement, serait encourageante pour le PQ.
Or, les libéraux jouissent toujours de l’avantage d’un vote anglophone massif et allophone majeur. Quant au PQ, à 29% chez les francophones, il y a tout de même de quoi à s’interroger sérieusement sur une telle érosion de son vote. Pour la CAQ, dont une partie des appuis fuient ou retournent vers le PLQ, l’inquiétude, aussi, est de mise
Bref, un «effet Couillard» semble insuffler une hausse des intentions de vote pour le PLQ principalement aux dépens de la CAQ de François Legault.
Côté PQ, c’est un tout autre portrait. Face à la persistance d’un taux d’insatisfaction élevé couplée à une chute des intentions de vote au bénéfice de Québec solidaire (QS) et d’Option nationale (ON), force est aussi de constater l’existence d’un certain «effet Marois».
Celui-là, par contre – comme en atteste entre autres choses la chute marquée de la préférence pour Mme Marois comme «première ministre» -, semble vouloir désavantager le parti qu’elle dirige.
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Une gouverne sans gouvernail
En fait – et plusieurs en ont fait le même constat incontournable -, dans plusieurs dossiers, le gouvernement manque de direction, de cohérence, voire même de jugement, d’instinct et d’intelligence politiques. Y compris sur sa propre option souverainiste.
Sa gouverne est souvent erratique, changeante au gré des vents et des influences. Ses reculs ou ses valses-hésitation ne se comptent plus. L’ensemble de l’oeuvre jusqu’à maintenant est tel que son statut de «minoritaire» ne suffit plus à tout expliquer ou excuser.
Ce gouvernement manque de leadership. C’est indéniable. S’il a un plan de match défini et clair, il le cache fort bien…
Dès après quelques bonnes décisions initiales rendues rapidement, dont le déclassement de Gentilly-2 et le nettoyage du financement politique, la gouverne du PQ a pris une toute autre tournure.
Les ministres, du moins pour la plupart, sont pourtant des gens qui ne manquent pas de talents, ni de compétences. Hormis pour certains maillons faibles, dont entre autres, Agnès Maltais à l’Emploi et Yves-François Blanchet à l’Environnement.
Mais comme tout gouvernement, même les meilleurs, a ses maillons faibles, c’est donc que le problème est ailleurs.
Ce qui, un jour ou l’autre, finit par mener à la personne qui les dirige. Lorsqu’il y a un manque évident de leadership à la tête d’un gouvernement, c’est habituellement au bureau du premier ministre que le problème commence.
Le constat peut certes étonner dans le cas de Mme Marois. D’autant qu’avec ses 32 ans de politique active, la première ministre peut difficilement plaider l’inexpérience.
Or, c’est précisément là que le bât blesse. Malgré ses trois décennies intenses comme députée et ministre, le manque de leadership à la tête de ce gouvernement est aussi clair qu’une pleine lune au milieu d’un grand ciel dégagé.
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Le «syndrome du numéro deux»?
Face à ce constat, j’avançais récemment l’hypothèse suivante, sous forme de question, à l’émission Samedi et rien d’autre: Madame Marois serait-elle atteinte par ce qu’on appelle communément en politique le «syndrome du numéro deux»?
Ce syndrome, qui peut prendre diverses formes, n’est guère nouveau dans l’histoire du monde, mais il n’est pas anodin pour autant.
En politique, on le voit poindre chez certains élus qui, alors qu’ils ont fait de très bons ministres en même temps qu’ils passaient des années, parfois même des décennies, à tenter de devenir chef, s’avèrent néanmoins manquer sérieusement de leadership une fois leur ambition réalisée.
Ce sont des «numéros deux» qui, une fois devenus «numéro un» et en position de commande, peinent à communiquer et à faire exécuter une vision d’ensemble cohérente. Une vision, qu’ils ne semblent pas avoir développée pleinement eux-mêmes avant d’arriver au pouvoir.
Même s’ils furent de bons ministres capables d’exécuter les commandes les plus difficiles, ce sont aussi des politiciens qui, une fois chefs de gouvernement, démontrent une difficulté certaine à savoir clairement ce qu’ils feront du pouvoir dont ils ont enfin hérité. C’est un peu comme si leur longue quête réussie de ce poste tant désiré leur tenait lieu, en bout de piste, d’objectif ultime.
Lorsque ce «syndrome du numéro deux» se déploie à la tête d’un État, le manque de cohérence et d’une vision globale des enjeux se manifestent habituellement par des décisions mal avisées, improvisées, des politiques mal ficelées, des reculs répétés, une peur inhibitrice des controverses et enfin, par une garde rapprochée de la même eau au sommet du gouvernement.
Résultat: la «bulle» du pouvoir se met rapidement en mode défensif face aux nombreuses critiques qu’attire nécessairement toute gouvernance erratique et le sentiment d’avoir raison envers et contre tous s’y installe.
Et si, par hasard, ce type de chef est aussi à la tête d’un gouvernement minoritaire – donc, instable par définition et pour qui la recherche d’une majorité devient l’unique objectif auquel toute décision est subordonnée -, le manque de leadership peut alors avoir des conséquences négatives majeures. Autant sur les politiques publiques que sur le parti au pouvoir.
L’Histoire l’a amplement démontré: savoir diriger n’est pas donné à tout le monde. En fait, en politique, la tâche étant herculéenne, ce talent est donné à très peu d’hommes et de femmes.
Certains sont des décideurs, des vrais, portant une vision claire de ce qu’ils veulent accomplir au pouvoir, tout en étant capables d’adaptation aux circonstances changeantes pour mieux la faire avancer. C’est précisément là qu’entrent en jeu l’instinct, la détermination, le jugement et l’intelligence politiques.
D’autres chefs, par contre, sont plus portés à laisser les circonstances, sondages et/ou entourage, dicter leurs décisions pour la simple raison qu’avant d’être aux commandes, ils n’ont pas développé au fil des ans LEUR vision du pouvoir – la leur, propre.
Au Canada et au Québec, les exemples de chefs de gouvernement aux visions fortes et cohérentes, n’ont certes pas manqué. Pour ou contre leurs idées, pour le meilleur ou pour le pire, qu’ils aient réussi ou échoué, ces leaders savaient pourquoi ils voulaient tant prendre le pouvoir. Et donc, ce qu’ils tenteraient d’en faire une fois rendus là.
Dans la période plus contemporaine, on pense entre autres aux Jean Lesage, Lester B. Pearson, Pierre Trudeau, René Lévesque, Jacques Parizeau, Stephen Harper, Lucien Bouchard.
À chacun de ces noms correspondent une vision claire, des idées étayées, une formation intellectuelle solide, une détermination de fer, une solide dose de résistance à la controverse et une capacité exceptionnelle à décider, à choisir, souvent seul.
À l’opposé, d’autres furent leurs propres victimes de ce fameux «syndrome du numéro deux». Un des exemples le plus patents des dernières années étant sûrement Paul Martin au Parti libéral du Canada…
Cumulant plusieurs années d’expérience politique, ce ministre des Finances aguerri capable de livrer toutes les commandes, même les pires – mais ambitionnant aussi longtemps de devenir chef et premier ministre -, une fois la chose faite en 2002, le pauvre homme semblait tout simplement incapable de savoir quoi en faire.
Ses décisions étaient souvent difficiles à comprendre. Son jugement politique, boiteux. Son entourage, catastrophique. À l’élection de 2004, les libéraux s’en retrouvèrent minoritaires. Le scandale des commandites et sa décision en 2004 de créer la commission Gomery sans égards aux conséquences possiblement fatales pour son propre parti, y planteraient le dernier clou dans son cercueil politique.
Bref, Paul Martin, à sa manière, fut un exemple de premier ordre du «syndrome du numéro deux».
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Et Madame Marois?
S’il reste encore du temps à la première ministre pour infirmer l’hypothèse du «syndrome du numéro deux», jusqu’à maintenant, du moins, tout concourt à la confirmer.
Un indice de taille d’un certain manque de leadership, de jugement et d’instinct politiques – une fissure majeure dans le béton présumé de Mme Marois – était pourtant apparu dès le printemps 2011 avec cette histoire rocambolesque du projet de loi sur l’amphithéâtre de Québec. Un projet de loi qui, poussé par Agnès Maltais avec l’appui de sa chef, mais sans consultation du caucus, aura même failli faire imploser le PQ.
Et depuis l’élection du 4 septembre, hormis quelques exceptions datant du tout début de son mandat, la liste des décisions mal avisées, des erreurs de jugement politique et tactique, autant sur le fond que sur la forme, ne cesse de s’allonger. À sa face même, cette gouverne trop souvent sans gouvernail, commence à laisser soupçonner que le problème est en voie de passer de l’improvisation à l’incompétence.
Sans être exhaustive, la liste comprend :
- l’abandon de l’annulation de la taxe santé promise dans la plateforme électorale du PQ;
- alors que le gouvernement ne risquait pourtant pas de tomber en début de mandat, l’adoption d’un budget de centre-droit allant à l’encontre quant a lui de pans entier de la même plateforme;
- la double nomination en catimini de l’ex-chef péquiste, André Boisclair;
- un nouveau régime de redevances minières nettement moins ambitieux que promis pour les coffres publics;
- une ouverture marquée à la filière pétrolière, dont celle, étonnante, aux sables bitumineux albertains et même au pétrole de schiste;
- la marginalisation croissante de la ministre des Ressources naturelles, réputée pour son penchant environnementaliste;
- la promesse non tenue de revoir le financement des écoles privées subventionnées à hauteur de 60%, dont celles à vocation religieuse;
- l’augmentation des tarifs d’électricité du bloc patrimonial;
- une proximité importante avec des milieux d’affaires qui semblent influer de plus en plus sur les politiques du gouvernement, même pour les ressources naturelles;
- une Charte de la laïcité promise, mais devenue entre temps une possible Charte des «valeurs québécoises» aux contours encore nébuleux;
- un projet de Loi 14 qui, au lieu de renforcer la Loi 101, se dilue de plus en plus dans une logique de marchandage avec la CAQ et d’un apaisement impossible de la communauté anglophone sur ce sujet;
- une «gouvernance souverainiste» qui n’a de souverainiste que le nom;
- face à un conseil des ministres divisé et une première ministre incapable de trancher, on aura même assisté au report en catastrophe par le ministre de l’Environnement de l’annonce pourtant «attachée» d’un règlement visant à interdire le forage proche des sources d’eau potable;
- le ministre Jean-François Lisée – baptisé à Québec l’«omniprésent ministre» -, qui, avec la permission de la première ministre – intervient dans certains dossiers de ses collègues sous prétexte d’être aussi ministre responsable de la Métropole. Du jamais vu à ce degré-là;
- également sous prétexte d’avoir été «chargé» des «Relations avec les Anglo-Québécois», il arrive aussi à M. Lisée d’intervenir dans le dossier pourtant fort délicat de la ministre responsable de la Charte de la langue française et parfois, même, avant elle;
- l’annonce d’une commission spéciale d’examen du Printemps érable. Ni indépendante, ni publique, ni concentrée sur les agissements policiers pendant la grève étudiante, cette annonce aura réussi à mécontenter tout le monde;
- une porte fermée, en fait bien avant que ne la ferme Québec solidaire lui-même, à toute forme d’entente ou d’alliance avec les autres partis souverainistes Pis encore, se disant déjà à la recherche d’une victoire majoritaire, Mme Marois poussait l’enveloppe tout récemment jusqu’à suggérer à Québec solidaire et Option nationale – à mots à peine voilés -, de tout simplement se saborder;
- un appel plus que maladroit de Mme Marois à la commission Charbonneau à faire preuve de «prudence» pour la simple raison qu’on y avait nommé pour la première fois un ex-ministre péquiste. Dénoncée sur toutes les tribunes, cette sortie sentait la tentative d’ingérence du pouvoir exécutif auprès du pouvoir judiciaire;
- des compressions injustifiables à l’aide sociale proposées par la ministre Maltais à l’encontre du souhait de plusieurs de ses collègues et ce, dans la plus totale discrétion, mais révélées par Le Devoir;
- une impuissance évidente à vouloir prendre action face au fédéral suite aux allégations troublantes de l’historien Frédéric Bastien dans son ouvrage récent – La bataille de Londres – sur, ironiquement, une possible ingérence du judiciaire auprès du pouvoir exécutif avant le rapatriement de la constitution en 1982 par Pierre Trudeau sans le consentement du Québec…
Etc..
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Ce qui commence à faire beaucoup en huit mois seulement au pouvoir.
Pour les ministres, les députés et les militants du Parti québécois, il reste toutefois encore un espoir.
Cet espoir est que d’ici l’élection générale – dont personne ne connait la date éventuelle -, la première ministre étonne et finisse elle-même, d’une manière ou d’une autre, à infirmer, sans équivoque, l’hypothèse du «syndrome du numéro deux».


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