Parti québécois : note aux belles-mères

PQ - XVIe congrès avril 2011


Aux cours des derniers jours, les trois anciens premiers ministres que vous êtes avez cru bon intervenir dans le débat politique pour critiquer la personne qui vous a succédé à la direction du Parti québécois.
Loin de moi l’idée de disputer à des personnes qui, comme vous, ont donné le meilleur d’elles-mêmes à la vie publique le droit de vous prononcer sur les affaires courantes, y compris sur la stratégie du Parti dont vous étiez chef, avant de démissionner tour à tour de cette fonction.
Cependant, lorsque vous le faites, vous vous exposez à la critique, comme celle-ci. Vous savez que le respect et l’affection que j’ai pour vous (transparence totale : je fus conseiller de MM Parizeau et Bouchard) ont toujours été accompagnées par la franchise et par des propos parfois un peu caustiques.
M. Parizeau, vous avez ouvert la marche. Vous avez choisi un grand quotidien torontois pour affirmer que « si vous souhaitez que les gens suivent un idéal, certains diraient un rêve, il vous faut définir un objectif et les façons d’y parvenir ». Est-ce que cela laisse entendre que le Plan Marois pour le Québec, soumis par l’actuelle chef du PQ, ne répond pas à ce critère ? Il faut le croire car vous avez ajouté : « En ce moment, je suppose que bien des choses doivent être clarifiées. »
Ainsi couvert par M. Parizeau, vous, M. Landry, avez emboîté le pas en déclarant :« il faut y aller [vers un référendum] le plus tôt possible, le plus carrément et démocratiquement possible. Moi, je suis membre du Parti québécois et je vais essayer de faire valoir cette idée d’ici le prochain congrès ».
Finalement, M. Bouchard, vous avez déclaré à TVA (dans une entrevue par ailleurs extrêmement souverainiste qui vaut la peine d’être vue en entier) que « quand le chef souverainiste ne s’engage pas à faire de référendum, ça veut dire que la souveraineté n’est pas en train d’avancer ».
Par où commencer ?
Mme Marois propose la tenue d’un référendum « au moment jugé opportun », dans un programme très offensif de « gouvernance souverainiste ». Sa stratégie est peut-être bonne. Elle est peut-être mauvaise. On ne le saura qu’à l’usage.
Cependant, messieurs les ex, il y a une chose que vous savez, que nous savons avec certitude. Les stratégies souverainistes que vous avez avancées lorsque vous étiez au pouvoir (dans deux cas avec ma participation) n’ont pas conduit à la souveraineté. Ayant échoué chacun votre tour (le premier de peu, mais échoué quand même), êtes-vous vraiment les mieux placés pour donner aujourd’hui de telles leçons de stratégie ?
Vous connaissant tous les trois, je puis révéler que celui d’entre vous qui a le plus grand sens de l’humour est Lucien Bouchard. On le savait en privé. On le découvre maintenant en public.
M. Bouchard, vous qui reprochez aujourd’hui à Pauline Marois de ne pas s’engager à tenir de référendum, aviez fait exactement la même chose lors de votre propre campagne électorale de 1998. Vous aviez même fait modifier le programme du PQ pour y retirer toute clause vous obligeant à tenir cette consultation dans un délai précis.
L’humour est également au rendez-vous lorsqu’on compare votre dernière déclaration avec l’avant-dernière. En effet, ce printemps, à Québec, vous avez affirmé qu’il ne fallait pas s’occuper de souveraineté, qu’il y avait d’autres dossiers plus importants. L’avez-vous oublié? J’ai pris des notes :

« Dans l’immédiat, au Québec, on a autre chose à faire que d’attendre quelque chose qui ne vient pas vite. On a des problèmes très graves, des problèmes économiques, des problèmes d’éducation, des problèmes de santé, de finances publiques, il faut qu’on se mette à la tâche. »

Vous en tiriez d’ailleurs la conclusion que Mme Marois avait bien raison dans sa prudence :
« Pauline Marois ne veut pas faire de référendum. Elle sait que ce n’est pas le temps. Le monde n’en veut pas à court terme ; ça veut dire plusieurs années ».

Une inexactitude, ici : Mme Marois ne dit pas qu’elle n’en veut pas, au contraire. Elle ne veut pas s’attacher à un calendrier, ce que vous applaudissiez, donc, il y a peu.
Bon, je ne veux pas trop vous taquiner, M. Bouchard. Je vous préfère souverainiste impatient que lucide éteignoir, résigné au statu quo. Un peu de cohérence serait cependant bienvenue. Faites-nous plaisir, tenez-vous en au souverainiste impatient pour un bout de temps…
L’homme qu’on écoute
Au sein du mouvement souverainiste c’est vous, M. Parizeau, qui êtes le plus écouté. Votre capacité de nuire à Mme Marois est donc beaucoup plus grande que celles de vos successeurs. Vous avez peut-être remarqué que lorsque Mme Marois a d’abord présenté son plan, au printemps 2009, il fut très bien reçu, unanimement en fait, par les militants réunis.
Maintenant qu’elle veut l’insérer dans le programme du parti, vous pouvez lui rendre la vie difficile et susciter une opposition telle que le vote de confiance qui doit accompagner ce débat lors de son congrès de l’an prochain pourrait l’affaiblir considérablement.
Cela au moment où les sondages donnent le PQ gagnant, avec une quasi majorité chez les francophones. Est-ce votre objectif, M. Parizeau ? Et si oui, dans quel but ?
Sur le fond, la position avancée par Mme Marois est très proche de celle que vous aviez fait voter par le PQ lors de votre campagne de 1989. Alors, vous proposiez la tenue de référendums sectoriels qui devraient mener, de façon franchement pas très claire, à la souveraineté. Mme Marois, elle, affirme qu’elle utilisera tous les moyens à sa disposition, y compris des référendums sectoriels au besoin, pour gouverner en souverainiste. On ne saisit pas très bien en quoi elle est moins claire que vous ne l’étiez à l’époque.
Vous étiez, en 1989, en période de conjoncture basse sur la souveraineté (Lucien Bouchard dirait « molle »). Lorsque la conjoncture a changé, devenant historiquement porteuse, en 1991, vous avez été beaucoup plus précis, fixant une échéance. Aujourd’hui, vous ne donnez pas à votre successeur le bénéfice du doute, ou la marge de manoeuvre, dont vous avez bénéficié à l’époque. En êtes-vous conscient ?
L’homme des 1000 jours
J’ai une question précise pour vous, Monsieur Landry. Vous nous dites que vous interviendrez dans le débat d’ici le congrès péquiste pour que le référendum soit prévu plus tôt. C’est évidemment votre droit.
En ce moment, je l’ai dit, la proposition Marois propose un référendum « au moment jugé opportun ». Si vous souhaitez modifier cette phrase par « le plus tôt possible », je crois que vous défoncerez une porte ouverte. Peut-être préféreriez vous la formule qui vous était chère lorsque vous étiez premier ministre, promettant de tenir le référendum lorsque vous auriez « l’assurance morale » que vous pouviez le gagner. C’est la ligne que vous teniez lors de votre campagne électorale de 2003. Cette formulation pourrait sans doute être insérée sans provoquer de déchirement conceptuel.
Cependant, je me souviens que, chef du PQ revenu dans l’opposition, vous aviez cédé en 2004 aux pressions de l’aile impatiente du parti — soutenue alors par Jacques Parizeau à votre plus grand déplaisir — et aviez accepté d’insérer dans le programme du PQ l’engagement de tenir le référendum « dans la première moitié du mandat ».
Puisque vous m’aviez invité à donner mon avis lors du Conseil national de 2004 où vous aviez annoncé votre décision, vous m’avez entendu déclarer à l’assistance que l’insertion, dans le programme, de cet automatisme (élection du PQ = référendum certain quoi qu’il arrive) était, permettez-moi de me citer : « un passeport pour un second mandat Charest ».
Vous n’avez pas conduit les troupes péquistes à leur défaite historique de 2007, mais on se souvient tous que Jean Charest a fait grand cas de cet aspect du programme, s’en servant comme d’un repoussoir dans l’opinion.
Il devait savoir, comme on le sait tous, qu’il y a dans l’électorat davantage de personnes refusant le référendum qu’il y en a qui refusent la souveraineté. Il est donc plus facile et plus payant pour lui de faire campagne contre le référendum que contre la souveraineté. M. Charest est donc le militant le plus enthousiaste en faveur de l’insertion dans le programme du PQ de cet automatisme. Il vous accompagnera et vous encouragera certainement, d’ici le congrès, dans votre combat.
Astérix et Obélix
Un jour de 1990, vers la fin de la négociation menant au rapport Bélanger-Campeau sur l’avenir du Québec, quelqu’un vous proposa, M. Parizeau, d’assortir votre signature d’un astérisque renvoyant à un addendum au rapport qui préciserait votre pensée.
« Astérisque ? Avez-vous répondu. Je ne suis pas Obélix, quand même! »
Obélix, non. Mais Astérix, oui. Le mouvement souverainiste québécois est, dans le Canada, dans un rapport du faible au fort. Son principal avantage est celui de l’agilité, de la rapidité, de la flexibilité. Mme Marois, et je la suis sur ce point, a décidé de se garder toute sa marge de manoeuvre, dans une stratégie par ailleurs très offensive.
M. Charest, avec semble-t-il votre aide messieurs, souhaiterait lui enlever cette agilité et l’engoncer dans une stratégie pré-établie, donc prévisible, donc plus facile à faire échouer.
Alors, permettez-moi l’outrecuidance de conclure comme suit.
* Soit vous pensez que Mme Marois n’est pas souverainiste, qu’elle ne souhaite pas la souveraineté, et alors réclamez son départ et proposez un successeur (ou votre retour) ;
*Soit vous pensez qu’elle est souverainiste et, avec l’humilité que devrait vous conseiller vos échecs passés, vous la laissez travailler en paix.

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Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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