Changements climatiques et gouvernance

Partage de l'eau sur fond de tensions

Copenhague - 15e Conférence de l'ONU sur les changements climatiques

L'auteur a coordonné le Colloque sur la gouvernance de l'eau dans les Amériques, qui a eu lieu les 15 et 16 octobre à l'Université Laval.
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À moins de trois mois de la conférence de Copenhague, qui doit permettre d'en arriver à un nouveau traité international pour contrer les changements climatiques, le récent sommet de New York tenu à la fin de septembre a clairement exposé les craintes d'un échec de la communauté internationale.
La concentration actuelle de CO2 dans l'atmosphère est de 435 parties par million (ppm) et elle augmente de 2,5 ppm par an. À ce rythme, le seuil de 750 ppm sera atteint à la fin du siècle, ce qui entraînera un réchauffement potentiel de l'ordre de 5 °C, selon la communauté scientifique.
Les conséquences de ces bouleversements sur la disponibilité en eau sont encore mal connues. L'augmentation des températures et de l'évaporation induite se traduirait malgré tout par une diminution de l'eau disponible. [...]
Fonte des neiges
De nombreux glaciers affichent des retraits marqués, dans les Andes, dans l'Himalaya, ce qui provoque un gonflement actuel des rivières mais marquera à terme leur déclin si ces glaciers en viennent à poursuivre leur fonte. Or de nombreuses régions dépendent de la fonte des neiges et des glaces pour leur alimentation en eau, à commencer par de grandes villes latino-américaines comme La Paz, Quito et Lima. En Asie centrale, 95 % du débit de l'Amou-Daria et du Syr-Daria, les deux fleuves qui drainent la région et permettent l'irrigation et l'alimentation en eau des villes, dépend des neiges et des glaciers des Tian shan. [...]
Prévisions
Or les modèles climatiques locaux laissent entrevoir une élévation des températures hivernales dans les Rocheuses: cela signifie qu'une portion plus grande des précipitations tomberont sous forme de pluie, qui ruissellera rapidement vers la mer, tout en faisant diminuer la quantité de neige qui s'accumule. Cette neige constitue un véritable réservoir naturel de la région pour le printemps et l'été, à un moment où les besoins en eau sont au plus haut.
Les prévisions du California Climate Change Center tablent sur une diminution minimale de
60 % du couvert neigeux à l'horizon 2070-2099, qui pourrait aller jusqu'à 80 % selon le scénario médian: une telle diminution se traduirait par une baisse de 30 % du débit moyen des cours d'eau régionaux à la fin du printemps.
L'alimentation en eau de grandes agglomérations comme Los Angeles, San Francisco, Phoenix, Las Vegas, tributaires du Colorado ou d'autres fleuves alimentés par la fonte des neiges, serait sévèrement perturbée, ainsi que l'irrigation et la production d'hydroélectricité. La pression serait forte pour la construction de nouveaux grands barrages, pour turbiner davantage, mais aussi pour retenir plus d'eau, qui s'écoulerait de plus en plus en hiver du fait de l'augmentation des pluies, et non plus au printemps et en été.
Agriculture
Il est aussi probable que cette diminution de la quantité d'eau disponible attisera les tensions déjà perceptibles entre les différents secteurs de la demande: villes, agriculteurs, industrie, écologistes. Depuis plusieurs années déjà, notamment en Californie, le secteur de l'agriculture irriguée est la cible de critiques de plus en plus vives, du fait de la proportion majeure de l'eau qu'il consomme.
En effet, plus de 80 % des volumes consommés dans la région sont absorbés par les agriculteurs, lesquels ne paient qu'une somme dérisoire pour leur eau, facturée jusqu'à 50 fois moins cher qu'aux industries et aux citadins. Il n'est donc pas étonnant, dans ces conditions, que les techniques d'irrigation économes en eau (aspersion, goutte à goutte) soient peu déployées dans le bassin du Colorado et en Californie: pourquoi les agriculteurs investiraient-ils pour économiser une ressource à laquelle ils ont accès pour presque rien? Les critiques à l'endroit de ces subventions déguisées bénéficiant au secteur agricole alimentent tout un débat, aux États-Unis, sur l'importance d'encourager des usages plus responsables par l'augmentation des prix de l'eau consommée par l'irrigation.
Des projets
C'est dans ce contexte que certains projets de transfert massif nord-américains ont été remis au goût du jour, notamment pour faire la promotion du potentiel de l'exportation d'eau depuis le Canada vers le sud-ouest des États-Unis. Ils
sont toutefois peu susceptibles de se réaliser; l'eau que ces projets pourraient acheminer est trop chère pour les villes, les industries et les agriculteurs.
En combinant une approche de gestion de la demande et de l'offre, bon nombre de villes américaines ont réussi à maîtriser l'accroissement de leur demande. Trop contestés, trop dangereux pour l'environnement et surtout beaucoup trop chers, ces projets de transfert continental ne sont retenus comme solutions possibles par aucun organisme public de gestion de l'eau aux États-Unis.
Gouvernance
L'option d'un accroissement massif des quantités disponibles n'est donc guère envisageable, et le dessalement, bien qu'en expansion rapide sur la côte ouest, ne produira jamais une eau assez bon marché pour le secteur agricole.
Les tensions pour le partage de la ressource, déjà perceptibles, risquent donc fort de se voir attisées si les scénarios de changements climatiques se confirment. Elles posent donc clairement la question de la gouvernance de la ressource: comment la gérer? À quels usages accorder la priorité? Quelles adaptations encourager?
Déjà, des accords ont été signés entre villes et agriculteurs pour le rachat massif des droits d'eau de ces derniers. Il est probable que la pression s'exerçant sur le secteur agricole pour la vente ou la cession d'une part des volumes d'eau qu'il consomme iront en s'accentuant, mais ce ne sera pas sans susciter de vives oppositions. C'est ainsi que les changements climatiques, par leur impact sur la disponibilité en eau, appelleront une solution politique mobilisant tous les secteurs de la demande.
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Frédéric Lasserre, Directeur de l'Observatoire de recherches internationales sur l'eau (ORIE) et professeur au département de géographie de l'Université Laval


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