Oui, Mais...

Bien qu'officiellement favorable à l'indépendance du Québec, la France a tout fait pour tempérer les ardeurs de Jacques Parizeau en 1995

17. Actualité archives 2007


Bernard Dorin, Diplomate de carrière, l'auteur est connu pour ses sympathies en faveur de l'indépendance du Québec. Nous publions ici deux extraits de sa contribution au livre Histoire des relations internationales du Québec, sous la direction de Stéphane Paquin, avec la collaboration de Louise Beaudoin, publié chez VLB-Chaire Hector Fabre. Le volume sera en librairie cette semaine.
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Malgré une unanimité de façade, il est paradoxal de constater, à la fois dans l'opinion et chez les dirigeants français, une certaine réserve devant le saut dans l'inconnu que représente à leurs yeux la souveraineté du Québec. Il n'est qu'à se reporter, pour s'en convaincre, au spectacle qu'offraient les membres du gouvernement français lors du retour à Orly du général de Gaulle, en juillet 1967. Le premier ministre Georges Pompidou n'était pas loin de croire à un accès de folie du général, alors que Valéry Giscard d'Estaing parlait d'"exercice solitaire du pouvoir ".
Mais c'est sans doute le Quai d'Orsay, dirigé à l'époque par Maurice Couve de Murville, qui s'est montré le plus réticent devant la politique québécoise de la France. Par la suite, soit par conviction, soit par un effet d'entraînement, les successeurs de Couve ont eu, globalement, la même attitude. Celle-ci découle essentiellement d'un réflexe de peur devant les réactions supposées des États européens, du Canada fédéral et surtout, bien entendu, des États-Unis. De toute façon, les chancelleries sont viscéralement contre les changements politiques majeurs, en particulier les changements de frontières, et ne les acceptent que lorsqu'elles ne peuvent faire autrement, comme dans les cas yougoslave, tchécoslovaque ou soviétique. Il convient également de prendre en considération la pression des milieux économiques français, qui mettent en général leurs intérêts économiques avant l'intérêt national.
(...) Le référendum de 1995 avait été précédé, et c'est cela qui nous intéresse particulièrement ici, par une campagne internationale active du premier ministre Jacques Parizeau, comprenant notamment une tournée aux États-Unis et en France. C'est ainsi que le chef du gouvernement québécois fit une visite à Paris, dont il attendait de toute évidence le soutien, qu'il a d'ailleurs obtenu. En vérité, Jacques Parizeau nourrissait de grands espoirs et il a profité de son séjour officiel en France pour rencontrer, de façon officieuse, ce qu'on appelait alors le lobby québécois de Paris. Au cours d'un premier entretien, il a confié à Philippe Rossillon les attentes qu'il entretenait, à l'égard tant des États-Unis que de la France.
En ce qui concerne les États-Unis, Jacques Parizeau estimait que les liens économiques tissés entre le Québec et l'État de New York, entre autres, permettaient d'escompter au moins une neutralité bienveillante à l'égard des aspirations nationales du Québec. Quant à la France, elle avait pour fonction naturelle d'entraîner à sa suite les autres pays européens et, pourquoi pas, le reste du monde.
La position du lobby québécois sur la question du référendum était beaucoup moins optimiste. Xavier Deniau, Philippe Rossillon et moi-même étions très sceptiques sur les chances de succès d'une nouvelle consultation populaire au Québec. Au sujet des États-Unis, nous étions absolument catégoriques: le vieux réflexe antisécession jouerait à plein. D'autre part, la perspective, habilement brandie par Ottawa, d'un "Cuba du Nord" ne pouvait qu'effrayer, malgré son absurdité, tant l'opinion publique que les dirigeants américains. En ce qui concerne la France, nous étions plus nuancés, mais faisions valoir quand même que l'élan imprimé par le général de Gaulle était déjà loin.
Philippe Rossillon et moi-même avons rencontré, à sa demande, Jacques Parizeau à son hôtel juste avant son retour au Québec. Son enthousiasme était à son comble et je dois dire qu'il était communicatif. Il avait vu longuement Édouard Balladur et, surtout, Jacques Chirac, et ce dernier lui avait signifié l'engagement formel de la France d'être le premier État à reconnaître l'indépendance du Québec, dans le cas où le oui l'emporterait au référendum. Aucune réserve, notamment quant au pourcentage du oui, n'avait été faite par Jacques Chirac dont l'engagement lui avait semblé "absolu".
Nous avons essayé de tempérer son enthousiasme, mais sans beaucoup de succès. Nous estimions que les promesses faites, en admettant qu'elles soient tenues, ne vaudraient que pour la France et que, de toute façon, elles ne concernaient pas les autres membres de la Communauté européenne. Bien plus, l'opposition évidente de la Grande-Bretagne entraînerait fatalement celle d'États comme les Pays-Bas, le Danemark, l'Italie, l'Espagne et sans doute l'Allemagne. La France pourrait peut-être rallier certains pays comme le Portugal, la Grèce, la Belgique et le Luxembourg, mais encore ce n'était pas du tout certain. En tout cas, la dérobade de la majorité des États européens pourrait constituer pour la France une véritable "échappatoire". Paris aurait beau jeu de dire: "Nous avons tout fait pour rallier à la cause du Québec nos partenaires européens, mais la grande majorité ne nous suit pas. Dans ces conditions, vous comprenez bien..." Nous avons fait valoir également à Jacques Parizeau que la population du Québec ne nous semblait pas encore prête à faire le saut et qu'en tout état de cause d'énormes forces politiques allaient être mobilisées pour faire obstacle à l'aspiration du Québec à la souveraineté : le gouvernement fédéral, appuyé à fond par les États-Unis, les milieux économiques canadiens et internationaux, les chancelleries coalisées, les néo-Québécois dans leur grande majorité, etc.
(...)
L'après-référendum ne laisse pas de soulever beaucoup de questions auxquelles il n'est pas facile de répondre. Il est douteux, d'abord, que la déclaration à chaud de Jacques Parizeau était parfaitement juste sinon justifiée, car elle a été immédiatement récupérée par l'ensemble des adversaires du Québec et même par certains éléments du Parti québécois. On sait aujourd'hui que le référendum du 30 octobre a été proprement volé aux Québécois, notamment par la naturalisation accélérée de milliers de nouveaux immigrants. Quant au Love-in, la gigantesque manifestation canadienne la veille du référendum, il était tout sauf spontané, comme la suite l'a prouvé. On peut dès lors se poser la question : "Que serait-il advenu en cas d'une victoire du oui qui, de toute façon, aurait été à la marge?"
Probablement des déconvenues sur le plan international et un enlisement sur le plan intérieur. On peut penser en effet qu'Ottawa ne se serait pas contenté d'une majorité faible, mais aurait exigé, comme cela sera établi plus tard par une loi, une majorité qualifiée. Ainsi, la victoire du oui aurait été au mieux un tremplin de négociation pour obtenir quelque chose de comparable aux cinq conditions de Bourassa. Il paraît exclu, en tout cas, qu'Ottawa se serait incliné et aurait accepté la sécession du Québec.


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