Le premier ministre Stephen Harper est un homme cohérent. Ce n'est donc pas parce qu'il a remplacé Rona Ambrose par John Baird à l'Environnement qu'il a changé d'idée au sujet du protocole de Kyoto. Le dernier plan de lutte contre le réchauffement du climat présenté jeudi le confirme: le jour où le Canada remplira ses engagements, les poules auront des dents.
Le plan fédéral, annoncé dans la confusion après que le discours du ministre eut été acheminé par erreur à l'opposition, nous rappelle que le gouvernement Harper est toujours fidèle à sa conviction que le protocole de Kyoto est une absurdité. D'ailleurs, nulle part dans le document est-il seulement fait mention du protocole.
Sur le fond, au lieu de ramener les émissions de gaz à effet de serre (GES) à un niveau de 6 % inférieur à celui de 1990 d'ici 2012, les conservateurs s'engagent à atteindre une cible inférieure de 20 % à la situation actuelle, et ce, d'ici 2020. La différence entre les deux scénarios est importante puisque, même en atteignant sa nouvelle cible, le Canada émettrait, huit ans trop tard, encore 11 % de GES de plus que ce à quoi la Chambre des communes s'était engagée du temps de Jean Chrétien.
Le plan conservateur touche tout le monde, à des degrés divers. On n'en connaît que les grandes lignes pour le moment, mais on sait que l'industrie de l'automobile sera soumise à des normes plus rigoureuses à partir de 2011, que les fabricants d'électroménagers devront accroître l'efficacité énergétique de leurs produits et que les ampoules à incandescence seront bannies de nos maisons... Pendant ce temps, le nombre de voitures sur les routes aura continué d'augmenter et l'extraction de pétrole des sables bitumineux aura fait exploser les émissions canadiennes de GES.
En fait, si le pays s'est tant éloigné de ses engagements au lieu de s'en rapprocher depuis la ratification de l'accord, c'est que l'économie canadienne n'a pas ralenti, ce qui est bien, que l'Ouest du pays a accru sa production de pétrole et que les conservateurs, comme les libéraux avant eux, n'ont pas eu le courage de s'attaquer de front au problème en forçant les grands émetteurs industriels à respecter des plafonds au-delà desquels ils auraient eu à payer une taxe du carbone.
Aujourd'hui, le plan conservateur attend de ces grands émetteurs responsables de plus de la moitié des émissions de GES qu'ils contribuent à la réduction d'à peine plus de 60 des 150 mégatonnes de gaz d'ici 2020. Pis, ces entreprises, telles les pétrolières dont les marges bénéficiaires fracassent des records, pourront éviter de réduire leurs émissions en achetant des crédits ici même au pays ou en investissant dans les pays en développement. De toute façon, comme le plan ne leur fixe aucun plafond mais leur demande plutôt de polluer moins par unité supplémentaire produite (ce qu'on appelle la règle de l'intensité), on peut d'ores et déjà prévoir que le Canada ne respectera même pas ses nouveaux objectifs à l'horizon 2020. Et s'il les respecte, ce sera parce qu'on aura mis les contribuables à contribution en leur demandant d'assumer par leurs impôts la plus grande partie des dépenses d'investissement des grandes sociétés.
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Par-delà les pourcentages, deux principes sont en cause dans cette orientation politique défaitiste adoptée par le gouvernement conservateur. Le premier touche à la réputation du Canada sur la scène internationale. De tous les pays qui ont ratifié l'accord de Kyoto, le Canada est aujourd'hui le seul à renier formellement ses engagements. Pourtant, n'est-ce pas le même gouvernement conservateur qui se dit si soucieux d'être perçu comme «un leader» du monde contemporain... en matière militaire? N'est-il pas pour le moins contradictoire et choquant de passer pour les cancres de la classe quand vient le temps de contribuer à la mesure de nos capacités, sans plus, à une cause aussi essentielle que cette lutte contre le réchauffement de la planète?
Le second principe découle du premier: comment un pays aussi développé que le nôtre, grand producteur et non moins grand consommateur d'énergie, peut-il se montrer aussi peu conséquent lorsque vient le temps de corriger un problème dont les siens seront parmi les premiers à payer le prix fort? Ne l'oublions pas, si les modèles de prévision s'avèrent, les régions nordiques seront durement touchées par diverses manifestations du réchauffement planétaire. Les économies que nous croyons faire aujourd'hui en retardant le moment de nous engager risquent de se transformer en dépenses astronomiques à plus ou moins long terme.
Décidément, ce gouvernement maintient le cap sur son programme. Pour une fois, on ne lui en demandait pas tant.
j-rsansfacon@ledevoir.com
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