La campagne séparatiste de la Catalogne a dominé les manchettes européennes ces dernières semaines, mais c’est vraiment la région flamande du nord de la Belgique qui servira de baromètre sur la question de savoir si de grands morceaux de l’UE se désagrégeront en une collection de mini-États centrés sur leur identité avant la reconstitution du bloc en une « fédération de régions ».
Ce qui se passe en Catalogne est d’une importance primordiale pour l’avenir géopolitique de l’Europe car cela pourrait très bien servir de catalyseur pour la fracture de l’UE si ailleurs des mouvements équivalents devaient s’enhardir par un possible succès séparatiste de la région espagnole. Cela a été expliqué en détail dans l’analyse récente de l’auteur sur la « réaction en chaîne catalane », à laquelle les lecteurs devraient se familiariser s’ils ne le sont pas déjà avec la thèse avancée dans ce travail. Pour résumer de façon concise, il y a une possibilité très nette que l’élite libérale-mondialiste de l’UE ait planifié de diviser et de diriger le continent selon des lignes identitaires afin de poursuivre leur objectif ultime de créer une « fédération de régions ».
La Catalogne est l’étincelle qui pourrait déclencher tout ce processus, mais il pourrait s’agir aussi d’un coup d’épée dans l’eau qui pourrait finir par être contenu quel que soit son résultat final. Cependant, la Flandre est très différente en raison du symbolisme accru que la Belgique détient en terme d’identité dans l’UE et la dissolution de cet État artificiellement créé serait le signe le plus clair que l’élite dirigeante de l’UE a l’intention de réorganiser le bloc en une fragmentation programmée. En gardant cela à l’esprit, la propagation de la « réaction en chaîne catalane » à la Belgique et l’inspiration que cela pourrait donner à la Flandre de rompre avec le reste du pays devrait être considérée comme le véritable baromètre de la question de savoir si les États-nations « vont se désintégrer en une constellation d’états balkanisés ».
Les Pays-Bas pendant la révolte des Pays-Bas, 1580
La première « Bosnie »
Pour bien comprendre les enjeux, il est nécessaire de passer brièvement en revue l’histoire de ce que l’on pourrait qualifier en quelque sorte de « première Bosnie », autrement dit d’un « premier État artificiellement créé » en Europe. Une grande partie du territoire de ce que l’on appelle de nos jours la Belgique a été unifié avec les Pays-Bas modernes de 1482 à 1581 lorsque l’entité politique a été dénommée Pays-Bas Habsbourg. La partie sud (Belgique) est passée sous le contrôle espagnol de 1581 à 1714 quand elle a été appelée Pays-Bas espagnols. Après, elle passa sous administration autrichienne de 1714-1797 quand elle devint les Pays-Bas autrichiens avant sa brève incorporation dans la première République française et plus tard l’Empire napoléonien de 1797-1815. C’est durant les époques espagnole et autrichienne que la Belgique a commencé à considérer le catholicisme comme une partie inséparable de son identité nationale en opposition au protestantisme des Pays-Bas. Enfin, la Belgique a fait partie du Royaume-Uni des Pays-Bas de 1815 à 1839 jusqu’à ce que la Révolution belge en fasse un État indépendant pour la première fois de son histoire.
Par essence, ce qui a fini par se produire, c’est qu’une population majoritairement catholique mais ethno-linguistiquement divisée a été prise dans la vague de nationalisme du XIXe siècle et a créé un État hybride franco-néerlandais qui finira par être fédéralisé à la fin du XXe siècle, dans un sens structurel servant de précurseur à la création balkanique dysfonctionnelle de la Bosnie près d’un siècle et demi plus tard.
Il est important de mentionner que le territoire de ce qui allait devenir la Belgique a régulièrement été un champ de bataille entre les puissances européennes concurrentes, les Pays-Bas, les États allemands pré-unifiés, la France, le Royaume-Uni et même l’Espagne et l’Autriche pendant qu’ils contrôlaient cette région. La création de ce nouveau pays a été largement considérée par certains comme n’étant rien de plus qu’un État tampon. La Conférence de Londres de 1830 entre le Royaume-Uni, la France, la Prusse, l’Autriche et la Russie a vu la Grande Puissance de l’époque reconnaître l’entité naissante en tant qu’acteur indépendant, Paris intervenant militairement pour la protéger durant l’échec hollandais de la « campagne des Dix Jours » pour réclamer sa province méridionale perdue à l’été 1831. Pour une construction politique aussi artificielle que la Belgique l’a été, elle a tenu relativement bien au cours du XIXe siècle, car elle a tiré parti de ses approvisionnements en charbon abondant et de sa position géostratégique pour s’industrialiser rapidement et même devenir un colonisateur africain génocidaire au Congo. Bien qu’elle ait été dévastée pendant les deux guerres mondiales, la Belgique a pu rebondir en un laps de temps relativement court, en partie parce qu’elle pouvait compter sur son État pénitentiaire congolais.
Dans le ventre de la bête
Avance rapide vers le présent. La seule chose que la Belgique moderne a en commun avec son passé, ce sont ses divisions internes. Les conséquences post-coloniales de la « perte du Congo » et l’acceptation, peu de temps auparavant, d’accueillir la capitale de l’Union européenne ont ouvert la Belgique jusqu’alors nationaliste à l’influence libéral-globaliste qui a contribué à ce qui finirait par devenir un dysfonctionnement intérieur, ces dernières années. Ce n’est pas un hasard si Bruxelles a été choisie comme siège de l’UE car sa faiblesse intrinsèque était censée en faire un « pays de compromis » idéal pour établir le quartier général du bloc car il ne deviendrait jamais aussi puissant que la France, en monopolisant potentiellement l’agenda de l’organisation internationale. Encore une fois, l’histoire de la Belgique en tant qu’État / région tampon est entrée dans un jeu pertinent en se positionnant « dans le ventre de la bête », qui est aujourd’hui vilipendé par toutes sortes d’individus à travers le continent.
La déconnexion administrative entre sa région septentrionale de Flandre et de la Wallonie méridionale, ainsi que ce qui allait devenir sa structure fédérale, régionale et communautaire à plusieurs niveaux, a été exploitée par l’élite idéologiquement extrémiste de l’UE pour faire de ce pays la pièce maîtresse de leur « expérience multiculturelle ». Après des décennies de facilitation des migrations de masse de sociétés d’un « Sud au sens large » et de ses civilisations différentes, 5,9% du pays est musulman, tandis que 20% au moins de Bruxelles baigne dans l’islam. Presque tous les musulmans de la capitale sont des immigrés, principalement du Maroc et de la Turquie, ce qui n’est pas surprenant si l’on considère que 70% des habitants de Bruxelles sont nés à l’étranger. Malheureusement pour les autochtones, l’expérience multiculturelle a échoué lamentablement, et la Belgique est désormais une plaque tournante du djihadisme en Europe en terme de nombre de combattants par habitant qui ont voyagé à l’étranger pour rejoindre Daech. En tout état de cause, l’« utopie » promise aux Belges en rejoignant l’UE et en accueillant son siège s’est transformée en dystopie et le pays se retrouve maintenant dans le ventre de la bête libérale-globaliste.
Il n’est pas étonnant qu’une partie de la population belge veuille échapper à l’organisation responsable de ses problèmes socioculturels et de sécurité, à l’instar du mouvement indépendantiste flamand qui vise à faire de la région nord du pays un État indépendant en raison d’un avantage en terme de démographie-économie asymétrique qu’elle a sur la Wallonie. La Flandre contribue quatre fois plus à l’économie nationale de la Belgique que la Catalogne en Espagne, puisqu’elle représente 80% du PIB national estimé par la Commission européenne, et représente environ les deux tiers de la population totale de la Belgique, alors que la Catalogne n’y contribue que pour un sixième. Cela signifie que l’indépendance flamande serait absolument désastreuse pour les personnes vivant dans les 55% restants de l’État croupion « belge », ce qui constituerait à toutes fins utiles une Wallonie indépendante, de facto, mais involontairement. Par conséquent, il est important de prévoir ce qui pourrait arriver si la Belgique implose finalement avec la possible sécession de la Flandre.
La Flandre
Éclatement de l’État tampon
Ce chapitre devrait être introduit en soulignant qu’il n’y a aucune garantie que la Flandre se séparera réellement de la Belgique ou qu’elle réussira à tenir un référendum inconstitutionnel comme celui que la Catalogne a mis en place pour tenter de « légitimer » ses ambitions anti-étatiques. De plus, l’État belge ou l’UE, son superviseur, pourrait recourir à la force comme Madrid l’a fait pour empêcher la sécession de cette région. Le lecteur ne doit donc pas tenir pour acquis que la Flandre deviendra inévitablement un État indépendant. Cependant, la « réaction en chaîne catalane » se propagera au « ventre de la bête » en catalysant un processus séparatiste similaire en Flandre. C’est pourquoi l’auteur argumente en introduction que le résultat d’un tel mouvement post-catalan réengagé dans cette région sera le meilleur baromètre pour déterminer si l’élite libérale-globaliste de l’UE prévoit effectivement de « balkaniser » le bloc en un ensemble régionalement « fédéralisé » centré sur l’identité de mini-États.
Compte tenu des particularités locales et historiques de l’étude de cas belge, il semble probable que la sécession réussie de la Flandre (si elle finit par aboutir) conduirait à un éventail étroit de résultats géopolitiques pour ce pays d’Europe occidentale. Le premier est que la Wallonie ne pourrait pas fonctionner comme un État « croupion indépendant » compte tenu de son maigre 20% du PIB belge unifié, de son tiers de la population de l’État actuel et de sa dépendance présumée au port d’Anvers en Flandres pour garder le contact économique avec le « monde extérieur », à part la France et l’Allemagne. Pour ces raisons, il est concevable que cette région francophone puisse être reprise par la France comme l’avait imaginé à l’origine le célèbre diplomate français Charles Maurice de Talleyrand-Périgord dans son « plan de partition Talleyrand » éponyme, proposé en 1830 à la Conférence de Londres. Quant à la Flandre elle-même, elle pourrait soit tenter de rester un État « indépendant », soit éventuellement se confédérer aux Pays-Bas, si les deux parties souhaitaient cette dernière option.
Là où les choses se compliquent, c’est quand il s’agit de la communauté germanophone de l’est de la Wallonie, qui pourrait ne pas vouloir faire partie de la France. En outre, pour des raisons d’optique politico-historique sensibles, cette région ne pourrait probablement pas rejoindre l’Allemagne parce que cela porterait l’ombre inconfortable de l’annexion par Hitler des Sudètes pendant la dissolution de la Tchécoslovaquie avant la Seconde Guerre mondiale. Par conséquent, il est probable que cette sous-région resterait à l’intérieur de la Wallonie, qui deviendrait probablement une partie de la France, avec toutefois une autonomie possible garantie aux germanophones dont Paris « hériterait ». Cela dit, ce n’est pas la partie la plus difficile à régler de cette rupture belge. Le statut de Bruxelles occupe définitivement une place centrale dans ce scénario. L’UE serait encline à faire en sorte que sa capitale devienne une cité-État « indépendante » au même niveau que le Liechtenstein et de taille similaire, avec toutefois une population salafiste beaucoup plus élevée et plus dangereuse, ce qui pourrait en faire une capitale « légitime » de l’« Eurabia » si les tendances civilisationnelles-géopolitiques continuent dans cette direction.
Réflexions finales
L’avenir de la Flandre sera un signe avant-coureur plus intéressant de l’avenir politico-administratif de l’UE que celui de la Catalogne, même si ce dernier est en effet le déclencheur de ce qui pourrait devenir la poussée séparatiste enhardie de l’UE. Si le pays hôte du siège de l’UE est victime de la tendance sécessionniste susceptible de balayer le bloc en raison de la « réaction en chaîne catalane », cela indiquera avec confiance que l’élite libérale-globaliste dominante de l’UE est déterminée à initier la « balkanisation contrôlée » du continent en une constellation de mini-États centrés sur leur identité afin de satisfaire finalement aux objectifs de longue date pour mettre en place une « fédération des régions ». Il n’y a pas de place en Europe plus symboliquement significative que celle de la Belgique et surtout de sa capitale djihadiste dystopique de Bruxelles. Donc si les structures de pouvoir européennes « permettent » à la Flandre de se séparer de cette « première Bosnie », alors il est certain que le reste du bloc ressentira les réverbérations géopolitiques à l’intérieur de ses frontières plus tôt que plus tard.
Andrew Korybko