Le gouvernement fédéral a versé 2,4 millions de dollars pour l’agrandissement en 2015 du Cégep Champlain St. Lawrence, un établissement anglophone de Québec fréquenté à plus de 80 % par des élèves francophones. Ottawa a aussi investi des centaines de milliers de dollars dans le développement de cours à distance en anglais par le Collège de Rosemont, un cégep francophone de Montréal.
Selon ce que Le Devoir a appris, le gouvernement canadien a participé au financement d’une série d’autres programmes bilingues ou en anglais dans des établissements francophones du Québec. Ces investissements fédéraux sont rendus possibles par une entente Canada-Québec établie depuis 50 ans, qui permet au gouvernement fédéral de soutenir l’enseignement dans la « langue de la minorité » et l’enseignement des langues secondes.
Le Mouvement Québec français (MQF) a obtenu, grâce à la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics, le détail des investissements fédéraux au Québec depuis une décennie en vertu de cette entente Canada-Québec. Le MQF dénonce ces contributions fédérales à « l’anglicisation » du Québec, faites néanmoins en fonction des priorités établies par le ministère de l’Enseignement supérieur du Québec.
« Le gouvernement Legault, qui se dit nationaliste, doit intervenir pour limiter la croissance de l’enseignement postsecondaire en anglais, entre autres avec l’appui d’Ottawa », dit Maxime Laporte, président du MQF.
Le ministère du Patrimoine canadien rappelle que, loin d’empiéter sur les compétences du Québec en matière d’éducation, il finance des projets déterminés par le gouvernement québécois. En vertu de l’Entente Canada-Québec relative à l’enseignement dans la langue de la minorité et à l’enseignement des langues secondes, ces projets appuyés par Ottawa sont financés à parts égales par Québec.
« L’éducation relève de la compétence des provinces et des territoires et il revient au Québec de planifier, de déterminer les objectifs, de définir les contenus et de fixer les priorités », indique Donald Savoie, porte-parole du Patrimoine canadien.
Ottawa investit cette année au Québec 42 millions de dollars pour l’enseignement de l’anglais « langue de la minorité » et 18,4 millions pour l’enseignement de l’anglais langue seconde. Le gouvernement fédéral consacreaussi 4,4 millions à l’enseignement du français à des anglophones ou à des allophones du Québec.
Les francophones visés
Le financement des établissements anglophones représente un sujet hautement controversé, notamment depuis que le gouvernement Legault a accéléré le projet d’agrandissement du Collège Dawson (50 millions de dollars) et de l’Université McGill (700 millions).
Le gouvernement libéral de Philippe Couillard avait approuvé en 2015 l’agrandissement d’un autre collège anglophone, le Cégep Champlain St. Lawrence, à Québec, dont la vaste majorité des étudiants est de langue française. Ottawa a payé la moitié de la facture de 5 millions pour les travaux, en vertu de l’entente Canada-Québec sur l’enseignement de la langue de la minorité.
Plus de 86 % des étudiants du Cégep Champlain St. Lawrence (815 sur 947) avaient le français pour langue maternelle en 2018, selon le chercheur indépendant Frédéric Lacroix. Il a obtenu ces chiffres du ministère de l’Enseignement supérieur. À peine 94 élèves de ce collège anglophone de Québec étaient de langue maternelle anglaise en 2018. La cinquantaine d’autres étudiants de l’établissement était allophone.
« Il est légitime de soutenir l’enseignement dans la langue des communautés minoritaires, dit Frédéric Lacroix, auteur de l’essai Pourquoi la loi 101 est un échec et chroniqueur à L’aut’journal. Mais les chiffres parlent d’eux-mêmes : en agrandissant le Cégep Champlain St. Lawrence, on ne soutient pas une communauté minoritaire, on contribue à l’anglicisation des francophones. »
Le ministère de l’Enseignement supérieur rappelle que l’agrandissement du Cégep Champlain St. Lawrence « correspondait bien à un besoin identifié par le ministère : le projet visait la résorption […] d’un déficit d’espace de 1000 mètres carrés […] principalement dans les catégories des activités étudiantes et du centre médiatique ».
D’autres programmes en anglais
Les documents obtenus par le Mouvement Québec français révèlent qu’au moins 1,5 million de dollars venus d’Ottawa ont aussi soutenu depuis 10 ans la mise en place de programmes en anglais au Collège de Rosemont, dans le cadre de l’initiative Cégep à distance. Ce cégep francophone de Montréal est chargé par le ministère de l’Enseignement supérieur d’offrir une plateforme de cours à distance (y compris en anglais) pour tout le réseau collégial québécois.
Les cours collégiaux à distance en anglais ont connu une croissance importante dans la dernière décennie : le nombre d’étudiants est passé de 169 à 877 entre les années 2011-2012 et 2019-2020, indique Jean-François Lapierre, responsable des communications de Cégep à distance. Le nombre d’étudiants dans les programmes francophones à distance a baissé durant la même période, passant de 17 149 à 15 442.
Contrairement aux collèges privés, qui offrent des cours en anglais à des étudiants étrangers, Cégep à distance vise les élèves québécois, explique Jean-François Lapierre. L’effectif est formé principalement de cégépiens ou de travailleurs adultes (anglophones ou francophones) qui cherchent à compléter leur formation pour obtenir un diplôme ou pour réussir un cours préalable à des études universitaires.
Les cégeps ont le droit d’offrir des cours dans la langue seconde. Ils doivent cependant « maintenir l’offre de ces cours dans la langue d’enseignement définie par la politique linguistique de l’établissement », précise Bryan Saint-Louis, porte-parole du ministère de l’Enseignement supérieur.
Les documents obtenus par le Mouvement Québec français détaillent l’appui financier d’Ottawa à une série d’autres programmes bilingues ou dans la « langue de la minorité » (l’anglais) mis en place par une dizaine d’établissements francophones. La Fédération des cégeps a aussi reçu l’aide du fédéral pour stimuler la création de programmes en anglais.
Programmes bilingues
L’Institut de tourisme et d’hôtellerie du Québec et le Cégep de Limoilou ont créé des programmes bilingues pour former des travailleurs plusà l’aise en anglais.
Le Campus Notre-Dame-de-Foy a créé des programmes en anglais pour répondre aux besoins du marché dans le domaine de la mode et en éducation à l’enfance.
Le Cégep Marie-Victorin a développé un programme à distance en anglais pour les Autochtones, des formations en anglais pour aider les immigrants à obtenir un emploi, ainsi qu’une attestation d’études collégiales en gestion des services de garde en anglais.
Le Cégep de Chicoutimi a mis sur pied un cours en ligne bilingue en technique et outils de gestion de projets.
Le Collège d’Alma a créé des capsules en anglais destinées aux étudiants en soins infirmiers.
Le Collège O’Sullivan de Québec a développé un DEC bilingue en techniques de l’informatique.
L’Institut maritime de Rimouski a mis en place des cours à distance en anglais.
L’Université de Sherbrooke offre un baccalauréat en enseignement professionnel en anglais, une traduction du programme français.