Ottawa abandonne les communautés linguistiques minoritaires

Loi 104 - Les écoles passerelles - réplique à la Cour suprême



Encore une fois, ces jours-ci, les communautés linguistiques minoritaires du Canada sont entendues par la Cour suprême du Canada à Ottawa. La question est l'accès à l'enseignement public en anglais au Québec, mais la portée réelle est la place et l'avenir des Québécois anglophones et des Canadiens francophones des autres provinces et des territoires au sein de la Confédération. Tous les Canadiens devraient savoir que leur gouvernement national argumentera, à côté du gouvernement du Québec, contre une interprétation ouverte et généreuse de la Constitution qu'il est élu pour défendre.
Quelle que soit la décision rendue, il s'agit là d'une bien triste nouvelle. Cette cause est basée sur le projet de loi 104, lequel est en vigueur depuis 2002. Ce projet de loi a ajouté des restrictions à la Charte de la langue française mettant fin à la pratique qui consiste à obtenir l'admissibilité à l'école publique anglaise par la fréquentation d'une école privée anglaise non subventionnée. Le procureur général du Québec argumentera que, contrairement à la décision de la Cour d'appel du Québec, le projet de loi est parfaitement constitutionnel et même essentiel pour préserver la langue française et la culture du Québec. Le gouvernement du Canada, représenté par le procureur général, sera d'accord et ira de l'avant. Le gouvernement du Canada argumentera, devant la Cour suprême du Canada, qu'on devrait laisser la reconnaissance des droits linguistiques minoritaires en matière d'enseignement à la discrétion des provinces. Si cet argument est accepté, le Québec ou d'autres provinces pourront rendre illusoires les droits linguistiques en matière d'enseignement protégés par la Constitution. Cela peut aussi vouloir dire que les provinces dans chacun de leur domaine d'activités pourront limiter les droits minoritaires en général.
Le paragraphe (2) de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés précise que: «Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction». Malgré ces mots -- sur lesquels sont fondés l'enseignement public en anglais au Québec et, particulièrement, l'enseignement en français dans le reste du pays -- le gouvernement Harper argumentera que les restrictions supplémentaires à l'enseignement en anglais imposées par le projet de loi 104 sont non seulement réalisables sur le plan constitutionnel, mais aussi essentielles. Il argumentera en parfaite harmonie avec les opposants les plus fervents de la dualité linguistique qu'on ne peut avoir que des gagnants et des perdants dans ces matières: une sereine cohabitation est impossible. Cela est tout à fait surprenant venant du gouvernement du Canada!
L'article 23 de notre Charte des droits et libertés de la personne a été élaboré par les législateurs et façonné successivement par les tribunaux du Canada de façon à assurer la préservation et l'épanouissement des communautés linguistiques minoritaires réparties dans tout le pays, prévoyant un compromis complexe mais de plus en plus solide entre les droits collectifs de la minorité et de la majorité linguistique partout au pays. Au Québec, ce compromis est, nous le savons, rendu plus complexe à cause du besoin fondamental et reconnu de protéger et de promouvoir la prédominance du français. Toutefois, les décisions des tribunaux ont reconnu de façon responsable et perspicace le besoin d'établir un équilibre entre ces deux impératifs.
Le Québec francophone
L'Association des commissions scolaires anglophones du Québec se serait attendue à ce que le gouvernement du Canada préserve ce compromis essentiel. Au contraire, le procureur général argumentera qu'il devrait être éliminé. Soyons clairs: les Québécois anglophones ont l'obligation de respecter et de contribuer à la stabilité et à l'épanouissement du Québec francophone. Ils le font en acquérant une compétence dans les deux langues officielles, en contribuant à la richesse du tissu communautaire, culturel et social du Québec, et surtout, en gérant un système scolaire public anglophone qui attache une priorité inconditionnelle à l'enseignement du français. En d'autres mots, un système scolaire public anglophone sain et stable au Québec est, de nombreuses façons, un signe très positif du compromis discuté antérieurement. Ce système scolaire contribue sans aucun doute à la stabilité et à l'épanouissement du Québec francophone. En dépit de cette réalité prometteuse, les avocats du gouvernement du Canada reprendront leur rengaine, que peu de Québécois répètent encore, à savoir que le ciel va tomber sur la tête du Québec francophone... et que c'est la faute des anglophones du Québec.
Soyons clairs: si le projet de loi 104 est déclaré inopérant par la Cour suprême, comme nous croyons qu'il devrait l'être, entre 400 et 500 élèves de plus pourront s'inscrire aux écoles publiques anglophones du Québec. Cela serait une source importante de régénération du système scolaire public anglophone, dont l'effectif est passé de 250 000 à 110 000 élèves dans une seule génération. Chaque année, l'impact sur les écoles francophones du Québec serait de -0,5 %. Cela nous semble être un compromis équitable.
Bien que les faits de cette cause visent plus directement les communautés anglophones du Québec, ils ont des effets sur les communautés minoritaires francophones partout au pays. Ne vous y trompez pas: d'autres gouvernements provinciaux et territoriaux y porteront une attention particulière. Nous, les Québécois anglophones, avons une expérience assez récente à jouer le rôle peu sollicité et difficile de canari dans un puits de mine. De notre point de vue, nous pouvons vous affirmer que l'air y est de plus en plus stagnant et que c'est clairement dû à une baisse d'oxygène provenant d'Ottawa. Les Canadiens de toutes les parties du pays seraient bien avisés d'en tenir compte.
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Debbie Horrocks, Présidente de l'Association des commissions scolaires anglophones du Québec (ACSAQ)


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