Oraison rétrograde

Laïcité — débat québécois

Devant la commission Bouchard-Taylor, les évêques se succèdent mais ne se ressemblent pas. Faisant fi d'un des messages les plus retentissants entendus pendant les travaux de cette commission, soit l'ouverture à la laïcité, le cardinal de Québec, Marc Ouellet, y a défendu en son nom cette semaine une position passéiste, entièrement coupée du débat social actuel.
Le cardinal Ouellet oeuvre-t-il dans le bon siècle? Son passage devant la commission Bouchard-Taylor laisse, noyée dans le bénitier, cette interrogation en suspens. Son vibrant plaidoyer pour une «nouvelle évangélisation», sa charge contre «l'intégrisme laïque» et sa ferme dénonciation de la mainmise de l'État sur l'enseignement des religions à l'école témoignent de la capacité de l'archevêque de Québec de se retrancher du débat en pratiquant un catholicisme rétrograde.
Le prélat de l'Église catholique témoignait mardi à Québec en son nom devant la commission sur les accommodements. D'autres évêques avant lui -- à Trois-Rivières et à Rimouski -- avaient utilisé la même tribune pour appeler à une «laïcité ouverte». L'incapacité apparente des évêques à parler collectivement est révélatrice sinon d'une division malsaine, à tout le moins d'un impossible consensus. On pourrait presque soupirer d'aise: l'Église, agrippée à la société, discute ferme, signe d'une saine évolution.
Hélas! Quoi qu'il en dise, l'archevêque de Québec ne peut pas prétendre au titre d'homme religieux novateur et représentatif d'un courant progressiste. Accusé de «conservatisme» pour la diffusion de dogmes associés à une pratique religieuse ancienne, le prélat a plutôt prétendu mercredi en entrevue qu'il prônait une «vision futuriste».
Ses idées: la culture québécoise, installée sur les deux piliers que sont la langue et la religion, souffre de la perte de ses repères religieux, source d'innombrables maux, au nombre desquels «le désarroi de la jeunesse, la chute des mariages, l'infime taux de natalité, le nombre effarant d'avortements et de suicides». Les accommodements raisonnables, une quantité négligeable, n'auraient pas leur raison d'être si le catholicisme effectuait un retour en force grâce à ses fondements de respect, de partage et de tolérance de l'autre.
Tournant le dos à un solide, rigoureux et long débat public sur la déconfessionnalisation du système scolaire, Marc Ouellet conclut son prêche en revendiquant le retour à un enseignement religieux à l'école non pas dicté par l'État mais cautionné par les groupes confessionnels.
Un souhait du prélat: le retour à une «nouvelle évangélisation». Une condamnation: «l'intégrisme laïque» a ébranlé l'identité québécoise. Un cri du coeur: «Québec, qu'as-tu fait de ton baptême?»
Ces professions invitent à de sérieuses réserves. L'Église catholique ne peut pas naviguer à contre-courant ni non plus nager en plein paradoxe. En Ontario, les conservateurs de John Tory ne se sont-ils pas récemment écroulés en campagne électorale à cause de leur idée phare, fortement rejetée, de financer les écoles confessionnelles avec les fonds publics?
Au Québec, les grincements de dents liés à certains accommodements consentis au nom d'exigences religieuses ont justement pris racine dans l'exaspération devant une mainmise religieuse en totale contradiction avec la laïcisation de l'espace public. Sans compter que le nouveau programme scolaire d'éthique et de culture religieuse, qui donne préséance à l'héritage religieux chrétien du Québec, s'appuie bel et bien sur les notions de respect, d'ouverture et de tolérance si chères au cardinal Ouellet.
Ce n'est pas avec un tel discours «futuriste» que l'Église catholique séduira une population en mal de valeurs. La vision d'avenir de laquelle se réclame l'archevêque de Québec ressemble davantage au reflet d'un rétroviseur qu'à une projection en avant.
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machouinard@ledevoir.com


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