Option tricherie

Tout cela s'est fait en catimini, et ce n'est pas pour rien. Il y avait dans la manoeuvre quelque chose qui allait à l'encontre de l'esprit de la loi sur les consultations populaires.

Option Canada - Rapport Grenier - le "déhameçonnage"...

Ouf! Que de soulagement dans les regards et les sourires hier à Ottawa. Imaginez: même si Ottawa a versé 11 millions de dollars en deux ans et demi au Conseil pour l'unité canadienne et à Option Canada, l'ancien juge Bernard Grenier n'a trouvé «que» 539 000 $ de dépenses référendaires non autorisées ayant été effectuées au profit du camp du NON durant la campagne d'octobre 1995.
C'est beaucoup moins que les trois millions évoqués au lendemain de la publication, en janvier 2006, du livre Les Secrets d'Option Canada, de Normand Lester et Robin Philpot. Mais ça reste des dépenses illégales qui ont permis aux tenants du NON de dépasser d'environ 200 000 $ le seuil fixé par la loi.
Pour certains, dont le ministre québécois Benoît Pelletier, l'écart entre les deux sommes devrait faire taire les tenants de la théorie du complot ou de l'opération secrète. Si on parlait alors d'opération de camouflage d'une manoeuvre qu'on savait contraire à l'esprit de la loi référendaire? Le rapport Grenier ne dissipe en rien cette dernière thèse. Faut-il rappeler que ce n'est pas la valeur de l'accroc qui est révélatrice mais bien l'accroc lui-même et qu'Ottawa a tout fait pour garder le dossier Option Canada sous le boisseau.
L'existence d'Option Canada et de son financement fédéral n'a été connue du public qu'à la suite d'une enquête menée par le quotidien The Gazette en 1997. C'est à ce moment-là qu'on a su qu'Option Canada avait été créé en septembre 1995 par le Conseil pour l'unité canadienne (CUC) et démantelé en décembre de la même année, mais que, durant cette brève période, l'organisme avait obtenu 4,8 millions du ministère du Patrimoine canadien.
La ministre Sheila Copps, qui avait pris la relève de Michel Dupuy, n'a jamais expliqué les décisions de son prédécesseur en 1997, affirmant ne pas avoir à s'excuser pour défendre son pays. Son ministère a quand même tenu des enquêtes internes, qu'elle a refusé de rendre publiques. Le Directeur général des élections du Québec y a jeté lui aussi un coup d'oeil, mais il a dû cesser son enquête quand, en 1997, la Cour suprême est venue invalider les dispositions de la loi référendaire relatives aux dépenses faites par des tiers.
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Tous ces efforts ont quand même pu mettre en lumière le caractère exceptionnel de l'opération Option Canada et son lien direct avec la campagne référendaire. On a su qu'Option Canada avait été financé à partir de budgets supplémentaires pour l'acquisition et la promotion des langues officielles. Inconnu en août 1995, l'organisme se retrouvait avec une subvention cinq fois supérieure à celle de la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada. La première recommandation de subvention affichait la même date que l'enregistrement d'Option Canada et a été approuvée deux jours plus tard, avant même que le groupe n'envoie une lettre au ministre.
Ces irrégularités, le refus persistant du gouvernement fédéral d'agir visière levée et la résistance des responsables d'Option Canada à répondre aux questions ont nourri les pires soupçons depuis lors. On a constaté hier que quelques-uns, pas tous, étaient justifiés mais aussi que le rapport Grenier, malgré sa minutie, ne pouvait dissiper toutes les zones d'ombre. Il ne le pouvait pas car son mandat se limitait à examiner la légalité des dépenses du groupe, pas la légitimité du procédé utilisé par Ottawa.
Option Canada n'a existé que le temps d'un référendum, et l'essentiel de sa subvention a été versée durant cette campagne, au détriment des règles d'attribution des programmes existants. L'auteur du rapport indépendant commandé par le ministère en 1997, Bill Coleman, indiquait dans ses notes qu'on «en vient à supposer que les gens derrière le groupe demandeur étaient bien connus du bureau du ministre [du Patrimoine de l'époque, Michel Dupuy] et que l'objectif premier était de rendre les fonds disponibles sans délai indu».
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Il ne faut pas être naïf. Aucun pays ne restera les bras croisés devant une menace de rupture et tout gouvernement qui propose l'indépendance ne fera pas dans l'angélisme non plus. Chacun gardera dans sa manche des cartes dont on ne connaîtra la teneur que longtemps après la fin de la partie. N'eût été d'une entrevue accordée à L'Actualité, les Québécois n'auraient jamais su que le premier ministre Jacques Parizeau avait un Plan O pour protéger la valeur des obligations québécoises advenant la victoire du OUI. Il n'en a jamais parlé avant le vote, mais l'opération, préventive, était légale.
En 1995, les deux camps ont dépensé allègrement durant les mois qui ont précédé la campagne officielle, et une part de l'argent fédéral a transité par le CUC, comme une part des fonds québécois l'ont fait par le Conseil pour la souveraineté. On a aussi toujours su que la loi référendaire ne pouvait s'appliquer au gouvernement fédéral. Les Québécois ont par contre toujours espéré que celui-ci en respecterait l'esprit, surtout en matière de dépenses. Ottawa n'a jamais renoncé à sa marge de manoeuvre à cet égard, ne serait-ce que pour monopoliser les panneaux publicitaires.
Mais il a franchi un pas en 1995 en tripotant des règles de subvention pour faire naître un groupe voué à soutenir directement le camp du NON en achetant des services et en payant des salaires. Ottawa n'était pas dans l'ignorance, puisque deux fonctionnaires fédéraux oeuvrant dans le camp du NON ont reçu un salaire du bureau du premier ministre Chrétien tout en bénéficiant d'un appartement payé par Option Canada.
Tout cela s'est fait en catimini, et ce n'est pas pour rien. Il y avait dans la manoeuvre quelque chose qui allait à l'encontre de l'esprit de la loi sur les consultations populaires. Si tel n'avait pas été le cas, Ottawa aurait joué franc jeu. Le chef libéral Stéphane Dion dit vouloir respecter les règles, lui qui s'opposait aussi au programme des commandites. Les conservateurs se sont abstenus d'en dire autant hier. Une façon sous-entendue d'approuver ces fédéralistes qui estiment que tout est permis quand vient le temps de sauver le pays.
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mcornellier@ledevoir.com


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