On ne naît pas Québécois, on le devient

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Sortir de la naïveté : non, tous les immigrants ne souhaitent pas s'intégrer au Québec

On ne naît pas Québécois, on le devient. Naître au Québec ne suffit pas. Une personne née ici, qui vivra toute sa vie ailleurs, n’aura de Québécois que le certificat de naissance. Un immigrant, par contre, arrivé au Québec, à n’importe quel âge, ne pourra éviter un processus d’acculturation dont la durée et l’issue dépendent autant des raisons du départ que de la qualité de l’accueil. C’est en vivant au Québec qu’on devient Québécois.


Les immigrants, contrairement à ce que trop de Québécois pensent, ne demandent qu’à s’intégrer à leur nouvelle société. On ne quitte pas son pays d’origine pour vivre dans l’isolement et l’exclusion. Pour les immigrants, s’intégrer ne veut rien dire d’autre que prendre les moyens de bénéficier de ce que la société a à offrir aux plans économique, social et culturel et, en retour, apporter leur contribution dans ces mêmes domaines. Ils ne se font toutefois pas d’illusions, ils savent qu’émigrer est une mer houleuse qu’on traverse à la nage.


Les immigrants sont soudainement devenus une menace, alors qu’on a toujours eu besoin d’eux pour des raisons économiques et démographiques. On émigre pour échapper à la fatalité de la naissance et dans l’espoir, souvent déçu, d’améliorer les conditions d’existence, tout comme les 900 000 Québécois qui, il y a environ un siècle, s’en allèrent ourdir leur destin dans les filatures états-uniennes. Ni le renversement du devoir d’intégration ni le renoncement à soi des francophones d’héritage canadien-français — tant redoutés par les nationalistes conservateurs — ne font partie du projet des immigrants qui choisissent les Québec, et y restent, dans une proportion de près de 80 %.


Un idéal à partager


Selon une récente enquête d’opinion, plus de la moitié (54 %) de la population québécoise estime que les immigrants sont mal intégrés. Pourtant, tous se soumettent à nos lois, pendant que la majorité d’entre eux a un emploi et parle français. Ce n’est pas tenir compte non plus de l’attrait qu’une société pacifique et prospère comme la nôtre exerce sur ces gens venus d’ailleurs et du puissant facteur d’intégration que représentent, pour leurs parents, les enfants qui sont tous scolarisés en français.


Ce sondage ne nous apprend rien sur la réalité de l’intégration. Il ne fait que révéler jusqu’à quel point l’immigrant, porteur de différence, est source d’angoisse pour des populations insécurisées. Le plus grand exploit de la droite xénophobe, partout en Occident, a été, depuis au moins deux décennies, de faire passer la vulnérabilité du camp des immigrants à celui des pays d’immigration.


Les fausses perceptions concernant l’intégration des immigrants sont dues à un certain sensationnalisme médiatique, se traduisant par la prépondérance accordée aux aspects problématiques de l’immigration. Au fait qu’il n’y a pas suffisamment de pédagogie sur cette question. Et à l’instrumentalisation, aussi délétère que cynique, qu’en font certains politiques. Elles résultent aussi de quelques malentendus. Ainsi, pour beaucoup de souverainistes, un immigrant n’est vraiment intégré que s’il partage leur idéal (ce qui exclut aussi bon nombre de francophones), tandis qu’aux yeux d’une féministe, il est impossible qu’une musulmane voilée puisse être intégrée, sauf si celle-ci, bien sûr, se dévoue corps et âme pour sa progéniture dans un centre de la petite enfance.


D’autres voient, dans les quartiers à forte concentration d’immigrants, une autre preuve de non-intégration sans tenir compte du fait que, la plupart du temps, les adultes en sortent pour le travail et les enfants pour l’école. Et tous ces allophones scolarisés en anglais, en toute légalité — avant et après la loi 101 — qui utilisent, selon les situations, l’anglais ou le français comme langue de communication, sont-ils mal intégrés eux aussi ? Un argument qui a fait la fortune du parti au pouvoir, pendant la dernière campagne électorale, concerne le seuil d’immigration. On a laissé entendre que moins d’immigrants égalent une meilleure intégration.


Or, selon Victor Piché, de l’Université de Montréal, qui s’appuie sur des études scientifiques récentes, les difficultés d’intégration économique sont essentiellement dues à l’évolution du marché du travail et à la discrimination et non pas au nombre d’immigrants. En outre, la notion de seuil d’immigration n’a aucun fondement scientifique, comme l’a démontré le sociologue François Héran, du Collège de France. Deux exemples suffisent pour nous en convaincre : l’Allemagne, récemment, et la France, au début des années soixante, ont accueilli près d’un million d’immigrants. Le seuil varie surtout selon le niveau de xénophobie ou d’ouverture. Dans une situation de pénurie de main-d’oeuvre, comme celle que nous connaissons au Québec, il serait plus sage d’abaisser le niveau de xénophobie que celui de l’immigration.


Une richesse à prendre


Il y a deux sortes d’immigrants : ceux qui sont intégrés et ceux qui sont en voie de l’être. Ces derniers ne veulent surtout pas d’une intégration au rabais, eux dont 39 % détiennent un diplôme universitaire contre seulement 21 % pour les francophones. Il faut sans plus tarder faciliter la reconnaissance de leurs diplômes et compétences en plus d’améliorer les programmes d’enseignement du français pour les immigrants adultes.


Il est inadmissible qu’on se prive d’une telle richesse. S’ils ont choisi le Québec, c’est pour sa qualité d’accueil, aussi imparfaite soit-elle, et pour les valeurs qui fondent notre société, sachant que celles-ci sont idéales dans leur conception et relatives dans leur application, condition sine qua non pour un vivre-ensemble respectueux. Dans une société pluraliste comme la nôtre, « la démocratie n’est rien d’autre que l’orchestration de la mésentente », estimait Machiavel.


> La suite sur Le Devoir.



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