Obama: l'énigme européenne

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Mardi prochain, jour du sacre d'Obama, la terre va s'arrêter de tourner. J'imagine que c'est ainsi que nos aïeux ont vécu celui de la reine Victoria. Il n'y avait alors ni radio, ni télévision, ni Internet, mais cela n'empêchait pas l'événement d'avoir un écho dans les coins les plus reculés du monde. La nouvelle arrivait avec un peu de retard. Cela changeait-il vraiment quelque chose? On ne cesse de répéter, avec un bel anglicisme, que nous pourrons vivre l'événement «en temps réel». Comme si l'on ne parlait pas déjà que de ça! Autrefois l'actualité arrivait en retard. Elle précède aujourd'hui l'événement. Je vous laisse deviner quelle époque est la plus irréelle...
À Paris, le temps semble avoir suspendu son vol. À la mairie se tiendra une grande soirée Obama. Le maire socialiste, Bertrand Delanoë, réunira le gratin pour une grande messe en l'honneur du nouveau président. Dans les journaux et les magazines, il n'y en a que pour lui. Gauche ou droite, peu importe. Il n'y a guère que le leader d'extrême droite Jean-Marie Le Pen qui n'ait pas essayé de surfer sur la vague Obama.
Bien avant les socialistes, le premier à avoir flairé la bonne affaire se nomme Nicolas Sarkozy. Rappelez-vous, en novembre dernier, lorsque le président a claqué la porte du sommet de la francophonie à Québec, 36 heures après son arrivée. Il devait impérativement rejoindre George W. Bush pour, disait-il, «refonder le capitalisme». On sait maintenant que, discrètement, il faisait tout pour rééditer l'exploit de Jacques Chirac qui, huit ans plus tôt, avait été le premier chef d'État à rencontrer George W. Bush avant son couronnement. Pendant que Sarkozy vantait l'unité canadienne à la citadelle de Québec, il s'assurait qu'un avion militaire se tienne prêt à décoller sur la base militaire d'Edwards, près de Washington. Même président de l'Union européenne, Sarkozy n'est cependant pas parvenu à forcer la porte d'Obama à Chicago. C'est à peine si le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, a pu arracher une rencontre à son amie Madeleine Albright, conseillère informelle du candidat démocrate.
L'entourage d'Obama regorge de personnalités qui connaissent très bien l'Europe. Son conseiller en matière de Sécurité nationale, James Jones, a grandi à Paris et parle mieux français que Stephen Harper. Mais les atomes crochus du nouveau président avec le vieux continent restent une énigme. Le profil de ce métis qui a grandi à Hawaï et en Indonésie semble plus tourné vers l'Asie. On ne lui connaît que trois séjours en Europe, dont un lorsqu'il était encore étudiant. Voilà pourquoi, mardi prochain, les dirigeants européens auront presque autant de raisons de s'inquiéter que de se réjouir.
Sur l'Iran, la proposition de dialoguer avec Téhéran sans préalables, réitérée cette semaine par Hillary Clinton, réduirait à néant la démarche échafaudée depuis des années par l'Union européenne. Or, l'Iran est un des dossiers où l'Europe se targue de pouvoir jouer un rôle majeur. À l'Élysée, on craint aussi la relance des discussions sur le désarmement nucléaire proposée par Obama. Accueilli favorablement en Allemagne, le projet inquiète la France, à laquelle l'arme atomique permet d'accéder au club des grandes puissances.
Déjà, les Européens ont demandé à Obama de mettre la résolution du conflit israélo-palestinien au coeur de sa politique étrangère. Dans les grands think tanks de Washington, plusieurs estiment aussi que le président devrait accorder sa priorité au conflit. Le grand politologue Walter Russel Mead appelle à une «révolution copernicienne» en la matière, permettant enfin de prendre en considération non seulement la sécurité d'Israël mais aussi les besoins trop longtemps négligés du peuple palestinien. Même si ces derniers, depuis le coup de force du Hamas à Gaza, n'ont plus guère de représentants fiables.
Mais il ne manque pas d'experts pour penser, au contraire, que seul un esprit suicidaire devrait mettre tous ses oeufs dans le conflit palestinien en début de mandat alors même qu'il n'y a plus d'interlocuteur palestinien représentatif et que Benjamin Netanyahu pourrait sortir victorieux des élections du 10 février en Israël. La semaine dernière, Obama a bien annoncé une initiative concernant la Palestine. Mais Hillary Clinton est demeurée vague devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat.
Quant au prochain vice-président, Joe Biden, c'est au Pakistan qu'Obama l'a envoyé, pas en Israël. L'Afghanistan représente une autre pomme de discorde avec l'Europe. On doute qu'en pleine récession, les pays européens puissent envisager sereinement d'augmenter leur effort militaire sans avoir l'assurance qu'un pouvoir stable pourra un jour s'installer à Kaboul. Un pouvoir stable dont personne n'a vu la moindre couleur depuis plus de 25 ans.
Avec un nouveau président engagé dans la réduction des gaz à effets de serre, l'Europe pourrait de plus perdre l'initiative sur un des seuls dossiers qui lui permet encore de jouer un rôle d'avant-garde dans le monde.
Certains Européens pourraient alors découvrir avec dépit que le nouveau président n'a d'yeux que pour le reste du monde et qu'il pratique à l'égard de l'Europe la même indifférence que son prédécesseur.
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crioux@ledevoir.com


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