Lucien Bouchard et le gaz de schiste

Nous jugerons l'homme à ses actes

Gaz de schiste




«Je suis tout à fait conscient de la nécessité de procéder à ce développement dans le plein respect d'exigences exemplaires du point de vue de l'environnement, de la sécurité publique, de la transparence et de l'acceptabilité sociale. S'impose également la nécessité de faire de ce développement une contribution réelle à l'enrichissement public et non pas seulement privé.»
«J'entends donc remplir mon mandat dans la conciliation des préoccupations et des enjeux de toutes les parties intéressées, mais surtout avec la certitude de devoir travailler dans le meilleur intérêt de notre collectivité.» — Lucien Bouchard

À lire la déclaration de Lucien Bouchard lors de l'annonce de son engagement dans la saga du gaz de schiste, j'ai été étonné de constater à quel point son discours ressemblait, dans ses principes mais sur un ton évidemment plus posé, à celui que j'ai écrit pour la vidéo WO sur le gaz de schiste. À croire que le discours tenu par les artistes a servi d'inspiration à la déclaration du nouveau porte-flambeau de l'industrie!
Faut-il se réjouir de cette arrivée inopinée? Faudra-t-il donner la chance au coureur? L'homme d'État mérite notre respect. Si son passage au ministère de l'Environnement n'a marqué personne, c'est que l'homme, on s'en souviendra, n'avait que des convictions peu profondes pour ces affaires. Mais lorsque le temps est venu de défendre les intérêts du Québec, au lendemain de l'échec de Meech, nous avons vu en lui l'étoffe d'un héros.
Puis, au référendum de 1995, il a pris l'aura d'un libérateur de peuple. On se souviendra avec quelle passion il s'est porté à la défense de l'héritage de René Lévesque. C'est sans doute à l'aune de cet héritage que nous mesurerons la valeur de son nouvel engagement dans les mois à venir. À quel Lucien Bouchard aurons-nous affaire? Le démocrate? Le conservateur? Le rassembleur, défenseur de l'intérêt public? Le fin négociateur, à la défense des intérêts privés?
Avenir énergétique
Lucide, M. Bouchard est, on en conviendra, un conservateur. On se souviendra que, sous sa gouverne, comme premier ministre, il a fait de l'atteinte du déficit zéro la condition gagnante préalable à toute action nouvelle vers la souveraineté. Et avec quelle ténacité il a appliqué à fond de train le credo conservateur de la privatisation, de la déréglementation et de la diminution de l'intervention de l'État. Jusqu'à la mise à pied massive de milliers d'infirmières...
Des analystes ont souligné que c'est sous la gouverne de Lucien Bouchard qu'il a été décidé de faire passer l'avenir énergétique du Québec par le développement du gaz naturel plutôt que par l'hydroélectricité. En 1996, sous son gouvernement, André Caillé quitte son poste de p.-d.g. de Noverco (qui contrôle Gaz Metro) pour devenir président d'Hydro-Québec. Dans les années qui suivront, on assistera à la mise en place d'une stratégie visant à sortir Hydro-Québec du domaine gazier pour laisser le champ libre à l'industrie privée. On se souviendra aussi que son propre ministre de l'Environnement est le même André Boisclair qui se porte aujourd'hui à la défense des intérêts des gazières comme il s'était naguère montré relativement favorable au Suroît...
Il a choisi son camp
Les citoyens veulent des emplois, des augmentations de salaire, des services de santé, des écoles, une qualité de vie. Les gens d'affaires revendiquent les accès les plus libres aux richesses naturelles, des impôts au minimum et le moins de règlements de l'État. Le défi des politiciens est de maintenir un équilibre entre ces deux forces plus ou moins opposées. À défaut d'un réel leadership dans toute cette saga du gaz, comme la nature a horreur du vide, on voudrait voir Lucien Bouchard agir en bon roi Salomon.
Mais M. Bouchard vient de choisir son camp: celui de se porter à la défense des intérêts de l'industrie. Pourra-t-il agir, dans ces circonstances, en homme d'État? C'est le défi qu'il semble se lancer à lui-même si on se fie à la nature de ses déclarations de cette semaine. Je me demande quel serait le Québec d'aujourd'hui si René Lévesque s'était fait le porte-parole de la Shawinigan Water and Power Company et des intérêts privés au lieu de se porter à la défense et au développement de l'intérêt public dans l'élan de la nationalisation de l'électricité il y a 50 ans...
Dans son discours sur l'état de l'Union, le président Barack Obama comparait cette semaine le défi qui attend les Américains en matière d'énergie à l'extraordinaire effort déployé au cours des années 60 dans la conquête de l'espace. Ce mouvement collectif aura mené à la découverte d'innombrables technologies et à la création de millions d'emplois. Durant ces mêmes années,
René Lévesque lançait le formidable mouvement collectif du développement hydroélectrique au bénéfice de l'intérêt public.
Hydro-Québec n'est pas parfaite, les dossiers du nucléaire à Gentilly, du gaz à Bécancour et du harnachement de La Romaine en font foi, mais généralement nous sommes fiers de ses réalisations et nous avons confiance. C'est tout le contraire pour l'industrie du gaz de schiste. Quoiqu'on fasse de ce développement ailleurs sur le continent, nous demeurons une société distincte. Et je suis fier de voir combien nous accordons de l'importance à la protection de notre environnement et de nos intérêts collectifs.
Un sauveur?
Et je me prends à rêver d'un Lucien Bouchard se posant, au-dessus de la mêlée, à la défense de l'héritage de René Lévesque. Cette semaine, il a choisi de diriger le camp des gazières, tout en annonçant qu'il s'y engageait «surtout avec la certitude de devoir travailler dans le meilleur intérêt de notre collectivité».
Prenons-le au mot. Si Lucien Bouchard devient le porteur des garanties jusqu'ici inconnues en matière de protection de l'environnement, de santé et de sécurité publiques, s'il en arrive à mettre sur la table une proposition d'affaires qui puisse satisfaire tant l'intérêt des citoyens que celui des groupes environnementaux et des investisseurs privés, il sera peut-être enfin devenu ce sauveur que nous avions vu en lui depuis toutes ces années.
Comme le répétait le président Obama, ce qu'il faudra pour mettre le cap vers l'avenir, ce sera de mettre fin à l'exploitation des énergies d'hier, d'en finir avec l'exploitation des sources d'énergie sales, dont le gaz de schiste fait partie dans le contexte québécois. Des études récentes confirment que le boom du gaz de schiste aux États-Unis a fait chuter de moitié les investissements dans les énergies renouvelables.
Suspension des travaux
Pour affirmer véritablement notre pleine souveraineté énergétique, il faudra consacrer davantage d'efforts dans le développement des énergies propres. Dans le nord de l'Europe, des milliers de sites de biogaz sont à l'oeuvre, transformant des problèmes environnementaux en sources d'énergie. Au Québec, en investissant davantage de ce côté-là, on pourrait combler au moins la moitié de nos besoins en gaz naturel, et ce, proprement.
Nous jugerons donc l'homme à ses actes... Pour l'instant, dans les faits, l'exploration se poursuit en douce. Pour l'instant, dans les faits, il y a toujours des fuites à colmater dans le puits de Leclercville. Ceux qui s'opposent à ces manières d'explorer sont accusés d'immobilisme. Je crois que ceux qui privilégient les énergies propres marchent vers l'avenir. Comme René Lévesque nous a fait avancer vers un horizon meilleur, souhaitons que Lucien Bouchard puisse nourrir cette tradition plutôt que d'y opposer des forces rétrogrades.
Pour l'heure, le simple bon sens milite en faveur d'une suspension, d'un arrêt de tous ces travaux jugés suspects, risqués, expédiés sans le consentement libre, préalable et éclairé des citoyens. Ne serait-ce que pour s'assurer que l'exploitation du gaz de schiste est vraiment une bonne idée comparée au développement intégré des énergies propres: conservation d'énergie, efficacité énergétique, solaire, éolien, méthanisation des déchets municipaux, géothermie et hydroélectricité.
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Dominic Champagne - Auteur et metteur en scène


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