Nos enfants sont déjà ailleurs

Commission BT - le rapport «Fonder l’avenir - Le temps de la conciliation»


Après une demi-heure d'exposés professoraux, Charles Taylor s'est vidé le coeur - disons une oreillette.

Je ne connais pas beaucoup de sociétés dans le monde où l'on aurait pu se livrer à ce genre d'exercice sur des sujets aussi explosifs dans un contexte aussi serein, a dit le philosophe, qui en a visité quelques-unes.
Oui, des participants ont dépassé les bornes, a-t-il reconnu; certains ont tenu des propos racistes. Mais même quand les interventions étaient malavisées, le dialogue se poursuivait.
On sentait que le philosophe répondait à tous ces bien-pensants qui, au fil des mois, à Montréal ou à Toronto, avaient exprimé leur «honte» d'entendre ce qu'ils entendaient, et de voir qu'on donnait le micro aux porteurs de préjugés.
Voilà il me semble l'essentiel. Malgré tous ces épisodes, parfois grotesques, après deux ans l'aventure des accommodements raisonnables aura permis de constater au moins cela: dans ce pays, on brûle plus de voitures de police après des matchs de hockey qu'à cause des ratés interculturels.
Les faits!
Le premier et le plus important travail d'une commission d'enquête consiste à trouver et à exposer les faits.
On n'a rien contre les recommandations du juge Gomery, mais le plus important est l'exposé qu'il a fait du système frauduleux des commandites.
De la même manière, le plus important n'est pas tant la série de recommandations de la commission Bouchard-Taylor. C'est le constat qu'elle dresse.
Quel est ce constat? Comme plusieurs démocraties libérales, le Québec vit des difficultés «interculturelles» sérieuses. Mais il n'y a aucune crise. En fait, le modèle d'intégration québécois fonctionne plutôt bien.
Alors quoi? Alors les médias. Médias qui plantaient les graines de la méfiance dans un terreau fertile, certes, mais les médias quand même.
Dans ce type de commission «sociale», par opposition à une commission judiciaire de type Gomery, il n'est pas de mise de blâmer qui que ce soit. Mais si nous avions eu une commission Gomery des accommodements raisonnables, les médias en auraient pris pour leur grade.
La commission a relevé toutes les affaires d'accommodements dont il a été question dans les médias depuis 1985. Plus de la moitié des cas ont été traités dans l'année et demie précédant la commission, la période d'«ébullition».
Les chercheurs de la commission, pendant quatre mois, ont reconstitué les faits des 21 cas les plus discutés dans cette période - sapin de Noël, cabane à sucre, vitres givrées au YMCA, etc.
Or, sur ces 21 cas 15 avaient été traités tout de travers par les médias. Les trois quarts!
Distorsions, demi-vérités, médailles sans chien et à un seul côté: les médias étaient tellement avides d'histoires d'accommodements déraisonnables qu'ils en ont gonflé plusieurs jusqu'à la tromperie. Non, la certification casher ne coûte pas «des millions» aux Québécois. Non, des musulmans n'ont pas embêté des clients d'une cabane à sucre. Etc.
Mais bon, il faut «fonder l'avenir», pas ruminer ses péchés. Gardons ça pour le congrès des journalistes
La commission a entendu et rencontré plusieurs personnes du milieu de l'éducation et de la santé. Le rapport passe en revue mille anecdotes. Conclusion? Là où on vit avec la nécessité de s'ajuster, de faire des compromis, là où il y a beaucoup d'immigrants, en somme, on trouve généralement des solutions raisonnables. À l'école et encore plus dans les hôpitaux, où les arrangements sont privés.
À-plat-ventrisme, pour reprendre l'expression favorite de Mario Dumont (un autre qui aurait pu se faire gomeriser)? Non. Plutôt «fermeté sur les valeurs et normes fondamentales (égalité, sécurité, etc.), flexibilité dans l'application». Il y a des congés religieux, des aménagements pendant le ramadan, etc., mais cela se fait intelligemment en général.
Judiciariser les droits sociaux?
Avec de pareils constats, difficile d'écrire des recommandations spectaculaires. Il n'y a pas lieu de récrire les lois, ni les grandes orientations. Plus d'argent pour mieux faire ce qu'on ne fait pas si mal, cette laïcité à la québécoise qu'on est en train d'inventer.
Mais comme ça ne coûte rien de le demander, pourquoi pas recommander des fonds pour la recherche? Les universitaires plaident certes pour eux-mêmes, mais ils font ce qu'on n'arrive pas à faire avec les avocats: dépenser seulement les deux tiers du budget prévu d'une commission d'enquête!
Les commissaires s'étirent le mandat en reprenant la vieille idée de mettre sur le même pied que les droits fondamentaux les «droits économiques et sociaux» de la Charte québécoise. Généreux, certes. Mais cela ferait exactement le contraire de ce que proposent les commissaires: plus de procès, moins de «solutions citoyennes». On ouvrirait les portes du palais de justice pour la contestation de toute mesure ou manquement de l'État en la matière et on n'en finirait pas.
Histoire de vieux
Mais je l'ai dit: l'essentiel est ailleurs. Il est sur le terrain, dans ce nouveau Québec qui s'invente à l'école où des garçons qui s'appellent parfois Jihad, David, Philippe, qui peuvent être musulmans, juifs, arméniens, grecs orthodoxes, va savoir, il y a même des catholiques, ils sont tous Québécois, ils s'appellent Jihad, David, Philippe, donc, et ils jouent sur le même trio dans une équipe de hockey sans même que ce soit un sujet d'étonnement, de discussion, encore moins de commotion ou de commission.
À plat ventre? Malaise identitaire? De quoi ils parlent, ces vieux politiciens?
Voilà ce à quoi je pensais en lisant ce rapport, admirable d'équilibre et de vision par ailleurs: nos enfants sont déjà ailleurs.


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