Coincés entre la peste et le choléra !

Nos députés en état de panique !

Louis Archambault nous dit pourquoi il a choisi la peste.

Chronique de Me Christian Néron

Du 10 au 27 octobre 1864, les Pères de la Confédération ont adopté en un temps record les Soixante-douze résolutions qui allaient former la substance d’une nouvelle constitution.Tout le monde en fut surpris, et certains en furent franchement inquiets. Bien des députés d’arrière-banc du Bas-Canada ont alors avoué avoir été pris de panique. Ils comprenaient que l’heure de vérité avait sonné pour l’avenir de leur province et la survie de leur nationalité contre laquelle « s’acharnaient tant d’ambitieux ». Plus inquiétant encore, le gouvernement de coalition tardait à publier les résolutions. Que voulait-on leur cacher ?

Parmi les quarante-huit députés Canadiens français, la très grande majorité appréhendait les changements proposés, y compris les conservateurs qui appuyaient Cartier et son gouvernement de coalition. En ces heures difficiles, entre libéraux et conservateurs, y avait-il un parti à qui faire confiance ?

Ainsi, dès le 8 novembre, le tout jeune rédacteur de La Minerve, Évariste Gélinas, informait Hector Langevin, solliciteur général du Bas-Canada dans le gouvernement de coalition, de l’inquiétude qui régnait dans les rangs conservateurs : « Il ne faudrait pas se persuader qu’il n’y a à conquérir, au plan proposé par la Conférence, que le concours et l’appui des Anglais. Je ne vous cacherai pas qu’il existe un profond malaise parmi nos amis les plus chauds et les plus dévoués. Il faudra beaucoup de prudence et de zèle pour les garder sous le drapeau. Ne vous fiez pas toujours à Cartier car il est entouré de flatteurs qui sont loin d’exprimer le sentiment de la majorité 1

Parmi ces amis, chauds et dévoués, qui ressentaient un profond malaise, au point même de reconnaître « qu’ils en tremblaient », il y avait Louis Archambault, député de l’Assomption. Le 23 décembre, il avait confié à Georges-Isidore Barthe, rédacteur de La Gazette de Sorel, qu’il cherchait en vain une solution de rechange au projet de constitution : « Les journaux ministériels ont déjà préjugé l’opinion en sa faveur, de sorte qu’il est à craindre que le projet passe tel qu’il est. En puis, ce qui donne de la force au gouvernement, c’est que les rouges, qui vont l’opposer, n’ont aucune valeur morale. Ce sont eux qui ont demandé les premiers la confédération, & ils s’y opposent aujourd’hui […]. Quelle valeur peut avoir un tel parti ? 2 Évidemment, un libéral qui n’a « aucune valeur morale », ce n’est pas une idée très originale !

Plus encore, pour couper tous les ponts à une solution de rechange, le parti conservateur avait habilement fait publier dans La Minerve la position contradictoire du chef libéral, Antoine-Aimé Dorion. Dès 1858, alors associé au dangereux George Brown du Haut-Canada, Dorion avait déclaré en chambre qu’il était disposé à prendre en considération un projet de confédération de toutes les provinces. Cette déclaration avait été faite dans le but de se concilier Brown et le Haut-Canada face à la question de la représentation proportionnelle.

Deux ans plus tard, le 3 mai 1863, Dorion avait fait savoir à la chambre que son idée s’était même consolidée à ce sujet : « Je regarde l’union fédérale du Haut et du Bas-Canada comme le noyau de la grande confédération des provinces de l’Amérique du Nord que j’appelle de mes vœux ».3

Bref, tous ces députés désemparés, qui tremblaient à l’idée de prendre une décision déterminante pour l’avenir et la survie de leur nationalité, se voyaient forcés de choisir entre le parti de Cartier, qui avait combattu Brown pendant près de quinze ans, et celui de Dorion, fédéraliste avoué et allié traditionnel de Brown. Entre la peste et le choléra, le choix exigeait un bon moment de réfléxion.

Les députés du Bas-Canada voyaient donc venir avec appréhension la session parlementaire prévue pour le début de février. Louis Archambault finissait ainsi la lettre à son ami Georges-Isidore Barthe : « Là vont se débattre & peut-être s’accomplir nos destinées nationales et sociales. Je vous avouerai que je vois arriver, en tremblant, le moment où il faudra me prononcer pour ou contre cette grande question de la confédération ; car je comprends la responsabilité que va assumer chaque membre en se prononçant sur cette question ». En fait, ces députés comprenaient fort bien qu’ils étaient à la croisée des chemins et que le choix s’avérait douleureux.

Mais quels auraient été les tremblements de tous ces petits amis « chauds et dévoués » de Cartier s’ils avaient pu connaître le fond de la pensée de Brown qui, écrivant discrètement à ses propres petits amis, les informait qu’il cherchait par-dessus tout à « arracher les dents et couper les griffes » des Canadiens français. Pire encore, quels auraient été leurs tremblements s’ils avaient pu lire une lettre qu’il n’avait pu s’empêcher d’écrire sur-le-champ à sa femme, tellement il tremblait, lui, de joie au sortir de la conférence de Québec le 27 octobre 1864, renversé qu’il était des résultats de sa brillante stratégie : « You will say that our constitution is dread-fully tory – and it is ! – but we have the power in our hands to change it as we like. Hurrah ! – Is it not wonderful, French-Canadianism entirely extinguished ! »

Il fallait cependant que ces résolutions soient adoptées par l’Assemblée législative du Canada-Uni, ce qui n’était pas gagné d’avance ! Du côté de la députation du Haut-Canada, il n’y avait pas de craintes puisque tous, ou presque, avaient déjà fait savoir à Brown, dès le mois de juin, qu’ils favorisaient une fédération des provinces. Donc, de ce côté, inutile de penser à convaincre des convaincus. Mais du côté du Bas-Canada, où les députés étaient en état de désarroi, il y avait beaucoup de travail sur la planche.

Les Débats parlementaires sur la Confédération vont se dérouler du 3 février au 14 mars 1865. L’enjeu consistait essentiellement à persuader les députés de langue française que la Confédération, en garantissant la pleine autonomie de leur province, servirait pleinement les intérêts de leur nationalité. C’est en ce sens que seront prononcés les discours de Cartier, d’Hector Langevin, de Joseph Cauchon, de George Brown, et de quelques autres.

Et que de promesses ! Dans cette Confédération, les Canadiens français auront, à Québec, leur gouvernement national ; les compétences législatives de leur parlement seront souveraines et intangibles ; les Capitulations de 1759 seront respectées ; les lois et coutumes du Canada confirmées par l’Acte de Québec seront maintenues ; l’éducation sera entièrement de compétence provinciale ; la langue française pourra s’épanouir dans le Canada tout entier ; leur nationalité sera plus protégée que jamais ; le fédéral ne s’occupera que de sujets d’intérêts commun ; la constitution ne pourra être changée sans leur consentement ; le Comité judiciaire du Conseil privé de Londres demeurera pour toujours le tribunal neutre et impartial de dernier ressort.

Bref, on fera pleuvoir une telle pluie de promesses que, le 10 mars, lors du vote sur la question principale, vingt-six des quarante-huit députés de langue française voteront en faveur de la Confédération. Malgré toutes ces assurances apaisantes, vingt-deux trembleront encore beaucoup trop pour se sentir capables d’engager l’avenir de leur nationalité.

Remarquons que presque toutes ces promesses étaient théoriquement compatibles avec les résolutions de Québec et faites apparemment de bonne foi (?) Ce qui va arriver par la suite est une autre affaire. Quand quelqu’un plie à la moindre occasion et n’exige pas le respect de sa part du contrat, il envoie un signal bien tentant à l’autre partie : la lâcheté donne le plus souvent toutes les apparences d’un consentement mûri et réfléchi.

Les explications de Louis Archambault, reproduites ci-dessous, ont ceci d’intéressant qu’elles illustrent parfaitement l’état d’esprit de ces Canadiens, patriotes sincères, qui avaient du mal à saisir la dynamique de la nouvelle constitution, et qui ont résolu leur dilemme par un « acte de foi », c.-à-d. en s’en remettant au jugement et aux promesses du patriote Cartier.

Remarquez qu’il y a un gouffre entre ces premiers fédéralistes malgré eux et ceux d’aujourd’hui, comme par exemple Philippe Couillard ou Stéphane Dion. Ils n’avaient absolument aucune intention de devenir des dominés domestiqués, fiers de leur statut d’effacement de soi dans un pays de dominants.

DÉBATS PARLEMENTAIRES
SUR LA
QUESTION DE LA CONFÉDÉRATION DES PROVINCES DE
L’AMÉRIQUE BRITANNIQUE DU NORD

Troisième Session, Huitième Parlement de la Province du Canada, tenue en la Vingt-Huitième année du Règne de Sa Majesté la REINE VICTORIA.

JEUDI, 2 mars 1865.

M. Louis ARCHAMBAULT, député de l’Assomption : M. l’Orateur, mon intention, en me levant maintenant, n’est pas d’entretenir cette hon. chambre pendant longtemps ni de discuter les mérites de la question qui nous est soumise. Je ne veux qu’expliquer les motifs du vote que je me propose de donner sur cette question, et le faire en aussi peu de mots que possible.

Je dois avouer de suite que lorsque je suis arrivé à Québec, au commencement de la session, j’étais opposé au plan de confédération, et que j’y étais tellement opposé que j’en étais venu à la détermination de voter contre. Mais après avoir sérieusement examiné la question, les explications que j’ai entendues donner sur le projet du gouvernement m’ont, sinon convaincu que j’avais tort, du moins que je ne devais pas le repousser uniquement parce qu’il ne rencontrait pas absolument toutes mes opinions.

Après avoir entendu la discussion et les explications des membres du gouvernement, j’ai compris que ce projet était un compromis, et qu’il ne pouvait, par conséquent, rencontrer les idées de chacun de nous, pas même celles des messieurs qui l’ont adopté.

Je conçois que ceux qui sont opposés à toute confédération, et qui préfèreraient la représentation basée sur la population, ou l’annexion du Canada aux Etats-Unis, peuvent s’opposer au projet et le repousser ; mais quant à ceux qui, comme moi, n’y sont pas opposés, et qui en sentent la nécessité dans les circonstances actuelles, et qui comprennent en même temps les avantages qui peuvent en résulter, je crois qu’ils ne doivent pas, qu’ils ne peuvent pas le repousser seulement parce que certains détails ne sont pas parfaitement conformes à toutes leurs idées.

Avant tout, nous devons nous demander si des changements constitutionnels sont nécessaires, et je crois que chacun devra dire oui. D’ailleurs, les chefs politiques des deux partis qui divisent cette chambre en ont parfaitement reconnu la nécessité. Il ne s’agit donc que de savoir quels changements il faut faire. Les membres de l’administration actuelle ont résolu cette question en proposant la confédération de toutes les provinces de l’Amérique Britannique du Nord. Ils se sont entendus avec nos sœurs-provinces, et viennent aujourd’hui avec leur plan de confédération. Il ne s’agit pas de savoir si les détails de ce plan s’accordent parfaitement et en tous points avec nos idées particulières, mais si le changement est nécessaire, et si le plan proposé est bon et acceptable dans son ensemble ; car le plan étant un compromis entre diverses parties dont les intérêts sont différents, le gouvernement qui le propose doit se tenir responsable de ses détails et de tout ce qu’il contient.

Un amendement fait à ce projet serait en réalité un vote de non-confiance dans le gouvernement et, par conséquent, il nous faut adopter ce projet tel qu’il est ou voter non-confiance dans l’administration actuelle. Or, je ne suis pas prêt, pour ma part, à voter non-confiance dans les hommes du pouvoir. Pour me décider à le faire, il faudrait que je visse, chez ceux qui les opposent, plus de garanties qu’ils n’en offrent pour les intérêts du pays ! Il faudrait que j’en trouve plus chez eux que chez ceux qu’ils opposent ! Jusqu’ici, je ne crois pas qu’ils aient offert, ni qu’ils offrent ces garanties.

Au contraire, si l’on doit juger ces libéraux par leurs actes antérieurs, si on doit les juger par leur passé, il faut convenir que nous ne pouvons leur accorder notre confiance, et qu’ils ont montré une grande incapacité à gouverner et à administrer les affaires du pays. Lorsqu’ils étaient au pouvoir, ils n’avaient pas de politique arrêtée ; ils ne pouvaient résoudre aucune grande question ; ils vivaient au jour le jour.

Leurs actes administratifs étaient marqués au coin de la vengeance et de l’injustice envers leurs adversaires ; ils faisaient des enquêtes, par exemple, contre des employés publics afin d’avoir un prétexte pour les destituer et faire place à leurs créatures affamées. Et puis, d’ailleurs, ont-ils aujourd’hui à nous offrir un meilleur plan que celui proposé par le gouvernement ? Non ! Ils nous offriraient peut-être la représentation basée sur la population, ou même l’annexion aux Etats-Unis ! Je crois que ce ne sont pas là les remèdes qui nous conviennent.

Sous ces circonstances, je n’hésite pas à déclarer que je voterai pour le plan de confédération qui nous est soumis par le gouvernement, bien qu’il ne rencontre pas toutes mes idées et qu’il n’offre pas toutes les garanties que j’aimerais à y trouver, et bien que je ne le croie pas propre, tel qu’il est, à protéger les intérêts des diverses provinces et assurer la stabilité dans le fonctionnement de l’union que l’on propose.

Comme ma position ne me permet pas d’agir assez fortement sur l’opinion publique pour forcer le gouvernement à faire à ce plan les modifications que je croirais nécessaires, je me range avec les hommes en qui j’ai toujours eu confiance !... et avec lesquels j’ai toujours marché… parce que je me fie à leur honnêteté et à leur patriotisme !

J’aime à croire que, sur cette grande question qui embrasse d’aussi grands intérêts et qui affecte notre avenir national et social, ils ont agir… avec le même patriotisme qui les a toujours guidés par le passé. (Applaudissements.)

Christian Néron
Membre du Barreau du Québec,
Constitutionnaliste,
Historien du droit et des institutions.

Références :

[[1. Évariste Gélinas à Hector Langevin, 8 mon. 1864, APQ, CC, FHL 12.
2. Louis Archambault à G. I. Barthe, 23 déc. 1864, APC, FondsTarte, M. G. 27, II, D 16.
3. La Minerve, 21 mon. 1864, extrait tiré du Journal de Québec de mai 1860.]]


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