Je suis de cette génération qui est souvent féministe sans le savoir, héritière d'un combat qui n'a pas été le mien. Je ne me suis jamais demandé si j'avais les mêmes droits que mon frère. J'ai toujours su que je les avais, un point, c'est tout.
Ma mère, qui a grandi en Syrie, n'a jamais brûlé son soutien-gorge. La pratique n'était pas courante là-bas, me dit-on. Mais elle était féministe à sa façon. Son père lui a toujours dit: «Ce que tes frères font, tu peux le faire aussi.» Elle a étudié en génie civil et en architecture à l'époque où cela ne se faisait pas pour une fille. À l'Université d'Alep, des 150 étudiants de sa promotion, elles n'étaient que cinq filles.
Je suis de cette génération féministe par la force des choses, qui tient pour acquis que les femmes peuvent exercer le métier qu'elles veulent, mener leur vie comme bon leur semble, porter un décolleté ou un col roulé, choisir d'avoir des enfants ou non. Mais il m'arrive parfois, et de plus en plus, en regardant le drôle de sort que l'on réserve à certains pans de la révolution féministe, de partager le désarroi de celles qui l'ont menée.
Pas plus tard que la semaine dernière, juste à temps pour les célébrations du 8 mars, je me suis étouffée dans mon café en lisant qu'une productrice, à la recherche du meilleur bar de danseuses du Québec, allait nous gratifier de quatre émissions portant sur cette quête essentielle. Chacun est bien sûr libre de chercher ce qu'il veut. Mais la question se pose tout de même: 50 ans de luttes féministes pour en arriver là? Cinquante ans de luttes féministes pour glorifier des bimbos coiffées d'oreilles de lapin, en petite tenue pour faire saliver les mononcles, qui font une compétition de danse au poteau?
Suis-je la seule à sursauter quand on essaie de nous faire passer ces bons vieux procédés de commercialisation du sexe, désormais parfaitement maîtrisés par une femme, comme une banale preuve de libération? Suis-je la seule à voir dans cette soi-disant avancée un pathétique recul, un retour en force du stéréotype de la femme-objet siliconée?
Que s'est-il passé pour que, 40 ans après que nos aînées eurent brûlé leur soutien-gorge, on en soit à célébrer une culture gonflée d'implants mammaires et de stars pornos à oreilles de lapin travesties en symboles d'émancipation? La journaliste américaine Ariel Levy, qui n'a rien d'une puritaine, pose la question dans son essai percutant Female Chauvinist Pigs (traduction française: Les nouvelles salopes, Tournon, 2007). Plutôt que de voir dans ce phénomène une forme de libération sexuelle, elle y détecte un grand mensonge que des «machos au féminin» aiment se raconter. Sous couvert d'audace, il n'y a souvent que conformisme. Sous couvert de girl power et d'humour au second degré, il n'y a souvent qu'asservissement, vulgarité et piètre estime de soi.
Sur le front de la lutte pour l'égalité des sexes, il y a bien sûr des enjeux plus importants qu'une compétition de danse au poteau entre effeuilleuses consentantes. Je pense notamment à ces femmes que j'ai interviewées l'été dernier dans une maison d'hébergement. Des femmes d'ici et d'ailleurs au destin tragique. Des femmes battues, violées et réduites à l'état d'esclaves. Des femmes parrainées que l'on «commande» comme des marchandises ou dont on veut annuler le mariage pour cause de non-virginité. Cela se passe ici, près de chez vous, en 2009. Si le 8 mars a encore sa raison d'être ici, c'est avant tout pour elles, pour toutes celles qui vivent encore comme si la révolution féministe n'avait pas eu lieu.
Cela dit, on aurait tort, à l'autre extrême, de banaliser le retour en force de la «pitoune» soi-disant libérée. Sans tomber dans la censure ni dans le conservatisme, on aurait tort de se faire croire qu'il n'y a aucun lien entre ceci et cela. On aurait tort de croire que l'injustice dont sont victimes des femmes traitées comme des objets est parfaitement étrangère à l'esthétique porno dominante qui en pousse d'autres à revendiquer leur statut d'objet, par le triste revers d'une révolution inachevée.
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