N'en jetez plus, la cour est pleine

(À M. André Juneau, président de la Commission des champs de bataille nationaux)

1759-2009: 250e de la bataille des Plaines d'Abraham



Gérald Larose, président, écrit au nom du conseil d'administration du Conseil de la souveraineté du Québec - Photothèque La Presse
(À M. André Juneau, président de la Commission des champs de bataille nationaux)
Monsieur le président,
Les points de vue négatifs en provenance de tous les horizons politiques touchant votre projet, longuement mûri par ailleurs, de commémorer la défaite française sur les Plaines d'Abraham, avec comme résultat immédiat la conquête de l'Amérique du Nord par les forces anglaises, devraient vous amener à revoir de fond en comble le programme festif qu'avec la complicité du gouvernement fédéral, vous comptez mettre en oeuvre à l'occasion de ce funeste 250e anniversaire.
D'autres que moi sont davantage habilités à décrire dans le détail les conséquences aussi durables que dramatiques qu'ont pu avoir sur les coeurs et sur les esprits cette défaite nationale. Les peuples qui ont été conquis ne peuvent pas ne pas s'en souvenir, même si ce n'est pas le sport national du nôtre de constamment faire saigner cette plaie, comme d'aucuns l'ont prétendu avec une certaine morgue.
L'organisation d'un « bon show », pour reprendre l'expression du maire Labeaume, un spectacle qui sera surtout apprécié par des touristes américains amateurs d'événements belliqueux, ne peut, dans les circonstances, que se transformer en un monstrueux travestissement d'une réalité historique dont il serait malséant de trouver matière à rire. C'est pourtant ce que vous comptiez faire avant de vous raviser, face au tollé que vous avez provoqué, dans une opération d'une désinvolture sans pareille, alors que vous invitiez les élites à s'amuser ferme, à l'occasion entre autres d'un bal masqué. À l'époque aussi on festoyait dans certains milieux pendant que le peuple voyait ses maisons incendiées et ses femmes violées par les conquérants.
On nous dit que dans certains pays, ces reconstitutions de batailles qui ont marqué l'histoire sont populaires. Fort bien. Mais il ne s'en trouve aucun, à ma connaissance, qui prenne prétexte d'une conquête par des forces étrangères pour organiser un show destiné à épater les badauds et à amuser le chaland. Un minimum de respect de ce que nous sommes aujourd'hui et de ce que nous fûmes hier devrait interdire semblable comportement.
Il ne s'agit pas de réécrire l'histoire. Les faits sont durs, mais ce sont les faits, a déjà écrit quelqu'un. Et les traces de cette défaite française sont innombrables sur le territoire québécois, même si la chose apparaît plutôt incongrue à plusieurs qui mettent les pieds ici pour la première fois. Des statues aux rues, on ne compte plus les évocations et les rappels de cette Conquête. Nul besoin, en conséquence, d'en rajouter, surtout sur le mode ludique. En fait, la cour est pleine, n'en jetez plus ! Pour reprendre le conseil que vous donnait le directeur du Devoir, un timbre commémoratif aurait suffi, comme ce fut le cas à l'occasion du 200e anniversaire.
Le Devoir du 3 février nous en apprend davantage sur vos antécédents et sur les convictions politiques qui semblent nourrir votre action depuis plusieurs années. Vous êtes un fédéraliste convaincu, ce qui est votre droit le plus strict. Mais il apparaît pour le moins contre-indiqué que cette foi canadienne soit mise au service d'un rappel qui demeure douloureux pour une majorité de Québécoises et de Québécois, dont plusieurs appartiennent à la même famille politique que vous.
Les raisons qui auraient dû vous conduire à contremander ces fêtes tout à fait inopportunes sont déjà très nombreuses. Le Conseil de la souveraineté du Québec vous demande formellement et solennellement d'abandonner ce projet et vous informe, M. Juneau, qu'à défaut de votre part d'agir en ce sens, il saura, avec des milliers d'autres choqués par votre insensibilité, vous rappeler légitimement en temps et lieu qu'il y a des choses qui ne peuvent pas être prises à la légère, par-dessus la jambe en quelque sorte. Et la conquête d'un peuple par une force étrangère en est une d'importance.
Recevez, monsieur, mes salutations distinguées
Gérald Larose, président
au nom du conseil d'administration du Conseil de la souveraineté du Québec


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