Les mots veulent-ils encore dire quelque chose ? Il se trouve des conservateurs albertains pour nommer « pétrole éthique » les hydrocarbures les plus sales du monde que sont leurs sables bitumineux. Et des charbonniers de Donald Trump pour qualifier de « charbon propre » leurs séculaires saloperies environnementales. Et chez nous, une Coalition avenir Québec. Quelle coalition ? Quel avenir ? Quel Québec ?
Qui dit coalition dit normalement regroupement d’intérêts divergents, de tendances opposées, de forces variées, de partis autonomes différents, bref, d’unités diverses qui débattent et négocient ensemble un projet commun et font alliance temporaire pour le réaliser. Dire coalition, c’est postuler la diversité, la démocratie, l’entente sur un projet précis et un plan de match pour le déployer. Quelqu’un pourrait-il nous identifier la diversité des groupes, des intérêts ou des tendances à l’intérieur de la CAQ ? Et même ce qui la distingue des libéraux ? Elle qui, en Barrette, Proulx et Anglade, lui a fourni ses plus récentes locomotives. Et qui, en matière de propositions, quand elle fait ses choix, les déborde toujours plus à droite.
Et la démocratie ? Les associations de circonscription, là où très peu nombreuses elles existent, n’ont même pas le droit d’élire leur candidat. Les 125 candidats seront des créatures du chef. Et le projet ? Et le plan de match ? Le mot coalition dans CAQ porte à faux. Il travestit la réalité. Rien dans cette organisation ne nous indique qu’elle coalise des forces diverses et alimente des débats démocratiques pour définir à terme un projet d’intérêt général qui émanerait d’un compromis entre courants opposés. Ce n’est pas une coalition. C’est un club.
Qui dit avenir évoque habituellement un horizon ouvert, un futur prometteur, des perspectives réjouissantes. En politique, parler d’avenir, c’est anticiper pour décider aujourd’hui. C’est tailler sur mesure aujourd’hui les politiques, les institutions, les mécanismes et les services qui produiront pour la majorité la vie meilleure de demain. Parler d’avenir suppose d’abord qu’on fasse une lecture juste du présent. Le chef de la CAQ, François Legault, répète à satiété que le Québec est pauvre parce que, sur 61 territoires en Amérique du Nord, il arrive au 57e rang quant à son produit intérieur brut (PIB).
Dans l’assiette des gens, le PIB ne signifie strictement rien. Ce qui est important, c’est la condition économique globale des gens, leur pouvoir d’achat et la répartition collective de la richesse. À ces chapitres, les Québécois, sur 61 territoires, ne sont pas les derniers, mais les premiers. Quatre-vingt-dix pour cent des Québécoises et des Québécois sont plus riches et moins endettés que 90 % des Canadiens et 90 % des États-Uniens. La CAQ est plutôt préoccupée par les 10 % plus riches d’ici qui sont moins riches que ceux d’ailleurs et ne dit jamais que l’immense majorité des Québécois ont une condition économique meilleure que la majorité de leurs voisins. Pourquoi ?
Parce que le fardeau fiscal est mieux réparti ici qu’ailleurs. Ce que la CAQ veut modifier en l’abaissant. Parce que les politiques publiques comme celles des centres de la petite enfance sont un investissement public de grande qualité profitable à l’ensemble des familles. Ce que la CAQ veut « commercialiser » encore plus que ne l’ont fait les libéraux. Parce que les frais de scolarité sont moindres ici par rapport à ceux d’ailleurs, y compris pour les médecins spécialistes et de famille. Parce que l’assurance médicaments, l’assurance automobile et d’autres politiques à incidence économique et à portée sociale de l’État québécois. Des mesures sociales-démocrates que rejette l’idéologie dominante de la CAQ. Parce que le coût de l’électricité d’ici est jusqu’à deux et trois fois moins cher que dans l’ensemble des 60 autres territoires et que les revenus excédentaires d’Hydro Québec, à la hauteur de près de trois milliards cette année, sont versés dans les coffres de l’État. Ce que la CAQ veut modifier en privatisant en partie Hydro-Québec. Et ce qu’elle veut faire subir à la SAQ également.
À la Révolution tranquille, il s’est trouvé des hommes d’État et des fonctionnaires visionnaires comme les Lesage, Lévesque, Gérin-Lajoie, Parizeau et bien d’autres pour dessiner en leur temps l’avenir, qui a produit le Québec moderne plus égalitaire, plus solidaire et plus progressiste que nous connaissons. Le mot avenir dans CAQ est un mensonge. On n’y propose pas l’avenir, mais la régression.
Quel Québec, alors ? Celui du passé. Celui d’avant la Révolution tranquille. Et celui de la survivance française. En effet, la CAQ nous suggère de rejouer le vieux film de la place dans le Canada. Couillard — plus fédéraliste et complaisant que ça, tu meurs — vient tout juste de s’y essayer.