Montréal s'en remet au privé

L'administration Tremblay délègue de plus en plus l'octroi de contrats

Scandales à Montréal - les compteurs d'eau

Kathleen Lévesque - À Montréal, les entrepreneurs et les firmes d'ingénierie ne font pas que réaliser les chantiers de travaux publics. L'administration Tremblay leur confie, en partie, la responsabilité de mener le processus d'octroi de contrats.
Selon les documents obtenus par Le Devoir en vertu de la Loi d'accès à l'information, l'implication du secteur privé dépasse largement la construction d'égouts ou l'asphaltage de routes. Les firmes d'ingénieurs, en particulier, sont devenues des alliés de premier plan pour la sélection des entrepreneurs qui exécuteront les travaux.
Des firmes d'ingénierie travaillent à la conception de projets, certaines d'entre elles rédigent les appels d'offres avec tous les détails techniques répondant aux besoins de la Ville et, parfois, elles combinent la gestion et la surveillance des travaux. Dans le cas précis du contrat des compteurs d'eau pour lequel l'administration du maire Gérald Tremblay s'est appuyée sur l'expertise de la firme BPR, et se retrouve aujourd'hui sur un terrain éthique glissant; la firme d'ingénierie a même été partie prenante aux séances d'informations avec les candidats, à l'analyse de leurs soumissions ainsi qu'à la recommandation finale pour le choix de l'entrepreneur.
Au moins 30 contrats
S'il s'agit de l'une des illustrations des plus flagrantes d'un rapprochement du privé de l'Hôtel de Ville montréalais, ce n'est toutefois pas un cas isolé. Depuis l'arrivée au pouvoir de Gérald Tremblay en 2001, c'est au moins une trentaine de contrats de services professionnels qui ont été octroyés notamment pour la rédaction des appels d'offres en lieu et place de la Ville. Les documents remis au Devoir laissent voir une certaine accélération de cette façon de faire au cours des huit dernières années. La demande d'accès à l'information ne concernait toutefois que les secteurs des travaux publics et de l'eau.
Dans ces secteurs, les firmes d'ingénierie occupent une position influente. Elles sont devenues un rouage important du processus de sélection d'un entrepreneur plutôt que tel autre. Et les contrats qui en découlent se comptent en dizaines de millions de dollars par année.
Par exemple, la direction de l'eau du service des infrastructures, transport et environnement a accordé en 2008 un contrat de 94 000 $ à la firme Génivar pour des services professionnels nécessaires à la réfection du réseau d'aqueduc et d'égouts de la rue Chatelle. Précisément, Génivar a eu le mandat de préparer des plans et devis, des documents d'appel d'offres, de faire le suivi administratif et la surveillance des travaux.
La même année, le consortium Axor/Géniplus et ses partenaires ont obtenu un contrat de 2,9 millions de dollars pour «étudier et évaluer des scénarios, faire des recommandations de choix, réaliser l'étude préliminaire du scénario retenu et préparer les plans et devis des travaux de réaménagement ou de remplacement du viaduc Rockland».
En 2007, les consortiums Tecsult/Claulac et BPR/Roche ont décroché chacun un contrat totalisant 3 millions pour faire la conception, la préparation des appels d'offres, la gestion du projet et la surveillance des travaux de réfection d'aqueduc et d'égout. Selon une formulation semblable des services professionnels requis, Montréal a autorisé une dépense de 23,4 millions en 2006 pour la réfection routière. Ainsi, quatre mandats ont été accordés, un à Dessau/Séguin/Claulac, un à SNC-Lavalin/Cima+, un autre à Génivar/SM/Axor et un dernier à Tecsult/Teknika HBA/Roche.
S'ajoute à ces exemples le controversé contrat des compteurs d'eau, le plus important contrat jamais consenti par Montréal. Ce contrat de 355 millions de dollars pour l'installation et l'entretien de 30 000 compteurs d'eau dans les industries, les commerces et les institutions de l'île de Montréal, soulève de nombreuses questions sur le processus d'octroi de contrats.
Jusqu'à maintenant, le maire Tremblay a toujours soutenu que tout a été fait dans les règles de l'art et que, de façon générale, l'attribution de contrats à Montréal se fait de façon rigoureuse et transparente.
C'est le consortium Génieau qui a remporté la mise. Ce consortium est composé d'un entrepreneur, Simard-Beaudry, et d'une firme d'ingénierie, Dessau. Chacune de ces deux compagnies, tout comme la firme-conseil BPR, a recruté, après la signature du lucratif contrat, l'un des principaux acteurs de la modernisation de la gestion de l'eau, qui le directeur général de la Ville, qui le président du comité exécutif de la Ville, qui le responsable du dossier de l'eau à la Ville. Pendant que le processus de sélection était en cours, l'homme d'affaires Tony Accurso, de la firme Simard-Beaudry, a accueilli le président du comité exécutif d'alors, Frank Zampino, à bord de son yacht de luxe amarré dans une mer du Sud. Le Devoir a tenté de savoir s'il est vrai que le p.-d.g. de Dessau, Jean-Pierre Sauriol, était présent lors de ce séjour. Chez Dessau, on estime qu'il ne s'agit pas d'une question d'intérêt public.
La firme BPR qui a accompagné Montréal et qui continue de le faire pour une période de dix ans, n'est guère heureuse de la tournure des événements dans ce dossier. Dans une lettre au Devoir, publiée aujourd'hui en page A 6, Pierre Lavallée, président et chef de la direction chez BPR, défend la formation de consortiums pour la réalisation de différents projets. «Un consortium n'est pas un club d'amis. C'est la mise en commun des ressources nécessaires pour réaliser des contrats de grande envergure, devenus de plus en plus complexes», écrit-il.
Devant l'afflux de critiques, le maire Tremblay a tout de même décidé de suspendre le contrat et de soumettre le dossier au vérificateur général. Ce dernier, en entrevue au Devoir la semaine dernière, a dit qu'il ne pourrait pas déposer de rapport avant septembre prochain.
Or, l'automne correspond à la période du déclenchement officiel de la campagne électorale alors que M. Tremblay entend briguer les suffrages à la mairie pour une troisième fois.
Dans l'immédiat, force est de constater que l'administration Tremblay est ébranlée sur trois fronts: le dossier de l'eau, celui tout aussi délicat du projet immobilier de Contrecoeur pour lequel pèsent des allégations de favoritisme à l'endroit d'une entreprise privée ainsi que l'affaire de la surfacturation en informatique.


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